Le discours prononcé le 30 juillet dernier à Grenoble par le président français relatif à la déchéance de la nationalité française «constitue une incitation à la haine». C'est la déclaration d'un des membres du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU qui a examiné, les 11 et 12 août à Genève, le rapport présenté par la France. Pour tenter de dégoupiller la «bombe», les membres de la délégation française ont annoncé la mise en oeuvre prochaine d'un plan de lutte contre le racisme par leur gouvernement. Cela n'a pas suffi, apparemment, à atténuer la «révolte» onusienne. La question de la déchéance de la nationalité française a provoqué l'ire de la majorité des 18 experts de l'ONU. Les critiques ont fusé comme autant de «balles assassines». Elles allaient toucher la patrie des droits de l'homme au coeur. La France serait-elle nostalgique de son passé colonial? La question ne s'est pas posée de manière aussi directe. Cependant, un des membres du comité onusien, qui a passé au crible les mesures que compte adopter l'Hexagone en matière de sécurité, y a fait référence. Cet expert, dont l'identité n'a pas été révélée, a évoqué une différence établie «entre des citoyens français de première zone et des citoyens français de deuxième zone», après les dernières déclarations de Nicolas Sarkozy. Un clin d'oeil au 1er et au second collège qui distinguaient les Français d'origine européenne, des autochtones pendant la période coloniale. Evoquant notamment les événements de Sétif de 1945, l'expert s'est demandé «s'il ne serait pas possible pour la France de demander pardon au peuple algérien», indique le document du Cerd. «Le récent discours du président français relativement au retrait de la nationalité française dans certains cas est non seulement discriminant contre les Français d'origine étrangère mais il constitue également une incitation à la haine», a estimé un autre membre du comité. Il a en outre, qualifié de fait «grave» l'adhésion d'une majorité de Français à ce discours. 70 à 80% d'entre eux sont, en effet, favorables aux mesures préconisées par Nicolas Sarkozy, selon un sondage publié par le quotidien de droite Le Figaro. Le rapport du Cerd (Le Comité pour l'élimination de la discrimination de l'ONU) est sans état d'âme. L'expert togolais Ewomsan Kokou dénonce une «recrudescence notable du racisme et de la xénophobie» dans l'Hexagone, et cloue au pilori la politique du gouvernement Fillon pratiquée contre les Roms, les gens du voyage et les «Français d'origine étrangère». Au sujet de ce dernier point, l'expert onusien de nationalité turque, a exprimé son grand étonnement: «Je ne comprends pas ce que c'est qu'un Français d'origine étrangère et je me demande si cela est compatible avec la Constitution», s'est demandé Gun Kut. La critique de l'expert nigérien au sujet de la libre circulation des gens du voyage est aussi terrible: «Le carnet de circulation nous effraie, nous rappelle l'époque de Pétain», a fait remarquer très inquiet, Waliakoye Saidou. Le discours de Nicolas Sarkozy, le 30 juillet à Grenoble, est loin d'être tombé dans l'oreille d'un sourd. C'est le moins que l'on puisse dire. Le locataire de l'Elysée avait notamment souhaité que la nationalité française puisse «être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un policier, d'un gendarme, ou de tout autre dépositaire de l'autorité publique». La mesure préconisée par le chef de l'Etat français a rencontré un large écho, favorable, auprès de ses concitoyens, si l'on se réfère au sondage réalisé par l'Ifop pour le quotidien Le Figaro. 80% des sondés l'ont plébiscitée. Des organisations non gouvernementales (Ligue des droits de l'homme, le Mouvement contre le racisme et l'amitié entre les peuples...), des hommes politiques et des médias de la presse écrite, à l'instar de l'hebdomadaire Marianne, se sont élevés contre le projet annoncé par le président de la République française dans le cadre de sa politique sécuritaire. «On n'avait pas vu ça depuis Vichy, on n'avait pas vu ça depuis les nazis. Mettre la priorité sur la répression, c'est une politique de guerre civile», a déclaré dans une interview à l'hebdomadaire Marianne, l'ex-Premier ministre socialiste Michel Rocard. La France s'attendait-elle, pour le moins, à une condamnation aussi vive de la part d'un des mécanismes de l'Organisation des nations unies chargé du respect de la dignité humaine? «La France a été mise sur le grill» comme jamais auparavant, a fait remarquer le vice-président de la Ligue des droits de l'homme, Malik Salemkour. Une perche sera tendue à Nicolas Sarkozy le 27 août. Le Cerd présentera ce jour-là, une série de recommandations à la France pour éviter...l'humiliation. «Il y a une contradiction entre l'image exportée à l'étranger et la réalité sur le terrain... Il est temps que vous fassiez vivre les rêves d'égalité et de fraternité», a conseillé à la délégation française le rapporteur spécial de la session, l'Américain Pierre-Richard Prosper.