L'éclatement de la cellule familiale atteint son paroxysme, quand un parent ayant sacrifié toute sa vie à sa progéniture, se voit considéré à la fin comme la «personne de trop». «Mon fils m'a roué de coups pour avoir donné des vêtements aux pauvres, avant de m'envoyer ici dans une maison pour personnes âgées.» L'aveu de Khalti Zohra est hallucinant. La vieille porte un regard affligé sur Belcourt, un quartier qu'elle a habité depuis sa naissance...et qu'elle quitte contre son gré. Seulement, comme le dit si bien l'adage, «la maman est un abîme au fond duquel se trouve toujours un pardon». Malgré l'ingratitude dont a fait preuve son fils unique, la vieille dame, aux souffrances multiples, se contente de dire: «Allah yasmahlou» (Que Dieu lui pardonne). Comment briser l'omerta sur cette triste réalité, étrangère à nos moeurs et valeurs ancestrales? Pas facile dans un pays où ce genre de «largesses» sont permises. Pourquoi la loi incriminant ces êtres sans coeur n'a été adoptée que récemment? Les arguments avancés par les responsables concernés sont vieux comme le monde. Interrogé sur ce retard, Maître Fatma-Zohra Benbraham nous renvoie simplement la question. «Une ancienne loi existe, pourquoi ne pas l'appliquer d'abord?», relève-t-elle. Et d'ajouter: «Subvenir aux besoins de nos parents est une obligation. On doit leur rendre le minimum du maximum.» L'éclatement de la cellule familiale atteint son paroxysme quand un parent ayant sacrifié toute sa vie à sa progéniture, se voit considéré finalement comme «personne de trop.» Sur les hauteurs d'Alger, dans un centre pour personnes âgées où tout n'est pas rose, Hadja Zoulikha, 65 ans, raconte, elle aussi, son calvaire ayant valeur de cri de détresse. Sa vie, comme celle de la Belcourtoise, est une plaie que rien ne semble devoir guérir. Plus profonde celle-ci. Tout se passait à merveille au sein d'une famille composée de cinq membres. Les filles ont trouvé des conjoints tandis que l'un des deux frères est allé en France, mais sans retour depuis les années 1970. Cette peine, conjuguée à la perte de son époux dans un accident de voiture, la native de Annaba la partage avec son fils Mohcin. L'eau était douce et on pouvait «nager» librement. Les années s'écoulent et Nana Zoulikha ne pouvait pas savoir que son destin allait changer. Le mariage de son fils est une vraie secousse. Depuis, le sourire, souvent sur les lèvres de la Bônoise, la fuit comme du sable fin entre les mains. Sa bru ne veut pas d'elle. Elle lui rend la vie impossible. Aucune assistance en cas de maladie. Elle a imposé sa loi en exigeant de ne vivre qu'avec son mari. «Elle a une pension, qu'elle paie une fille pour s'occuper d'elle», répond la bru. C'est la déchirure. Le fils de Zoulikha ne savait plus à quel saint se vouer. Mais, une fois appelé à faire un choix, il a opté pour le mauvais, le pire. C'est l'erreur monumentale de sa vie. Pour satisfaire sa femme, il a «jeté» sa maman dehors, à Dar El Aâdjaza. Venu quatre ans plus tard pour la récupérer, il s'est rendu compte qu'il était trop tard pour lui. Cette fois, c'est la mère qui rejette le fils indigne. Tout cela, le professeur Mustapha Khiati, président de la Forem, le trouve «anormal», «contre l'éthique» mais également «douloureux». L'Algérie, jadis terre d'humanisme, de dignité, du «nif et de la horma», voit ses vieillards traités par la «hogra», quand ce n'est pas avec infamie. La maltraitance, c'est d'empêcher son parent de vivre dans son propre domicile, est là, rampante, embusquée dans le huis clos familial. Ne s'achemine-t-on pas vers une famille nucléaire à l'occidentale? Tout porte à le croire. Les témoignages de cette ingratitude coulent à flots. Certaines sont notamment confrontées à une maltraitance psychologique et financière. Que de pressions pour signer des donations, modifier un testament ou permettre l'accès à un compte bancaire. «Mes deux enfants me harcèlent à longueur de journée pour l'argent. Chacun veut accaparer ma pension en devises», nous dit Ammi L'hocine. «Je ne les prive pas. Mais une fois, je leur ai dit de chercher du travail, ils s'étaient vite mis d'accord pour me jeter dans cette maison de vieux», regrette-t-il. Cependant, le cas le plus marquant est évoqué par Maître Benbraham, jointe hier par téléphone. Il s'agit des enfants qui optent pour la «curatelle». «On enlève aux parents toutes leurs capacités financières, les rendent inaptes en les déclarant aliénés mentaux devant les tribunaux. Certains juges tombent dans ces combines et c'est une fin terrible qui s'annonce pour ces personnes âgées», explique l'avocate. Les temps sont durs pour ces vieux et ces vieilles abandonnés par une progéniture pour laquelle ils se sont saignés aux quatre veines.