L'Egypte a procédé à la fermeture des bureaux d'Al Jazeera au Caire. C'est ce qui s'appelle casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre. C'est une véritable arme de destruction des dictatures arabes. Al-Jazeera, s'impose aujourd'hui, comme un formidable contre-pouvoir faisant trembler, par sa couverture, les pouvoirs arabes. «Il ne fait pas de doute qu'Al-Jazeera a été un acteur important dans la révolution tunisienne et dans les manifestations qui se produisent en Egypte», estime l'universitaire émirati Abdel Khaleq Abdallah, qui ajoute que les gouvernements arabes accusent Al-Jazeera de mobiliser la rue. Même le prestigieux New York Times rend hommage à la télévision arabe qui a marqué, par son traitement, l'information sur les chaînes de télévision, en déclarant qu'Al-Jazeera est devenue la voix qui unit les Arabes, en soulignant que le Monde arabe est témoin d'un moment historique où les gens se rapprochent et perdent confiance dans leurs gouvernements. Le journal a indiqué dans un rapport de son correspondant à Beyrouth, Anthony Shadid, que la force motrice au Moyen-Orient dans le passé a été La voix des Arabes, radio lancée par l'ancien président Gamal Abdel Nasser. Aujourd'hui, le réseau Al-Jazeera et le poète tunisien Abou al-Qasim al-Chabi, constituent, à eux seuls, la nouvelle force motrice du Monde arabe. Après avoir coupé Internet pour barrer la route à facebook et Twitter, le gouvernement égyptien, a pas retenu la leçon des Tunisiens. Les sbires du Raïs ont coupé le signal Nilesat par lequel diffuse Al-Jazeera et procède à la fermeture des bureaux de la chaîne Qatarie au Caire. C'est ce qui s'appelle casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre. La réaction de la chaîne arabe au célèbre logo calligraphique ne s'est pas fait attendre, puisqu'elle a lancé une guerre médiatique contre le gouvernement égyptien. Des bandes annonces aux allures de guerre semblables à celles diffusées durant la guerre de Ghaza, sont diffusées sur tout le réseau de la chaîne Qatarie tout en condamnant cette décision et en affirmant qu'elle visait à «censurer et faire taire la voix du peuple égyptien». Les images de la répression et de la révolte des Egyptiens sont diffusées en boucle et une nouvelle guerre médiatique a bien commencé. Al-Jazeera poursuit sa mission d'information et diffuse pour environ 400 millions de téléspectateurs dans le monde. Habituellement, 40 millions regardent quotidiennement la chaîne, son audience s'est multipliée par dix depuis le début de la contestation en Tunisie puis en Egypte. En coupant le signal sur Nilesat, le gouvernement égyptien a commis une grande erreur stratégique, puisque Al-Jazeera, émet également sur d'autres satellites dont Arabsat, qui couvre la même région du monde arabe que Nilesat. C'est le ministre égyptien sortant de l'Information Anas el-Fekki, connu pour avoir fermé des stations de télévisions proches des islamistes lors des élections locales, qui a ordonné dimanche matin l'interdiction d'Al-Jazeera, qui a largement couvert les manifestations anti-gouvernementales depuis quatre jours. Outre une couverture exhaustive des protestations, la chaîne a diffusé samedi un appel de cheikh Youssef Al-Qardaoui, théologien qatari d'origine égyptienne et mentor des Frères musulmans, réclamant le départ du président égyptien Hosni Moubarak. Al-Jazeera a fait intervenir aussi plusieurs théologiens égyptiens tels que Amrou Khaled, mais aussi des opposants politiques au régime comme Al Baradei. Au moment où les télévisions égyptiennes focalisent sur la lutte contre les casseurs et voleurs, Al-Jazeera met l'accent sur la fraternisation des militaires avec les manifestants mais surtout sur les rassemblements de réactions hostiles à la désignation de Omar Souleiman, comme vice-président. C'est cette vision qui a le plus dérangé le pouvoir en Egypte qui a décidé de fermer le bureau d'Al-Jazeera situé au centre névralgique de la capitale égyptienne sur le Cairo's Gelaa Street. Mais ce traitement de l'information est aussi mal vu par d'autres pays arabes qui sont également sur le point de procéder à la fermeture des bureaux d'Al-Jazeera. Ainsi, le président yéménite, Ali Abdallah Saleh, dont le pays a connu des manifestations anti-gouvernementales jeudi, avait appelé au téléphone l'émir du Qatar, cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, lui demandant «d'intervenir auprès d'Al-Jazeera pour calmer le jeu et de ne pas avoir recours à la provocation, à la falsification des faits et à l'exagération» dans sa couverture des manifestations, affirme l'agence officielle yéménite Saba. Les adversaires de la chaîne lui reprochent d'être la caisse de résonnance des islamistes extrémistes, des opposants politiques et surtout de ne pas être impartiale. Selon l'analyste libanais basé à Londres, Abdallah Badrakhan, la couverture des protestations en Egypte par Al-Jazeera a été différente de celle des premiers jours de la révolution tunisienne. «Lors des premiers jours, elle a montré qu'elle n'était pas disposée à traiter la question égyptienne de la même manière qu'elle avait traité le soulèvement en Tunisie», avant de renforcer sa couverture, a-t-il ajouté. C'est vrai car au moment où la rue avait commencé à bouger au Caire, la chaîne donnait encore l'exclusivité à la couverture de ses révélations sur la position de l'Autorité palestinienne dans les négociations avec Israël, qui ont suscité une vive controverse. Le principal négociateur palestinien, Saëb Erakat, avait accusé la chaîne de se prêter à «une campagne visant l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans le but de renverser l'Autorité palestinienne», avec ses révélations selon lesquelles les négociateurs palestiniens étaient prêts en 2008 à des concessions sur Jérusalem-Est et sur le droit au retour des réfugiés de 1948. C'est à cause de ce genre de traitement et d'autres que les activités d'Al-Jazeera avaient déjà été suspendues au Maroc et au Koweït. La chaîne avait également eu des problèmes avec la Jordanie et Bahreïn.