Appelés à activer aux côtés du secteur public, les opérateurs privés ne s'intéressent, apparemment, qu'à l'argent. D'une voix presque inaudible, relayée comme un écho par un vieil homme qui se tenait debout près du conducteur, le receveur annonce le nom du prochain arrêt. Le véhicule de transport, un vieux tacot des années quatre-vingt-dix, ralentit peu à peu sa course avant de s'immobiliser à quelques pas de l'abribus des «Oasis». Le receveur, un jeune d'à peine vingt ans, descend et d'un pas cadencé se dirige vers l'arrière, un passe-partout à la main, ouvre la portière, laisse sortir deux passagers, puis la referme aussitôt avant de regagner, à petites foulées, sa place à l'avant du car. Ce geste qui relève de l'absurde, exécuté des dizaines de fois durant tout le trajet Ben Omar - place des Martyrs, est très évocateur quant à l'état de déliquescence et d'abandon dans lequel se trouve, présentement, le secteur des transports de voyageurs au niveau de la capitale et de ses banlieues. Des scènes comparables, on en voit, malheureusement, presque tous les jours. Elles nous rappellent un passé que d'aucuns croyaient, à jamais, révolu. En dépit de l'apparition de nouvelles lois destinées à faire baisser la pression exercée par les usagers qui sont de plus en plus nombreux à choisir ce moyens de transport unique et pas cher, le secteur est toujours à la traîne et ne donne pas l'impression d'amorcer un véritable démarrage. Mus par un réflexe qui, hélas, tend de plus en plus à se généraliser, les opérateurs privés ne s'intéressent, apparemment, qu'à l'argent et oublient, à tort, la mission d'utilité publique qui leur est dévolue. Leurs véhicules sont souvent sales ou mal entretenus et le personnel qu'ils emploient manque de qualification et de formation. Ce sont, en majorité, des jeunes recrutés sur le tas, qui ont déserté le banc de l'école et qui n'aspirent qu'à une chose, gagner de l'argent. Nombre d'entre eux ne sont pas déclarés, ils font mine d'accepter cette situation, de peur d'être renvoyés. Mais ils auraient trouvé une astuce pour arrondir leurs fins de mois. Encaisser sans délivrer, parfois, de ticket. Les opérateurs le savent, mais eux aussi font mine de tout ignorer. Un compromis qui semble arranger tout le monde et qu'on voudrait faire perdurer. Plus âgés, certains conducteurs font preuve de beaucoup de métier, mais nombre d'entre eux sont indisciplinés et enfreignent les règles en matière de conduite et de prévention. Lancés à très vive allure comme des voitures de course, leurs minibus indisposent tout le monde et constituent un danger public pour les autres usagers, plus particulièrement les nouveaux permis. L'appât du gain étant plus fort, des conducteurs, souvent inconscients, n'hésitent pas à s'arrêter, carrément, en plein milieu de la chaussée pour se ravitailler en clients, mettant en danger la vie des passagers et partant, celle des autres usagers. Plus entêtés encore, d'autres longent parfois, sur des centaines de mètres, le trottoir pour attirer d'éventuels clients qui risquent gros en tentant de prendre le car en marche. Et beaucoup le font parce que soit il n'y a pas eu encore d'accident, soit que personne n'essaye de les en dissuader pour le moment. Doit-on s'attendre à ce qu'il y ait mort d'homme pour le faire? A proximité du Caroubier, en raison des travaux de réalisation du tramway, d'énormes bouchons se forment surtout durant les heures de pointe. Certains transporteurs, se croyant au-dessus des lois, montent résolument sur la bande réservée aux piétons pour tenter de gagner quelques mètres, au grand dam des passants et des automobilistes. Mais, c'est à la gare routière, située non loin de là, que les choses risquent de se gâter le plus. Alors que la passerelle est située juste à quelques dizaines de mètres de là, les usagers, qui prennent ou descendent des bus, préfèrent traverser la chaussée plutôt que de l'emprunter. Les véhicules roulant à très vive allure auraient déjà fait de nombreuses victimes. Dès lors, pourquoi ne pas construire une seconde passerelle qui donnerait directement sur la gare routière et qui nous éviterait d'autres accidents, d'autres drames? Pour des considérations mercantiles on relègue souvent au second plan les questions d'ordre sécuritaire et on oublie sciemment ou inconsciemment que «prévenir vaut mieux que guérir». Le secteur des transports est convalescent, mais on peut encore le guérir. L'autoroute Est-Ouest, le métro, et le tramway sont autant de grands projets qui assureront, aprés leur achévement, certainement, un meilleur confort aux usagers et leur feront oublier définitivement les problèmes de transport.