Liberté : La commission des femmes travailleuses de l'UGTA, sous votre conduite, s'est investie notamment dans la lutte contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Cette bataille a-t-elle produit les résultats attendus ? Dans quel sens voulez-vous faire évoluer la loi ? Soumia Salhi : La campagne contre le harcèlement sexuel a changé le rapport de force dans la société et contribué à légitimer le travail féminin. L'existence de l'article 341 bis du code pénal incriminant le harcèlement sexuel est un acquis précieux. Par ailleurs, l'ouverture d'un centre d'écoute et d'aide aux victimes de harcèlement sexuel* a constitué une victoire pour les travailleuses, en particulier celles ayant souffert dans le silence du harcèlement sexuel. D'autre part, les amendements introduits en 2005 au code de la famille prennent en compte l'émergence économique indépendante des femmes. Ils suppriment l'obéissance au mari et se réfèrent explicitement à l'apport des femmes dans le couple : ils ouvrent le chemin à la reconnaissance du travail de la femme. Malheureusement, l'architecture inégalitaire du code demeure encore. L'écho de la campagne est au-delà de nos espérances... Tout le monde peut ressentir que les femmes s'enhardissent et sont pénétrées de leur dignité. Mais, cette évolution des mentalités en faveur des victimes ne change ni la réalité d'un patriarcat agressif ni celle d'une précarité qui continue à s'étendre. Nous voulons faire progresser la loi face à la montée de la parole des victimes. La pratique nous a conduites à réinterroger l'article 341 bis du code pénal, pour revendiquer son amélioration. Notre priorité, c'est la protection des témoins sans laquelle il ne peut y avoir de politique contre le harcèlement sexuel. Nous nous trouvons face à une situation sans issue : d'une part, la loi exige des preuves solides, d'autre part, elle poursuit les femmes victimes de harcèlement sexuel qui osent dénoncer. Il peut être difficile de rapporter la preuve d'un harcèlement sexuel ; dès lors, la loi doit prévoir, comme cela se fait ailleurs, un mode de preuve plus souple, plus favorable à la victime. Celle-ci n'a pas à prouver l'existence d'un harcèlement sexuel, mais doit simplement établir des faits permettant de présumer son existence. Au vu de ces éléments, c'est alors à la personne poursuivie de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement sexuel ou que ses actes sont justifiés par des motifs étrangers à tout harcèlement. Si elle n'y arrive pas, cette personne sera reconnue coupable. Mme Salhi, depuis 2008, une nouvelle campagne a été lancée, qui se poursuit à ce jour, dont le but est la révision de l'article 341 bis. Comment se présente concrètement cette campagne et en quoi se distingue-t-elle des précédentes ? C'est une campagne d'alerte sur les limites de la loi, elle comprend des initiatives d'information et de solidarité. Cette troisième campagne est motivée par la nécessité de soutenir des travailleuses, qui ont osé braver les interdits et les tabous, en dénonçant le harcèlement sexuel. L'article 341 bis est une victoire de nos luttes, son existence est une condamnation du harceleur et une réhabilitation de la victime. Son importance pratique est certes considérable, mais son application révèle des insuffisances. Il est difficile d'apporter la preuve de ce qui se passe dans l'intimité d'un bureau. Les procédures sont pénibles, les représailles administratives accablent les victimes qui osent porter plainte. Des témoins ont même été licenciés, alors que la justice avait pris en compte leur témoignage et prononcé une condamnation. La campagne que nous développons se distingue par le fait qu'elle vise l'amélioration de la loi par des dispositions particulières pour la protection des témoins et par l'inversion de la charge de la preuve pour aider les victimes. Le ministère de la Justice a-t-il donné une réponse favorable à votre requête ? Sensible à la gravité du harcèlement sexuel, comme obstacle à la promotion des citoyennes, et inquiet du développement important de ce phénomène, particulièrement sur les lieux de travail, le législateur algérien a décidé l'incrimination et la sanction de cette violence, en introduisant l'article 341 bis, qui a été promulgué le 10 novembre 2004. Cette nouvelle disposition légale a répondu aux inquiétudes des Algériennes et de l'ensemble de notre société. Elle a également répondu aux attentes exprimées par notre lettre du 15 mars 2003. Elle constitue une condamnation du harcèlement sexuel et une mise en garde aux agresseurs, mais le principal objectif est d'offrir aux victimes des moyens légaux pour se défendre. Seulement, comme je l'ai déjà dit, les victimes de harcèlement sexuel sont confrontées à des obstacles résultant des règles générales du droit pour l'établissement de la preuve et à l'absence de la protection légale des témoins. Aussi, notre demande vise à assurer des garanties légales aux victimes, ainsi qu'à ceux qui s'opposent à la violence contre les femmes, notamment sur les lieux de travail, car la protection de la dignité des femmes est une condition du travail décent. C'est d'ailleurs le message contenu dans la lettre ouverte, que nous avons adressée au ministre de la Justice, à l'occasion du 8 Mars. Nous sommes toujours en attente d'une action qui réponde à nos attentes. H. A. *Adresse mail du centre d'écoute : [email protected]