La capitale retrouve son âme de Fiancée de la nuit durant le Ramadhan. Une note enchantée jaillit de la corde d'un mandole. D'autres notes la suivent. L'Istihkbar est lancé. Une voix rauque pose des mots lumineux sur l'air. La mélodie évolue sur les ondes de l'éther. Un éclairé du banjo. Puis, la voix reprend. Le chant allume le cierge du ciel. Les rêves scintillent. Les âmes voguent sur les vagues de la mer au rythme d'une Touchia. Le Cheikh lance le M'dih. Ce chant religieux met le café El Bahdja au diapason des splendeurs d'Alger. L'âme des enfants de «Bled Sidi Abderrahmane» vibre. Elle arpente les artères de Bab El Oued. Puis, elle redescend. Une lumière argentée l'attire. Cette lumière émane du café El Bahdja. Le cheikh passe à un autre mode musical. Le M'dih prend alors une autre dimension. Il caresse les visages des Douaqin dont les âmes sont accrochées comme des pendentifs à la mélodie. Le café est bondé. Des tables sont installées tout autour de l'établissement. Les mélomanes y ont pris place depuis un bon moment. «Je viens chaque soir, après la rupture du jeûne. Je ne peux pas m'en passer. Le chaâbi a bercé mon enfance. Il est partie intégrante de mon identité», avoue Aâmi Saïd, la soixantaine révolue. Dans ses yeux se déclinent les souvenirs des soirées d'antan qu'animaient les démiurges du chaâbi. Aâmi Saïd se souvient de la fête animée par El Hadj M'hamed El Anka le jour de son mariage, dans le patio d'une douerate. «Je n'oublierai jamais cette soirée. Tu te souviens, Slimane?», demande-t-il à son compagnon. «Oui, je m'en souviens», répond Aâmi Slimane, sur un air de nostalgie. Les deux amis dégustent leur thé parfumé à la menthe. Comme des abeilles, les serveurs passent entre les tables. Ils sont aux petits soins des clients. «Nous recevons des clients accros du chaâbi. Donc, nous devons être à leur écoute. Les servir est un art comme le chaâbi», déclare l'un des serveurs, le sourire en coin. Le café El Bahdja est le lieu de rencontre des élèves du «Cardinal» El Hadj M'hamed El Anka. Ces rossignols se font appeler El Ankaouiyin, de l'école El Ankaouiya, appelée ainsi en référence au maître. Ces cheikhs égayent les nuits ramadhanesques de chants religieux tirés du patrimoine populaire. Alger vit les merveilles des Mille et Une Nuits durant le Ramadhan. La vie nocturne reprend ses droits. La ville brille de mille et un feux, retrouvant sa beauté de bijou lumineux offert. De longues processions de véhicules prennent forme sur les rues. Ainsi, ces ruelles se muent en de long colliers d'or. La capitale retrouve le sourire. Elle réapprend à vivre durant la nuit. 23h00. Place El Kettani. Les amoureux des chants de la mer, dans l'obscurité, font les cents pas sur les lieux. «J'aime me promener la nuit avec ma fiancée. Ces balades nocturnes nous offrent des moments de pure magie à vivre», confie Amine, le visage éclairé d'un sourire, la main posée sur l'épaule de sa dulcinée. Dans les yeux de cette dernière, luit la flamme de la passion qui illumine le petit coin de paradis que lui offre son compagnon. «Je regrette que nous ne puissions sortir la nuit durant tous les mois de l'année», dit-elle timidement. Leurs regards se croisent. Ils reprennent leur balade. La placette retrouve une seconde vie. Elle reçoit des centaines de personnes venues des quatre coins d'Alger. «Le Ramadhan nous offre l'occasion de sortir la nuit et de nous balader en famille, c'est merveilleux», s'exclame Mohamed B. qui se promène en compagnie de sa femme et de ses deux filles. Les minute s'égrenant, nous prenons la direction de la Grande-Poste. La voie carrossable ressemble à un fleuve métallique. Le flux impressionnant des véhicules rend la circulation difficile. Des klaxons retentissent çà et là. «Tu ne connais pas le Code de la route?», vocifère un homme à bord d'une Renault Clio. Une autre voix fusant d'une voiture profère des insultes. Les deux hommes immobilisent leurs véhicules et descendent pour en découdre. N'était l'intervention de quelques personnes, ils allaient en arriver aux mains. Cette altercation provoque un énorme embouteillage. Sous la pression des klaxons, les deux hommes regagnent leurs véhicules. Nous reprenons notre chemin. Nous nous engageons dans la rue Asselah-Hocine. Une file de véhicules s'est formée devant la salle El Mougar. Les mélomanes de la musique andalouse ont rendez-vous avec les Mouachahate et autres merveilles de la musique classique algérienne. Dans cette rue animée, les cafés, les boutiques, les kiosques multiservices, les supérettes et les autres établissements de commerce sont ouverts. Nous arrivons à La Grande Poste. La placette est semblable à une ruche de véhicules. Ce spectacle donne l'impression que la placette vit aux heures de pointe de la journée. «Je viens de Réghaïa. Je vous assure que j'ai mis deux heures pour arriver jusqu'ici», révèle Mohamed, au volant de sa Polo. En un mois, Alger retrouve le goût de vivre à la belle étoile. Seulement, cette parenthèse sera fermée au lendemain de l'Aïd.