La clameur «Moubarak dégage! et quitte le pays», emplie de ferveur et d'une rage enfin libérée, s'est fait entendre, hier, à travers toute l'étendue de la vallée du Nil. Enfin, le peuple égyptien emporté par le vent des libertés, refuse, décidément, de se plier au dernier des «Pharaons». Il s'accroche ainsi à Mohammed El Baradei, en lui cédant le gouvernail de la marche vers la liberté et la démocratie. Islamistes, organisations politiques et de la société civile égyptienne ont trouvé enfin, un homme de consensus, autour duquel une Coalition nationale pour le changement est née. Incarnant le «Changement et l'Espoir», l'ex-directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (Aiea) aux yeux des Egyptiens, le prix Nobel de la paix a été désigné pour mener le dialogue avec les gardiens du «temple» Moubarak. Aujourd'hui, les «Enfants du Nil» sont des millions à marcher en Egypte, derrière un homme, un symbole Mohammed El Baradei qui, de tout temps, a appelé à une «rupture radicale et pacifique» avec le régime du Raïs. Le temps de la rupture est-il arrivé? Et pour reprendre l'expression d'un citoyen algérien, accroché aux événements d'Egypte via les chaînes satalitaires: «Le prophète Moussa est de retour, que fera le Pharaon (Moubarak)?» Car, aujourd'hui, la seule et unique revendication scandée en permanence par les Egyptiens emportés par l'élan de leur révolution, quitte à être réprimés dans le sang par les vigiles encore fidèles au Raïs, est indiscutablement le «départ de Hosni Moubarak» qui, jusqu'ici, n'a pour seul et unique soutien que celui des Israéliens. Considéré, par nombre d'analystes avertis, comme l'homme providentiel pour l'Egypte, les puissances occidentales se montrent sceptiques quant au rôle que peut jouer le prix Nobel de la paix. «El Baradei est un personnage respecté mais aussi un homme très seul qui n'a pas de parti», a souligné Denis Bauchard, ancien diplomate spécialiste du Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Dans le même contexte, un diplomate occidental sous couvert d'anonymat a relevé, quant à lui, qu'«El Baradei, ce qui lui manque, c'est un relais populaire, c'est un soutien à la fois dans l'armée et dans la bourgeoisie du régime». De son côté, Thomas Hasel, spécialiste de l'Afrique du Nord à l'Université libre de Berlin a noté qu'«il voit El Baradei comme quelqu'un de crédible, ´´mais la question est de savoir s'il sera en mesure de changer les choses ou bien s'il sera seulement une marionnette». S'agissant des Américains, il y a lieu de dire que ces derniers lui gardent encore rancune. Car, en tant que chef de l'Aiea, il n'avait pas ménagé la politique américaine, à propos de l'Irak, puis de l'Iran. Avant l'invasion américaine de 2003 en Irak, il met en doute le fait que Saddam Hussein mène un programme nucléaire secret, ce qui exaspère Washington, mais lui confère une certaine aura dans d'autres pays. L'ambassadrice des Etats-Unis au Caire, Margaret Scobey, s'est entretenue, hier, au téléphone avec Mohammed El Baradei. Margaret Scobey a fait savoir à son interlocuteur que Washington «souhaite une transition politique mais ne veut pas dicter à l'Egypte la direction à prendre», a souligné une source au fait de la discussion, en relevant toutefois que «la conversation téléphonique constituait le premier contact de Mme Scobey avec M. El Baradei depuis qu'il est rentré dans son pays il y a quatre jours».