Ecrire l'histoire de la Révolution pour qu'elle ne reste plus comme une idée, une énigme à dénouer, mais pour que notre jeunesse s'enchante de l'indépendance qui est l'oeuvre de la plus authentique libération de la nation. Les Mémoires du capitaine Mohamed Saïki, présentées dans son livre Chronique des années de gloire (*) (Lire L'Expression de mercredi 22 septembre 2010, p. 21), pourraient constituer, par bien des aspects, un thème de leçon d'histoire à traiter dans l'éducation nationale. Dépassant les historiettes plaisantes qui ne touchent pas à l'essentiel de la formation de l'esprit de nos jeunes et qui, l'adulte inconsciemment y ajoutant erreur sur erreur, n'expliquent rien d'un fait historique majeur de l'histoire générale de notre pays, les récits sur l'héroïsme des moudjahidine, tels que les présente Mohamed Saïki, sont une source importante pour nos chercheurs en Histoire de la lutte de libération nationale et pour ceux qui ont la charge d'éduquer et instruire nos enfants. Un travail de pédagogie supérieure attend là, me semble-t-il, le professeur qui s'instruit aux sources, qui refuse d'être l'acrobate de l'histoire artificielle où l'abstrait et le discours anesthésient les jeunes esprits, et pas seulement... En effet, ce genre de récits vécus permet de faire appel à la sensibilité de nos enfants, à leur imagination et ainsi de lier les informations fragmentaires recueillies dans d'autres ouvrages d'histoire de la guerre d'Algérie. L'amour de la patrie s'apprend dans l'histoire de sa constitution et par la prise de conscience du prix du sang consenti par le peuple pour l'unité de son territoire et de son indépendance. Tout comme celui des jeunes et moins jeunes algériens pendant la colonisation française, l'engagement de Mohamed Saïki à l'Appel du 1er Novembre 1954 pour défendre sa Patrie, a été spontané et il le raconte - est-ce avec modestie, humilité ou vertu? -, peu importe puisqu'il s'engage là aussi avec le souci de son honneur de dire la vérité. «J'ai, pour ma part, eu l'honneur, écrit-il, d'être l'un de ceux qui en ont vécu les péripéties, par la force des choses, ont eu des informations de première main sur des faits ou des événements qui ont eu des conséquences sur le cours de la Révolution dans cette partie du territoire national.» Dans un style clair, assuré par Ali Goudjil, le traducteur de l'ouvrage en question, où les mots chargés de conviction sont toujours puissants et où, parfois, le sentiment de vérité exprime une touche de poésie populaire, Mohamed Saïki consacre dix chapitres au déploiement de ses mémoires de capitaine de l'ALN. Nous apprenons ses premiers contacts avec la Révolution, la vie au maquis et son organisation, ses rencontres avec des chefs de haute valeur de l'ALN et ses compagnons d'armes, les tout premiers combats contre l'armée coloniale, ses premières responsabilités et les suivantes au niveau de la Wilaya IV en zones 4 et 5, et particulièrement les moments cruciaux des faits d'armes auxquels il a participé: secteurs de Ténès, Cherchell, Hadjout, Miliana,...«Des combats, dont l'ennemi conservera à jamais un cuisant souvenir, se déroulèrent à El Maleh, Z'barbar, Bouzegza, Tamesguida, Oued Lâkh-ra, Chréa, Ouarsenis, Bab El Bakkouche, Djebel Zaccar,...Djebel Dirah, Bougaouden, Djebel Sabah, Kef Lakhdar,...» Il cite les noms des moudjahidine et des moudjahidate qui l'ont impressionné et auprès desquels il s'est formé et s'est forgé une ferme volonté, notamment auprès de Sî Hassen, colonel, chef de la Wilaya IV. Il décrit dans le détail (tout en glissant dans le chapitre 5 de rafraîchissantes et truculentes anecdotes) les opérations les plus dures d'attaque ou de défense, d'information ou de reconnaissance qui nécessitent toutes une absolue solidité d'organisation, comme l'attaque du commissariat de Hadjout. Il n'est rien dans ces actes d'héroïsme, qui laisse supposer une fantaisie de combattant pour l'indépendance de l'Algérie; Mohamed Saïki a été blessé deux fois gravement (il en garde encore les stigmates): l'une de ces blessures aurait pu lui être fatale, l'autre aurait pu lui faire perdre une jambe. Les précisions, sur chaque événement parfaitement situé et daté, sont tellement nombreuses et appuyées de références solides et multiples soumises d'emblée à l'épreuve de la critique la plus sévère, que le lecteur pourrait aisément s'imaginer les scènes et leur exact déroulement... Pour parachever, en quelque sorte sa démonstration de la vérité qui n'aurait pas été dite par ailleurs dans tous les domaines du développement de la marche de la Révolution, Mohamed Saïki n'hésite pas à trancher dans certaines affaires relevant de la politique intérieure et des prises de position dans le cas des événements peu glorieux dans les maquis: conflits, complots, crises, dissidences,... Il en est de même en ce qui concerne certains dossiers importants qui pourraient, selon lui, rétablir des vérités, par exemple, l'affaire Chérif Bensaïdi (Wilaya VI), le démantèlement du réseau de la ´´bleuite´´ en Wilaya IV, l'affaire de l'Elysée, la crise de 1962. Il termine, conciliant, en soulignant: «Ceux, que ma probité intellectuelle innée me contraint à critiquer ici, demeurent des combattants de la cause nationale. Et ce n'est que dans la mesure où ils s'estimeraient infaillibles, qu'ils failliraient et donneraient prise non seulement aux critiques acerbes, mais au ressentiment de ceux qui éprouveraient de la haine vis-à-vis de certains contemporains...Notre pays n'en finit pas de payer les conséquences de ces mois dramatiques [Allusion à la crise de l'été 1962].» Dans le court Avant-propos rédigé en faveur du livre de Mohamed Saïki par le Docteur Youcef Hassen Khatib (colonel Hassen, chef de la Wilaya IV), on peut lire ces appréciations: «En sa qualité d'acteur et de témoin, le frère Mohamed Saïki a rapporté des faits importants et précis et cela, en toute objectivité. Il appartient aux chercheurs et aux historiens d'enrichir ce travail en espérant qu'il aidera à l'écriture correcte de l'histoire relative à la libération de notre pays.» Dans sa Chronique des années de gloire, les mémoires d'un capitaine de l'ALN, un livre à lire absolument, Mohamed Saïki nous fait comprendre qu'il n'a pas osé mentir et n'a pas craint d'exprimer toute la vérité en réponse aux détracteurs de tous bords de «la glorieuse révolution». Que donc d'autres voix compétentes s'élèvent pour faire don à la jeunesse algérienne de ce qu'elles savent car, par ainsi, elles contribueront sérieusement à l'écriture de l'Histoire de la Révolution algérienne. L'Histoire ne pardonne jamais rien à la mémoire qui se fait muette ou volontairement débile pour paraître assez crédible quand elle ment. (*) Chronique des années de gloire de Mohamed Saïki, Editions Dar El Gharb, Oran, 2004, 500 pages.