Il y a cent ans, les Russes portaient le deuil de l'écrivain Léon Tolstoï, mort après des jours d'errance. Mais ce pacifiste, hostile à toute forme de gouvernement, est aujourd'hui moins célébré dans la Russie moderne qu'en Occident. Le centième anniversaire de sa mort, survenue le 20 novembre 1910, n'est pas commémoré à la hauteur du statut de l'écrivain dans la littérature mondiale. «Il gêne autant qu'il y a un siècle. Pour commémorer sa mort, il faudrait réfléchir à ce qu'a fait la Russie en cent ans, ce que personne ne veut faire», dit Pavel Bassinski, l'auteur d'un récent livre sur les circonstances de sa mort. Fuyant son épouse et le domaine de Iasnaïa Poliana, au sud de Moscou, où il était né en 1828, Léon Tolstoï, 82 ans, avait erré d'un monastère à l'autre avant de tomber malade et de mourir à la petite gare d'Astapovo, à des centaines de kilomètres de là. «A la veille de la Première Guerre mondiale, de la Révolution bolchevique et de la guerre civile, la mort de l'écrivain a été un symbole du destin de la Russie», souligne le directeur du musée Tolstoï de Moscou, Vitali Remizov. Un musée rénové doit rouvrir à Astapovo, un documentaire est prévu sur une chaîne culturelle, ainsi qu'un colloque international. Mais l'événement reste à l'écart des heures de grande audience, et aucune rétrospective n'a lieu dans les principaux musées. Le seul film à l'affiche à Moscou (Tolstoï, le dernier automne, de Michael Hoffman), a été tourné par Hollywood. La Russie, qui par le passé a dépensé des millions pour financer des films historiques, ne s'est pas intéressée au sujet. «C'est honteux que la Russie n'ait pas trouvé de l'argent pour faire un film sur Tolstoï», jugeait, jeudi, un spectateur, Nikolaï Garmiza, à l'issue d'une séance à laquelle assistaient une quinzaine de personnes. «Aujourd'hui, Tolstoï est plus populaire en Occident», dit Vladimir Tolstoï, descendant de l'écrivain, qui dirige le musée installé à Iasnaïa Poliana. Comparé à Pouchkine, le poète révéré dont le bicentenaire de la mort a suscité en 1999 des commémorations grandioses, Tolstoï souffre en Russie de sa stature de moraliste. «Il aimait la vérité, et il y a trop de mensonge et d'hypocrisie dans la Russie d'aujourd'hui», dit Vladimir Tolstoï. L'auteur de Guerre et paix et d'Anna Karénine avait une renommée immense de son vivant. «Nous avons deux tsars, Nicolas II et Léon Tolstoï», disait son contemporain, Alexeï Souvorine, en 1901.