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«Faire de belles choses par fierté» SAFY BOUTELLA À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 05 - 01 - 2011


Il a été invité au Festival international du film arabe d'Oran où il a coanimé une conférence sur la musique et le cinéma. Serein, l'artiste a généreusement offert au public son coffret de 16 CD, lequel retrace près de 30 ans de sa riche carrière consacrée à la musique. S'il n'a pas gagné grand-chose sur sa vente d'albums, Safy Boutella a tenu tout de même à faire don de ses bénéfices au profit d' une association, elle aussi au nom symbolique, La Cité des anges. Toujours prolixe et le coeur plein, il nous revient avec de nouveaux projets des plus intéressants. L'Expression: Lors de la conférence que vous avez coanimée, et qui portait sur la musique de films, vous avez déclaré que le projet de création d'une école de musique traînait encore. Où en est donc ce projet? Safy Boutella: Je ne sais pas. C'est peut être de ma faute si les choses traînent. Je ne suis pas dans la position où j'en veux à qui que ce soit de ne pas faire. Peut-être que les pouvoirs publics ont besoin qu'on insiste et comme je suis à l'origine de ce projet, je devrais peut-être relancer à chaque fois. Mais, si je ne relance pas aussi souvent que cela est nécessaire, c'est pour deux rasions: la première c'est que j'ai eu l'idée de constituer le dossier, je le donne et pour moi on doit le prendre au sérieux immédiatement, car c'est un projet intéressant, après je peux attendre, une semaine, un mois, deux mois, voire six mois, ensuite je me mets à penser que les gens n'ont pas envie, et moi, pendant ce temps-là j'ai autre chose à faire, je fais des musiques de films, des concerts. La deuxième raison est que l'idée de l'école c'est parce que je veux qu'il y ait des prolongements, une formation pour les jeunes, car j'en ai marre de voir des jeunes se démener seuls sans encadrement, sans lieu d'épanouissement, tout en enviant les étrangers, ce qu'ils voient à la télé... Ça m'est insupportable. Mais entre-temps, je fais des choses car tel est mon métier et non pas rester à Alger, partagé entre la Présidence et le ministère de la Culture. Il y a des gens qui me disent ça, de se mettre sur le projet et ne pas lâcher le morceau. Malheureusement, je ne peux pas. Car si je ne fais que ça, je ne pourrais pas faire le reste et le reste me paraît important aussi. Dans un pays normal, on viendra me dire, effectivement, que «l'idée est très intéressante, nous sommes bel et bien le carrefour entre l'Occident et l'Europe, l'Amérique, le Moyen-Orient et l'Afrique, faisons le projet!» On me demanderait si j'ai besoin d'aide et on m'orienterait vers quelqu'un qui m'aiderait à rendre plus grand le projet. Il faudrait peut-être avoir un relais à Alger... Probablement, oui, un relais sérieux, etc. mais nous sommes les spécialistes de la parlote et des gros événements et puis, plus rien, c'est terminé. On ne capitalise pas. Pourquoi le spectacle La Source n'a eu lieu qu'une seule fois à Alger, c'est sérieux ça? Pourquoi La Source ou un autre spectacle n'a-t-il pas été envoyé par l'Algérie ailleurs? Une dame vous a reproché le fait qu'on ne vous voit qu'à des occasions sporadiques et puis plus rien. C'est pareil. Qui distribue les disques? J'ai fait un coffret dans des conditions tellement compliquées, les gens le trouvent trop cher. Si on l'a fait très beau, c'est parce que je voulais faire les choses bien. On a le devoir de faire des choses belles pour qu'elles durent. Cela relève de la fierté et peut susciter l'émulation. Il faut faire les choses belles pour donner envie aux autres d'en faire autant. C'est une chaîne tout ça. En plus, vous l'avez vendu ici à Oran à perte Bien sûr qu'il se vend à perte, mais moi le but ce n'est pas de faire de l'argent avec, c'est pour que les gens arrêtent de me dire qu'on n'entend pas ma musique. Actuellement, je suis en train de travailler sur un nouveau format de coffret, pas moins beau, mais moins coûteux, moins volumineux. Heureusement que vous arrivez à gagner votre vie, autrement, si on peut dire, en montant des projets ici et ailleurs, notamment celui portant sur les chevaux et qui s'est déroulé l'an dernier aux USA. Pourriez-vous nous en parler? Effectivement il s'agit d'Un conte sur le cheval, autrement l'histoire du cheval arabe, qui a eu lieu dans la capitale mondiale du cheval, à Lexington, dans l'Etat du Kentucky. C'était une production saoudienne. Ils ont pensé à moi pour faire ce show. En effet, cela rapporte, ça permet de t'aider financièrement à faire des choses pour lesquelles parfois tu ne trouves pas de budget. Alors, de l'Algérie aux USA, puis au Maghreb, aujourd'hui les pays voisins vous sollicitent beaucoup. D'abord, la Tunisie, via Nesma TV puis bientôt le Maroc, un mot à ce sujet. Oui, j'ai été d'abord invité par Nessma TV pour parler de mon travail, ensuite ils m'ont confié des missions. On devait travailler sur une Star Academy Maghreb en 2009, mais ça s'est arrêté. Mais moi j'avais commencé le boulot quand même. J'en suis à 70 morceaux de musique maghrébine qui ont été revisités et qui attendent dans les tiroirs. On envisage de faire un autre type d'émission qui n'est pas la Star Academy mais un autre modèle, ça devait commencer en décembre mais ça va être décalé. En général, je n'aime pas ce genre de choses, mais la différence est que chez nous, il faut faire des choses dans tous les sens. Que ce soit Star Académy ou Taratara, l'essentiel est de présenter des artistes maghrébins avec une nouvelle façon de les envisager, dans une émission qui soit à la fois moderne et percutante dans laquelle les jeunes se retrouvent. Le but est que les jeunes, quand ils partent en boîte, ils n'écoutent pas que Beyonce ou Shakira, mais de la musique maghrébine, punchy dont ils se sentiront fiers. Quand on réfléchit à l'impact que peut avoir une telle émission, en faisant participer des jeunes, c'est important, car ils vont interpréter des morceaux du patrimoine, mais revisités, c'est de les mettre, eux, dans une situation et une configuration modernes et cela devient une vitrine pour le reste du monde quand on fait les choses de façon professionnelle. Et qu'en est-il du Maroc? Je suis sur un projet qui entre dans le cadre de la célébration du 10e anniversaire du Festival Mawazine. Il s'agit d'un concert qui va s'appeler Nass el ghiwane par Safy Boutella. C'est un nouveau projet sur lequel je travaille en plus du CD et DVD. Le concert aura lieu le 22 mai à Rabat. On a choisi une quinzaine de morceaux. Je les ai enregistrés, on s'est rencontré plusieurs fois. Je suis sur la phase préparation. L'Algérie est donc pour l'instant mise à l'écart... C'est où l'Algérie? Quand je me rends compte depuis deux ans que je vais à Tunis, à Casa et puis rebelote, que je ne viens pas à Alger, ça me fait un drôle d'effet. Il faut aller vers les gens qui font des choses. En 1987, l'idée était partie d'ici de faire un album avec Khaled. Il y avait des gens qui étaient derrière pour qu'on le fasse. Je suis parti en France, puis en Angleterre pour faire l'album. Là, maintenant, la Tunisie m'appelle pour faire des choses. Je suis Maghrébin aussi.Je me demande si je ne suis pas plus Maghrébin qu'Algérien? Vous me connaissez pourtant, je suis à 100% Algérien. Si je me sens ce patriotisme aussi fort, c'est parce que justement je trouve que les choses ne marchent pas assez chez nous. J'aurai voulu que ça aille plus vite. Quand je faisais des choses dans les années 1980, puis 1990, puis il y a eu un trou, à chaque fois je me disais «ça va enchaîner». Mais à un moment donné ton patriotisme s'essouffle. Je ne dirai pas que j'ai perdu espoir, car je ne perdais jamais espoir, mais depuis que les Tunisiens et les Marocains s'intéressent à moi, c'est vrai, l'idée d'un grand Maghreb m'intéresse. Me sentir maghrébin ça me parle. Un artiste algérien pour moi, n'est pas pareil qu'un artiste hollandais ou américain, ou anglais. J'aurais adoré il y a 5, 10, 15 ou 20 ans, que nous marchions à la vitesse à laquelle beaucoup d'entre nous voulions que ça marche. Auquel cas aujourd'hui, on serait à la tête de ce Maghreb, on serait des locomotives. Là, on est en train de se faire un peu doubler, et par la Tunisie et par le Maroc. Ils n'ont pas peur, eux, ils invitent des pointures internationales. Car c'est important. Il n'y a pas que le Monde arabe, il faut ramener aussi les autres. Il ne faut pas avoir peur. Il ne faut pas avoir de complexe. On a réussi à hisser le raï au niveau mondial. N'ayons pas peur. Et surtout, ne disons pas qu'on n'a pas d'argent. Ce serait une honte pour nous. A côté, on ramène Sting, Stevy Wonder, etc. Cela finit par complexer le jeune Algérien. Ça entretient la frustration. Pourquoi?

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