Qui eût pu deviner un jour que l'Algérie se rabibocherait avec la francophonie ? De son vivant Kateb Yacine, devin ou simple iconoclaste, avait suggéré de ne pas aliéner l'acquis que représente la langue française, ne fût-ce que parce qu'il s'agit d'un butin de guerre! On sait le tollé que cette suggestion avait soulevé en son temps et l'avalanche de trivialités qu'il déclencha de la part des arabo-baâthistes. Plus grave encore, sur la scène sociopolitique la malfaisance islamiste va davantage compliquer les choses. Ses crimes et son intention de commettre un génocide pour «purifier» la société algérienne désignée comme impie, auront des répercussions inattendues sur le comportement des Algériens. Conséquences, dans certains cercles, on commença par désigner la religion musulmane comme source «principale» d'arriération pendant qu'on apprenait que dans certains milieux des dizaines de jeunes Algériens ont, comme on dit, sauté le pas, en apostasiant la foi de leurs ancêtres pour se convertir au christianisme. Au même moment la langue française, que les milieux arabo-bâathistes avaient tenté par tous les moyens de réduire à néant, reprenait de la vigueur un peu partout en Algérie. Peut-on attribuer ce phénomène de «redécouverte» d'une langue à une quelconque influence de la francophonie auprès de nos jeunes? Nullement. Un tel retour ne pouvant se concevoir compte tenu des dégâts causés dans l'inconscient collectif par l'intégrisme islamiste. Le Président Bouteflika, qui n'est pas né de la dernière pluie, connaît parfaitement les profondes lésions dont souffrent les Algériens depuis que l'intégrisme a décidé de procéder à une sorte de «purification ethnique» qui n'a jusqu'ici pas osé dire son nom. Il part donc au Liban pour assister à la conférence sur la Francophonie sans état d'âme. L'Algérie entrera-t-elle dans la francophonie pour autant? Le chef de l'Etat qui se rend à Beyrouth sur invitation de son homologue libanais sera présent, nous dit-on, en tant qu'observateur dont la participation consistera à redonner plus de cohésion à la francophonie. D'autant qu'il sait parfaitement de quoi il retourne quand on lui demande de parler des mutations qui se sont opérées en Algérie depuis 12 ou 13 ans. En Kabylie des églises ont été reconstruites et c'est tant mieux si cela devait fournir la preuve au monde entier que les Algériens sont aussi des gens tolérants. Mais les vrais enjeux de la francophonie ne se situent pas, comme on a souvent eu tendance à le croire, dans l'exploitation d'une langue pour la transformer en instrument d'influence culturelle dans le but serait d'étouffer les autres cultures. Les vrais enjeux de la francophonie se situent donc ailleurs que sur l'échiquier national dont la crise, que les arabo-baâthistes le veuillent ou non, tirent à sa fin. En fait les vrais enjeux de la francophonie ont épousé depuis sa création les contours de la planète où les Américains en attendant que «la Chine s'éveillera...» veulent sous le couvert d'une guerre «sans douleur» pour s'emparer du marché mondial, imposer par multinationales interposées, leur mainmise sur la totalité de l'économie mondiale, grâce à la langue anglaise celle-là même dont usait la reine Victoria à la fin du 19e siècle pour rappeler à ses vassaux ébahis que sur son empire: «le soleil ne se couchait jamais». La nouvelle hégémonie linguistique qui se profile à l'horizon, n'a rien d'innocent à considérer que si les Américains ne cessent de parler de mondialisation, c'est incontestablement pour «coloniser» le marché mondial à un moment où la majorité des nations du Tiers-Monde ne dispose d'aucun moyen pour endiguer la détérioration des termes de l'échange. Comme on le voit tout s'imbrique. Terme de l'échange, langue, culture l'interdé-pendance dont on nous a tant parlé n'épargne aucun secteur d'activité et où les conflits sont tels que le pire pourrait surgir en générant une guerre linguistique à laquelle personne ne s'attend. Guerre civilisationnelle par excellence à partir de laquelle pourraient se justifier toutes les récriminations opposées à l'érosion des identités culturelles et ethniques. De ce point de vue la francophonie pourrait apparaître comme une manière éminemment morale de lutter contre la mondialisation sauvage qu'on nous prépare en même temps qu'elle offre l'alternative à ses membres d'utiliser la tribune qu'elle représente pour se protéger non seulement de l'érosion identitaire annoncée, mais également de préparer la voie à l'édification d'un monde multipolaire pour équilibrer la cohésion de l'ensemble des peuples du monde. La France, qui s'est débarrassée des Foccart et des autres, pourvoyeurs de sujets de discorde en Afrique et qui semble avoir renié pour toujours ses velléités néo-coloniales de germe néocolonialiste, pourrait, en renforçant les moyens de la francophonie contribuer efficacement à sauvegarder les identités des nations et par la même occasion offrir aux nations faibles membres de la conférence que préside l'Egyptien Boutros Boutros-Ghali, la possibilité de porter haut leurs voix pour éviter de sombrer dans les exclusions multiforme que nous prépare la mondialisation façon Wall-Street. C'est avec dans la tête toutes ces données et sûrement davantage encore, que le Président Bouteflika aura préparé son voyage au Liban.