En Occident, la méconnaissance au sujet des musulmans est immense. La crise du savoir est profonde. L'incertitude règne. Les universitaires à travers le monde souffrent du cloisonnement de leurs disciplines. Une discipline en particulier est en recul, alors que les enjeux sont majeurs: l'islamologie. La culture générale au sujet de la religion et civilisation islamiques reste faible, même en terre d'Islam. Cela fait le jeu des dérives, des manipulations et de la désinformation. L'intégrisme et l'islamophobie ont surtout pour source l'ignorance. Les établissements traditionnels d'Al Azhar aux instituts de formation islamique à travers les pays musulmans, n'arrivent pas à répondre aux évolutions et aux défis d'un savoir adapté. Faire reculer l'ignorance En Occident, la méconnaissance au sujet des musulmans est immense. Alors que l'Europe est actuellement frileuse et se laisse traverser par le populisme et le sentiment antimusulman, une université espagnole à Barcelone, dénommée Ouverte de Catalogne, a ouvert un Master international d'Etudes islamiques et arabes par Internet pour tenter de faire connaitre le vrai Islam. Pays de la symbiose entre cultures méditerranéennes, terre catalane éprise d'interculturel et de vivre-ensemble, Barcelone donne l'exemple. Ce master interdisciplinaire vise à enseigner la ligne médiane de l'Islam, sous des angles différents. Il a pour but de former à des compétences multiples, à prendre du recul, critiquer de manière constructive, sortir de l'apologie ou du dénigrement, articuler des connaissances d'horizons différents. Il s'agit de concevoir l'unité de ce qui était confondu, opposé ou disjoint, et de constituer un nouveau schéma cognitif, un savoir interdisciplinaire, polydisciplinaire et transdisciplinaire, qui permettent de créer l'échange, la coopération, la polycompétence, l'aptitude à nuancer et saisir la singularité, comme le sens de l'Islam, cet inconnu, compte tenu de la complexité des problèmes et des points d'aveuglement de chacun. Une interconnexion des paradigmes des sciences de la société, de la théologie et de la nature est visée. En Islam, le rapport nature-culture est central plus que celui du binôme profane-sacré. Assurer la clarification et la circulation des concepts en jeu et enseigner les différents modes de leurs déconstructions dans un langage du présent, pour découvrir de nouveaux éclairages insoupçonnés, rapport entre le tout et la partie, sont parmi les buts d'un enseignement pluridisciplinaire nouveau, comme le master interdisciplinaire d'Etudes islamiques et arabes, créé il y a 2 ans, en langue française, à cette prestigieuse Université Ouverte de Catalogne, première université européenne par Internet. Ce master contourne la clôture disciplinaire et l'ethnocentrisme, en s'appuyant sur l'affirmation d'Averroès: «La vérité (de la foi) ne saurait être contraire à la vérité (de la raison).» C'est un master d'islamologie ouvert sur les enjeux du monde contemporain en apportant la connaissance de la religion et civilisation musulmanes. On découvre le Coran, le Prophète, le droit islamique, le fiqh, le soufisme, la sociologie des musulmans, les droits humains en Islam, l'économie islamique...sous un regard neuf et universel. Favoriser le débat Le savoir prodigué n'ignore pas la confrontation particulière et les débats entre des universaux élaborés respectivement ou conjointement par l'Occident et l'ensemble arabo-islamique, l'un et l'autre ouverts à plus d'un devenir commun possible. Se mettre dans l'axe de l'autre c'est par exemple comprendre, d'une part, que la sortie de la religion en Occident, c'est le passage dans un monde où les religions ne sont pas seulement séparées du politique et d'un ordre collectif qu'elles ne déterminent plus, mais courent le risque de la marginalisation irréversible et d'autre part, que la vision de l'Islam, qui lie religion et monde, n'est pas totalitaire. L'enseignement forme au sens critique, au débat, à la construction de passerelles, à la négociation, aux aménagements constructifs, à l'interprétation et à la hauteur de vue pour sortir de toutes les formes d'extrémisme et d'enfermement. Dialoguer c'est accepter de devenir autre que ce l'on est -c'est reconnaître l'existence d'un processus qui expose au changement les interlocuteurs. Le master s'intéresse en particulier aux citoyens européens de confession musulmane, une réalité plurielle qui mérite une étude scientifique attentive. Le monde musulman, notamment méditerranéen, est singulier, hétérogène et lié à l'Europe. La complexité et la proximité exigent le transdisciplinaire. Les questions politiques, économiques et culturelles de l'Occident et de l'Orient sont imbriquées. Les thèmes de fond se posent tel comment assurer le vivre- ensemble dans la région et comprendre la présence des musulmans en Europe. L'ignorance est souvent la cause des problèmes. L'Islam est méconnu, sujet à des polémiques, des controverses et mêlé à des problèmes politiques et sécuritaires. Dans toutes ses facettes, l'Islam est scientifiquement étudié par ce master international et pluridisciplinaire pour répondre aux exigences et besoins de tous les professionnels qui ont des rapports avec le monde musulman. A travers l'acquisition de connaissances argumentées, approfondies et compréhensibles, le master à une maitrise complète qui implique plusieurs domaines de connaissances précises. Connaître la foi musulmane, la société islamique, ses fondements et la mentalité des citoyens musulmans pour faciliter l'interconnaissance, le partage, le codéveloppement, la coopération économique, passe par le débat sur le dépassement des frontières mentales et culturelles. Cet enseignement répond aux questions fondamentales au sujet de l'Islam et aux interrogations légitimes des musulmans et des non- musulmans. Comment le comprendre, le mettre en pratique, aujourd'hui, afin de favoriser le développement et non l'archaïsme, est-il une mystique, une doctrine, un code de vie, quelles sont les convergences et les divergences avec les autres religions? La dimension transdisciplinaire permet des réponses et s'adresse à tous les publics. Le recul de l'interconnaissance et la crise des sciences constituent des raisons pour enseigner la culture sur la base de l'interdisciplinaire, encore plus pour l'Islam perçu comme l'autre version de l'humain. Eduquer à l'ouverture Sans relativisme, ni syncrétisme, il faut éduquer à l'ouverture, l'interconnaissance. Philosophie, histoire des sciences, théologie et sociologie, anthropologie, linguistique, économie, se côtoient pour former une tête bien faite, apte à l'esprit critique, sans se flageller, tenter de cerner des trous noirs de la pensée moderne: les valeurs abrahamiques, coraniques, les notions de mystère, de révélation, de foi, d'être commun, du vivre-ensemble, rapport entre individu et communauté, humanisme et transcendance, subjectivité et objectivité, spécificité et universalité. Les sociétés de la rive Sud sont faibles faute de savoir, de connaissances scientifiques, de culture vivante, d'espaces de débat. Sans la notion d'information, l'humain et l'organisation vivante restent inintelligibles. Le savoir vise à faciliter l'interconnaissance, à cultiver, former et informer, dessiner la ligne médiane, directrice du Message, en reliant entre elles des connaissances disciplinaires pour comprendre comment fonctionne l'univers de l'Islam et son histoire. Les concepteurs sont partis d'un constat: malgré les travaux de l'orientalisme, l'Islam est méconnu. L'étude de l'Islam en Europe est presque inexistante dans les programmes scolaires et universitaires. Dans le meilleur des cas, il se trouve morcelée entre différentes disciplines: historiques, théologiques, sociologiques, économiques, ethnologiques, anthropologiques, politiques, poétiques, linguistiques, littéraires, juridiques, et autres aspects multiples d'une réalité une et mouvante. On ne peut se résoudre à l'émiettement ou à la dilution. Etudier ce champ vise à cerner et dresser la figure du sujet étudié, le paradigme, à partir et au-delà de la diversité. L'hétérogénéité, les écarts, les différences sont étudiés pour tenter de tracer l'unitaire. L'interdisciplinarité signifie ici désenclavement, interaction, échange et coopération, association de savoirs en vertu du projet: relancer l'islamologie, en tenant compte de la crise, de la décadence, et des contextes problématiques, les conditions culturelles et sociales, et les métamorphoses. Etudier l'islamologie, il n'y est pas question de simples techniques, mais de ce qu'elles servent, des besoins forts de coopération, de dépassement du fondamentalisme d'une part et de l'islamophobie d'autre part, retrouver un sens de la vie, des fins de l'engagement partagé, rapprocher les peuples, en se tenant éloigné des approches idéologiques. Le contenu des cours met en dialogue les références fondatrices avec les réalités. Le futur Master 2 en islamologie, lorsqu'il sera mis en place, traitera d'autres thèmes comme la psychologie, l'anthropologie, l'écologie, l'urbanisme islamiques, et d'autres aspects qui seront approfondis, afin de permettre la spécialisation. Il faut donner la priorité à la culture et à l'éducation pour inventer le futur et sortir du désert de l'inculture. Dans un monde émietté, soumis d'un côté à la dictature du Marché, d'un autre à l'obscurantisme, des savoirs fondamentaux et parcellaires se confrontent pour rechercher le progrès et l'authenticité conjugués. Il faut garder le cap sur la ligne médiane, du juste milieu. L'intellectuel confronté à la complexité doit faire sienne cette pensée philosophique: «Impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties». (*) Philosophe [email protected]