Le film Des hommes et des dieux qui leur est consacré et qui sort aujourd'hui en France, remuera-t-il le couteau dans la plaie? Un prêtre ouvrier originaire de Lorraine (France) a décidé de s'occuper du monastère où furent enlevés, puis assassinés par les hordes terroristes les sept hommes d'église. Signe d'une volonté de panser les blessures. C'est, en effet, dans le drame que s'est forgée cette histoire exceptionnelle qui lie pour toujours à cette terre d'Islam les sept moines trappistes. Ils l'auront portée en eux jusque dans le supplice. Ce sont tout simplement des êtres d'exception. La terre d'Algérie s'est ouverte pour eux uniquement, pour bien les garder en elle. Leur sang est désormais mêlé à celui de milliers d'Algériens, victimes du terrorisme islamiste, sans distinction de race ni de religion. La chaîne de télévision publique française A2 est retournée sur les traces des suppliciés de Tibhirine à travers un documentaire diffusé dans la soirée de lundi. Il montre un prêtre ouvrier (originaire de Lorraine) qui a décidé de faire revivre les lieux auxquels étaient viscéralement attachés les moines cistériens. Jean-Marie Lassausse, un prêtre de la mission de France, escorté d'une voiture de la Gendarmerie nationale, fait le trajet entre Alger et le majestueux monastère de Notre-Dame de l'Atlas, qui est situé dans le massif forestier de Tamezguida, à quelque cent kilomètres au sud d'Alger, à Médéa, plusieurs fois par semaine. «Avec l'aide de deux frères algériens, Youcef et Samir, tous deux originaires de Tibhirine, le prêtre, Jean-Marie, cultive les terres du monastère. Il s'y rend quatre fois par semaine: lundi, mardi, jeudi et vendredi. Il s'occupe également du suivi des projets lancés avec la population de Tibhirine, notamment en matière d'aide médicale»,» a déclaré au quotidien français l'Est Républicain, Mgr Bader. Ces deux ouvriers agricoles de la région qui ont bien connu les sept moines trappistes ont décidé de l'accompagner dans cette mission. Ils se souviennent d'eux comme si c'était hier. Ils ne les oublieront pas. «Ils sont dans nos mémoires et dans nos coeurs», répond l'un d'eux en arabe dialectal face à la caméra de télévision tout en joignant le geste à la parole. Ce témoignage poignant scelle pour l'éternité des relations d'amitié et de fraternité que se portent des femmes et des hommes de religions différentes, sur la terre d'Algérie, depuis des siècles. Et quand bien même ces liens sont ténus, il n'empêche qu'ils existent bel et bien. Ils sonnent comme une belle leçon de tolérance des deux côtés de la Méditerranée. Cela tombe à pic. En ce moment, en France, le président de la République, Nicolas Sarkozy, a décidé de déchoir de la nationalité française une certaine catégorie de délinquants d'origine étrangère, instituant de fait, deux catégories de Français et en outre, d'expulser des Roms à tour de bras. En Algérie, une chasse à l'homme, aveugle, est menée contre les non-jeûneurs en cette période de mois sacré pourtant synonyme de piété, de tolérance et de pardon. Les deux actions sont sans aucune commune mesure, mais elles portent en elles les germes de l'intolérance, du refus et du rejet de l'autre. Les sept moines de Tibhirine ont délivré, quant à eux, un message de paix et de tolérance. Ils ont pardonné jusque dans la mort! Les Algériens s'en souviennent. Ils continueront à s'en souvenir. «Quatorze ans après leur mort, la population de la région est encore émue à l'évocation de l'oeuvre des moines, qui n'avaient pas peur d'être assassinés», confie Monseigneur Bader, archevêque d'Alger. Le reportage diffusé lundi par A2 précède en fait, de 48 heures la sortie en salle, en France mais aussi en Suisse et en Belgique, du film du réalisateur français Xavier Beauvois. Une création cinématographique qui n'a pas besoin de promotion étant donné qu'elle a été primée à Cannes où il lui fut décerné le Grand Prix du festival. Le sujet a fait jaser quelques mauvaises langues à travers les déclarations du général Buchwalter au mois de juin 2009. Selon cet ex-attaché militaire de l'ambassade de France à Alger, les moines auraient été victimes d'une bavure de l'Armée algérienne. Cette sortie médiatique s'est soldée par l'ouverture d'une enquête qui a eu pour conséquence d'empoisonner les relations entre Paris et Alger. Il faut rappeler que les sept religieux ont été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 et leur assassinat a été revendiqué par le GIA (Groupe islamique armé). Le film Des hommes et des dieux qui sera dans les salles aujourd'hui en France, remuera-t-il le couteau dans la plaie? Qu'en pense l'archevêque d'Alger? «Désormais, il faut laisser les moines reposer en paix dans le monastère où ils ont laissé leur vie», dira Mgr Ghaleb Moussa Abdallah Bader.