Le pays était hier au bord du gouffre, alors que le Conseil constitutionnel pourrait proclamer incessamment la victoire du sortant Laurent Gbagbo à la présidentielle, pourtant remportée par Alassane Ouattara, selon la CEI. «Un pays, deux présidents bientôt?», interroge en Une le quotidien privé L'Inter. Toujours sous couvre-feu jusqu'à demain, le pays est en partie coupé de l'extérieur après la décision de l'armée de fermer les frontières et la suspension de la diffusion des chaînes d'information étrangères comme France 24, mais aussi de Radio France Internationale (RFI), médias très écoutés et regardés par les Ivoiriens. Cependant, la partition de la Côte d'Ivoire depuis le putsch raté de septembre 2002 reste une réalité incontournable. Ne contrôlant que le sud, l'armée n'est pas en mesure de boucler les frontières nord. Et à Bouaké (centre), fief de l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) qui tient la partie septentrionale, les habitants continuaient de recevoir France 24 ou RFI, a-t-on constaté. Après des jours de léthargie depuis le scrutin de dimanche, et au lendemain d'un incident qui a fait huit morts dans une permanence du parti d'Alassane Ouattara dans un quartier de la capitale économique ivoirienne, Abidjan commençait à reprendre son activité normale, du quartier de Port-Bouët (sud) à Adjamé (nord). Toutefois, dans le quartier d'Abobo, bastion de M.Ouattara qui a été récemment le théâtre de violences meurtrières, la tension était perceptible. Des groupes de sympathisants, certains vêtus de T-shirt à l'effigie de leur champion, et d'importants détachements de forces de sécurité arme au poing se regardaient en chiens de faïence. «Tout est entre les mains de Dieu, toute la Côte d'Ivoire est en prières», confie un passant, espérant qu'un drame soit évité. Jeudi après-midi, à la surprise générale et à la sauvette, le président de la Commission électorale indépendante (CEI), Youssouf Baka-yoko, avait annoncé, depuis l'hôtel où Alassane Ouat-tara avait installé son QG de campagne, la victoire de l'ex-Premier ministre avec 54,1% des suffrages, contre 45,9% pour Laurent Gbagbo. Mais dans la foulée, le président du Conseil constitutionnel, Paul Yao N'dré, un proche du chef de l'Etat, a jugé que ces résultats provisoires n'étaient pas valables, le délai légal d'annonce ayant expiré mercredi à minuit (00h00 locales et GMT). Le Conseil, qui a le dernier mot et sept jours pour proclamer le vainqueur, devait faire une annonce imminente. Les résultats définitifs seront proclamés dans «les heures qui suivent», a promis M.Yao N'dré jeudi. Sauf surprise, il devrait satisfaire la demande du camp de Laurent Gbagbo - au pouvoir depuis dix ans - d'invalider des votes «frauduleux» dans le nord sous contrôle FN, assurant ainsi une victoire au sortant. Le chef de l'Etat pourrait alors être rapidement investi. La balle serait alors dans le camp d'«ADO», comme ses partisans surnomment Alassane Ouattara, qui a appelé son rival à respecter le verdict des urnes. En Côte d'Ivoire comme à l'étranger, beaucoup craignaient une explosion de violence après deux semaines de fortes tensions marquées par une série d'affrontements sanglants. Le Conseil de sécurité de l'ONU a menacé de «prendre les mesures appropriées» contre ceux qui entravent le processus électoral. Le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a averti qu'il «surveillait» la situation. «La communauté internationale ne choisit pas le président des Ivoiriens», a répliqué un proche du chef de l'Etat, l'ambassadeur ivoirien à Paris, Pierre Aimé Kipré. Dans les rangs des pro-Gbagbo, la rhétorique contre la France, accusée de soutenir Alassane Ouattara et d'être derrière le coup d'état raté de septembre 2002, est visiblement repartie de plus belle. Pour Notre voie, quotidien du parti présidentiel, «le coup d'Etat de la France a encore échoué».