Choquant lorsqu'on entend le mot «ingrate» pour qualifier l'édition algérienne. Parler du monde de l'édition en Algérie, n'est pas chose aisée surtout lorsqu'on sait que la production littéraire chez nous est loin d'être performante. Elle est pour ainsi dire très faible. Alors en débattre avec des éditeurs italiens, cela relève presque de l'incongru. Et pourtant, cela a bel et bien eu lieu, mardi dernier, à la salle de conférence de la bibliothèque du palais de la Culture Mufdi-Zakaria à l'occasion de la 2e édition de la semaine de la langue italienne dans le monde qui se tient à Alger depuis le 14 octobre et qui s'achevera le 19. Deux invités en présence de M.Giorgio Guerrini, attaché culturel à l'ambassade d'Italie, M.Andrea Ulivi des éditions Della Méridiana de Florence et M.Hadjadj Sofiane des éditions Barzakh. Le troisième censé être présent, M.Smaïn Amziane de Casbah Edition, était absent pour des raisons qu'on ignore. Loin de nous l'idée de procéder à une comparaison entre ces deux maisons d'édition pour des raisons évidentes liées à la différence de taille en matière de productivité. Les deux éditeurs feront chacun un état des lieux de l'univers éditorial de leur pays tout en posant les balises d'une réelle collaboration algéro-italienne, qui s'inscrit dans la continuité de leurs travaux, notamment la traduction, en italien des deux romans de Mohamed Maghani, Un temps berlinois et L'esthétique du boucher. Licencié en langue italienne, M.Ulivi soulignera en premier son amour fort intense pour le livre «C'est pour cela que je me suis intéressé à ce métier (éditeur)», dit-il. «Le désir de dire et de construire des choses» a été tel, qu'après avoir présenté sa thèse sur le poète Mario Luci, M.Ulivi nourrira un profond intérêt pour l'expérience humaine, qui correspond plus ou moins à la sienne. «Plus que l'édition, je me suis intéressé aux problèmes culturels. Aussi plusieurs collections sont nées, récits, photographies, romans littéraires...Le livre est devenu, confie-t-il, comme un message qui décrivait ma vie, le produit aussi de cette vie culturelle. C'est ainsi que le rapport étroit entre l'écrivain et l'éditeur est né. Il se matérialisera par un suivi constant du livre avec l'écrivain à travers toute sa chaîne de fabrication jusqu'à sa promotion. M.Ulivi souligne ici, tout son attachement pour le livre, au sens affectif au-delà de tout esprit mercantile. Plus direct et réaliste dans ses propos, même s'il partage la même passion pour les livres, M.Sofiane Hadjadj résumera la situation de l'édition algérienne en posant trois questions essentielles à savoir: Quel type de livre acheter? Pour quel lectorat? Et dans quelle langue? Développant sa vision de choses, M.Hadjdj avance ce constat que tout le monde peut être connaît: «Dans un pays majoritairement arabisant, le lectorat en termes d'achat est plutôt francophone», même s'il dira plus loin «que les livres qui se vendent le plus sont ceux de cuisine». Vient après le livre politiques, ensuite le scolaire et parascolaire et la littérature en dernière position. Résultat des courses: «C'est une catastrophe! On se rend compte qu'on est dans un pays qui n'encourage pas la lecture», dit-il amèrement. En effet, comment peut-on remédier à cela, sachant que le livre qui s'édite à 1000 exemplaires par an, ne se vend qu'au bout d'un an et demi? Une question au sens lourd «qui en dit long sur l'image qu'on peut se faire de la littérature en Algérie», dira Sofiane. Sur les 50 bonnes librairies implantées dans le pays, Barzakh travaille avec 35 d'entre elles et tente tant bien que mal d'écouler ses produits. L'Italie, elle, possède des milliers de librairies...Or, «ce n'est pas la joie non plus chez nous», c'est une lutte. Les livres qui se vendent le plus, sont également ceux de cuisine, de théâtre puis viennent après, les essais poétiques», confie M.Ulivi. Cependant, il est clair qu'un immense fossé sépare l'Algérie de l'Italie. En effet, lorsque le premier pays publie une cinquantaine de livres, par an, que l'autre en édite plus de 500, parfois à des dizaines de milliards d'exemplaires submergeant, ainsi les librairies italiennes, l'on est sérieusement amené à se poser des questions. Pour Sofiane Hadjadj le métier d'éditeur est d'autant plus «ingrat» chez nous, que les trois quarts de son temps, il les passe à chercher des mécènes et des sponsors pour financer ses livres. Quelque peu pessimiste à ce sujet, reconnaît-il, car «on ne peut, déplore-t-il, courir éternellement après l'argent», encore moins pour faire de la poésie dont «tout le monde arrive à se passer». Pour M.Ulivi, ce sont les petits éditeurs qui font la littérature en Italie car dit-il: «Les grands éditeurs sont liés par des exigences exclusivement commerciales. Le petit éditeur peut raisonner avec une autre philosophie parce qu'il peut suivre de plus près le livre. Le projet du petit éditeur doit être globalement culturel». Un autre problème qu'il soulèvera est celui de trouver ensuite un bon distributeur. Sofiane Hadjadj quant à lui, abordera le délicat sujet de la traduction qui est quasiment nulle chez nous. Si en Europe, il y a des lois qui aident à la traduction de livres engagés par exemple, en Algérie, reste à savoir d'abord dans quelle langue il faudra traduire. «Dans le monde arabe dit Sofiane, la traduction est vraiment un problème. En Algérie, il y a une absolue ignorance de la littérature italienne à éditer. Dans quelle langue va-t-on traduire ces livres? En arabe ou en français?» Une situation que le responsable des éditions Barzakh qualifie «d'absurde». Il précise avoir une préférence pour la traduction en arabe «même si cela se vendait moins», avoue-t-il. Enfin, en concluant la conférence, l'idée d'établir un travail de partenariat pour faire «connaître l'Italie aux Algériens et l'Algérie aux Italiens» a été lancée. Une collaboration qui se traduira par l'édition d'un beau livre portant sur les 2 pays en transformation. Une initiative qui n'est pas la première et souhaitons-le, pas la dernière.