Hier, la ville était toujours calme. Si Tizi Ouzou est épargnée par l'émeute, on ne peut en dire autant des localités avoisinantes, embrasées déjà par la violence. Hier, la ville était toujours calme. La vie s'égrène au quotidien d'un octobre chaud. Quasiment 30° à la mi-journée, on se croirait en été. Il est 11h 30, tous les commerces sont ouverts et les rues grouillent de monde. Pourtant, personne ne semble ignorer que le mouvement des ârchs a appelé à une grève générale pour aujourd'hui et demain. Pis encore, le mouvement s'attend à ce que jeudi soit une « journée morte », autrement dit, personne dans les rues barricadées, les bureaux de vote occupés... Les commerçants autant que les citoyens sont conscients de la situation qui prévaut dans la région, mais surtout qu'ils n'ont pas le choix de répondre à l'appel des ârchs, juste répondre de gré ou de force. La sommation de fermer boutique fait, ici, office de mise en garde. Ce n'est pas la première fois que Tizi Ouzou vit une telle situation. La ville s'est déjà retrouvée, maintes fois, renfermée sur elle-même. Une cité morte, apocalyptique, livrée à la violence, d'abord contre «les hommes en vert» puis, aujourd'hui, contre «les hommes en bleu». Il est presque 12h00, nous entrons dans une pizzeria à la rue Abbane-Ramdane en plein centre-ville. Nous faisons notre commande puis nous engageons la discussion avec le propriétaire. «Moi, je vais fermer jusqu'à samedi. Nous sommes devenus des suivistes, on est obligé de le faire», nous dit-il. L'homme est jeune, environ la trentaine, souriant et accueillant, mais un peu méfiant. «Je suis en train de vous parler et je ne sais même pas si vous êtes vraiment des journalistes. Avec la SM (Sécurité militaire ndlr) et les services de police, on ne sait plus à qui on a affaire», nous lancera le propriétaire. Sur la grève d'aujourd'hui et demain, notre interlocuteur est formel: «C'est tout le monde qui va suivre, nous n'avons pas le choix.» Le commerçant nous expliquera que face à une centaine d'émeutiers déchaînés, vous ne pouvez que fermer les portes, «Vous croyez sérieusement qu'il y a moyen de discuter?», s'interroge-t-il. Il nous confia d'ailleurs, qu'il était, la veille, dans un bar en train de prendre un verre, au moment où un jeune d'environ 18 ans y a fait irruption en lançant sur un ton un peu plaisantin, «Etes-vous pour les ârchs?» Personne n'osera le contrarier, nous confie encore le commerçant. «Il faut comprendre, que c'est un climat de terreur qui règne ici», finira-t-il par dire. En fait, ce commerçant n'est pas seul à penser de la sorte. Ce qui pourrait être considéré comme un attachement indéfectible au mouvement radical des ârchs, ne l'est peut-être qu'en apparence pour la classe commerçante de la ville. S'ils répondent en masse à l'appel des ârchs, beaucoup le font par crainte des représailles. «Il faut être sur place pour comprendre ce qui se passe», nous dira un commerçant dont le kiosque est situé au rond-point principal de la ville. Notre interlocuteur, buraliste, quinquagénaire aux cheveux grisonnants, nous explique qu'il a des enfants et qu'il est difficile de travailler à ce rythme. «Demain, je vais fermer comme tout le monde pour ne pas être pris à parti», nous expliquera encore une fois notre interlocuteur. En revanche, certains commerçants se disent profondément engagés dans le mouvement des ârchs. Farid, qui tient un café derrière le Bâtiment Bleu de Tizi, est formel. «Il ne faut pas oublier le sang de nos 118 martyrs. Moi, je ne vais pas ouvrir, je vais faire grève, car je suis convaincu qu'il faut poursuivre le combat», nous dit-il. A vrai dire, rares sont les commerçants qui partagent cette conviction. Après tout, ils vivent de leur commerce et leur position est clairement compréhensible. Rares sont aussi, ceux qui acceptent de parler à la presse. A Tizi Ouzou, les journaux sont quasiment « diabolisés » et pour cause, les citoyens estiment que la presse fait dans la surenchère, le mensonge et la désinformation. «Vous êtes des pyromanes», nous lance-t-on. Il est 13h00, les rues commencent à se vider comme pour annoncer l'événement du lendemain. Les étudiants sont rentrés chez eux, nous dit-on. A un jour du scrutin, le pouvoir n'a pas l'intention de céder. Les renforts dépêchés dans la région démontrent une volonté d'aller au bout de ce rendez-vous électoral.