Le spectacle de Nouara était aussi ce moment de recueillement à la mémoire de Matoub Lounès. Il n'y avait ni bousculade, ni brouhaha dans la grande salle de la Maison de la Culture de Tizi Ouzou, samedi en soirée. La majorité du public est constitué de familles. Dans la salle, tout le monde s'impatiente de voir la diva (c'est le surnom que lui a donné Matoub Lounès), monter sur scène. Mais l'attente sera longue car une autre petite rose était là pour assurer la première partie du spectacle. Nouara, du haut de son firmament, pense aux nouvelles générations de la chanson féminine, c'est pourquoi elle a donné l'occasion à la jeune et talentueuse Fella Bellali de se produire devant son propre public. Fella Bellali a été la révélation de la soirée. Mais Nouara reste la plus attendue. Quand elle fait son apparition sur la scène, la salle se lève comme un seul homme. Nouara est accueillie avec de longues acclamations et des youyous stridents. La belle voix féminine a troqué son voile contre une toute attrayante robe kabyle, de couleur noire pour dire sans doute que l'attachement à ses racines est incontournable. Son foulard était également de couleur noire. Une couleur qui peut signifier douleur et tristesse, voire même deuil, mais aussi qui pourrait revêtir d'autres symboliques à détecter à travers les vers authentiques déclamés durant près de deux heures. Nouara, timide et souriante, n'a pas dissimulé son bonheur de se retrouver en face d'un public aussi attentionné. Avant de chanter, Nouara a appelé tout le monde à l'amour, mais au vrai amour dont la définition reste encore à donner. Nouara enclenche son spectacle sous un tonnerre d'applaudissements avec la chanson d'amour: A yul xas terra tmara. Puis, viennent les autres titres: «Yetchats yur sengi lehasan», «Awal lhub», «Titt i kyezran», «Izid lwaqt isêedagh», «Nek yidek meqrith disin»... Nouara a interprété plus d'une vingtaine de chansons, toutes aussi mélodieuses les unes que les autres. C'était un bonheur teinté de douleur auquel Nouara a convié ses amoureux. Ecouter Nouara n'est pas sans susciter des pincements au coeur. Ses chansons répercutées par sa voix magique sont une invite à la nostalgie, une randonnée dans le paradis artificiel d'une jeunesse faite de rêves et d'illusions. Nouara, à travers ses chansons et sa façon unique de les chanter, a su entraîner le public dans les méandres de l'indicible. Nouara, en chantant sur la trahison amoureuse ne fait en réalité que dire une chose qui a existé de tout temps et qui existera encore pour toujours. Nouara, sans le dire explicitement, chante peut-être sa propre vie et celles d'une bonne partie du public présent dans la salle. Les paroles que lui ont écrits Cherif Kheddam ou Medjahed Hamid ou encore Benmohamed lui vont parfaitement. Quand Nouara chante «Nek Yidek meqrit dissin», (Nous avons tout deux vieillis), on peut pas ne pas faire de lien avec le propre vécu de l'artiste. Le spectacle de Nouara a été mélancolique et a complètement brisé avec le rythme des autres galas abrités par la même salle. Samedi soir, l'heure était à la méditation. Nouara a fait pleurer ses fans. Qu'elles étaient belles ces larmes à une époque où les sentiments sont devenus une marchandise! L'espace d'un spectacle, Nouara a su ressusciter le verbe «aimer» au sens propre du terme. Le spectacle de Nouara était aussi un moment de recueillement, à deux reprises à la mémoire de Matoub Lounès. La première fois quand toute la salle lui demande de chanter un «Achewiq» du Rebelle puis une deuxième fois, lorsqu'un petit enfant monte sur scène et lui remet une photo où on pouvait l'apercevoir elle en compagnie de Matoub. Nouara ne peut plus retenir ses larmes. Elle embrasse la photo et affirme au public: «Cette photo, nous l'avons prise en 1992». La salle explose sous l'effet de l'émotion. Toutes les femmes présentes dans la salle ou presque, lancent des youyous pour dire que malgré la douleur, on peut demeurer digne et fidèle à la mémoire d'un homme qui, en partant, a laissé la Kabylie orpheline et livrée à toutes sortes de rapaces. Un autre hommage appuyé a été rendu à Cherif Kheddam, qui selon Nouara, vient de subir deux opérations chirurgicales en France. Nouara a chanté une chanson de Chérif Kheddam, sans être accompagnée par les musiciens. Ces derniers, au nombre de dix, ont tous été remerciés par Nouara qui a révélé qu'elle n'a jamais chanté avec eux. «La première fois que j'ai répété avec eux, c'est aujourd'hui à 14 heures et je vois qu'ils jouent très bien. Je tiens à les féliciter.» Nouara a été une berceuse ce samedi soir. Elle a bercé les coeurs de ceux qui ont été bernés dans leur jeunesse par les belles paroles et les fausses promesses, mais qui ont gardé la conscience tranquille.