L'Expression: Peut-on dire, aujourd'hui, que les amendements au Code pénal relatifs au harcèlement sexuel, ont eu l'effet escompté? Soumia Salhi: L'existence de la loi est un acquis qui permet de se défendre. Alors que pour les premiers procès nous devions recourir à d'autres dispositions légales peu commodes comme celles qui répriment l'attentat à la pudeur. De ce fait, l'article 341bis du Code pénal, qui incrimine le harcèlement sexuel, est une victoire pour les femmes, une victoire de nos luttes. D'abord sur le plan symbolique, car son existence signifie la condamnation du «harceleur» et la réhabilitation de la victime. Désormais, les «harceleurs» ne se sentent plus en sécurité et nous pouvons dire que nous assistons actuellement à une prise de conscience sociale qui s'est considérablement élargie depuis quelques années. Mais la paupérisation et le recours au contrat à durée déterminée fragilisent la travailleuse et la mettent dans une situation de chantage. Il faut donc combattre la généralisation des contrats temporaires et imposer partout un contrat de travail décent. La promulgation d'une loi fera-t-elle reculer le recours au harcèlement sexuel? Nous ne le pensons pas. Seule une révolution des mentalités dont l'objectif serait le bannissement de la discrimination sexiste pourrait venir à bout du recours au harcèlement sexuel comme violence à l'égard des femmes. Le harcèlement a pour but de s'attaquer au droit du travail des femmes qui ne sont pas reconnues comme des travailleuses, mais réduites à des objets sexuels. Les plus vulnérables des victimes restent, bien entendu, les femmes qui sont dans la situation la plus difficile: célibataires, divorcées, veuves, ou séparées donc supposées privées de défenseurs surtout si elles ont une famille à charge (des parents et /ou des enfants) qui rend indispensable le salaire et facilite le chantage. Si le silence observé préserve la réputation morale et sociale et la famille de la victime, il est toutefois, un allié objectif du harcèlement sexuel. Pensez-vous qu'on devrait aller vers d'autres changements sur le plan juridique? Nous voulons faire progresser la loi...face à la montée de la parole des victimes. Notre pratique pour la prise en charge des victimes de harcèlement sexuel nous a conduites à réinterroger l'article 341 bis du Code pénal pour revendiquer son amélioration. C'est le sens de la lettre ouverte que nous avons adressée au ministre de la Justice. Notre priorité c'est la protection des témoins. Souvent, le harcèlement est difficile à prouver, il survient généralement à l'abri des regards et donc des témoins. Face à la difficulté d'apporter la preuve sur ce qui se passe dans l'intimité d'un bureau, il est impératif de réunir des témoignages de personnes qui travaillent avec vous afin de corroborer les preuves des pressions exercées par le supérieur hiérarchique. La protection des témoins contre des représailles est de ce point de vue vitale. Comme je l'ai déjà dit, l'article 341bis du Code pénal constitue un point d'appui précieux dans les pénibles procédures entreprises par les victimes. Et sur ce terrain, nous avons relevé des insuffisances. Ainsi, il est arrivé que des témoins qui ont eu le courage et le mérite de témoigner en faveur des victimes subissent des sanctions, qui vont jusqu'au licenciement. Des femmes hésitent toujours à porter plainte... Effectivement les victimes sont souvent réticentes à témoigner. Même lorsqu' elles osent le faire, il y'a un écart entre le nombre de témoignages et le nombre de plaintes. Le tabou et l'interdit du sexuel sont un frein. En parlant, la femme a peur de la réaction de son entourage professionnel, elle craint les réactions de sa famille. C'est pourquoi les psychologues comme les militantes recommandent à celle qui subit cela de ne pas rester seule avec une douleur qui la détruira. Il faut parler à une personne de confiance, à un psychologue. C'est la première démarche à effectuer. C'est aussi la chose la plus importante. Il restera la difficulté de prouver les agissements du chef.