Les présidentielle égyptienne de décembre 2011 est d'ores et déjà sous les feux de la rampe. Alors que Moubarak a préparé son fils Djamel pour lui succéder, l'opposition égyptienne, atomisée et divisée, n'arrive pas à se constituer comme alternative. Les conditions de la candidature à la présidence de la République sont si draconiennes que l'ancien chef de l'AIEA, El Baradei ne peut prétendre à la magistrature suprême égyptienne. Selon la Constitution égyptienne, le candidat à l'élection présidentielle doit être membre de la direction depuis au moins une année d'un parti qui existe depuis au moins cinq ans et qui a obtenu pas moins de 5% à l'élection présidentielle. Les candidats indépendants doivent avoir le soutien d'au moins 250 membres élus des deux chambres du Parlement ou des conseils municipaux, des instances dominées par le Parti national démocratique (PND) au pouvoir. Manifestement, la Constitution égyptienne est taillée sur mesure pour Moubarak et son fils dont la candidature suscite autant d'inquiétude que de colère dans les rues égyptiennes, notamment en milieu jeune qui se mobilise sur le terrain et investit Internet pour exprimer sinon son soutien à El Baradei ou le général Souleiman, du moins s'opposer fermement au système héréditaire que Moubarak veut imposer. Face au dilemme de la candidature impossible d'El Baradei, à moins que la Constitution soit amendée, des grafittis dans les rues du Caire, ont annoncé un autre scénario : la candidature de Omar Soleiman, chef des services secrets égyptien. Trois candidatures et un scénario impossible Ainsi, trois noms occupent le haut du pavé en Egypte : Djamel Moubarak, candidat du clan présidentiel et d'une partie du régime, notamment la bourgeoisie égyptienne dont les intérêts ont été très bien défendus par les Moubarak. Cependant, l'aile nationaliste du régime égyptien, soucieuse de préserver l'image de l'Egypte et l'intérêt public, ne soutient pas cette alternative qu'incarne Djamal Moubarak à qui elle préfère et de loin, le général Omar Souleiman, fils du système, garant de la stabilité et de la continuité et ouvert pour un infitah politique prudent et lent mais nécessaire car l'Egypte du troisième millénaire a trop grandi pour un régime sclérosé. M. Sleimane compte, rappelle-t-on, parmi les plus importants collaborateurs du président égyptien dans la politique étrangère et occupe le poste de chef des services de renseignement depuis environ 20 ans, ce qui fait qu'il connaît tous les dossiers, que ce soit au niveau de la politique intérieure ou étrangère en particulier. Enfin, Mohamed El Baradei, un diplomate chevronné dont le discours a suscité d'immenses espoirs chez la classe moyenne et les jeunes Egyptiens qui voit en lui, un réformateur politique et économique à même de remettre l'Egypte sur les rails du développement et sur la voie du retour dans le giron de la nation arabe. Si constitutionnellement, la candidature de Djamel Moubarak et celle de Omar Souleiman ne posent pas de problème, celle de Mohamed El Baradei, en revanche est problématique. A ce propos, on se trouve devant deux scénarios pour qu'un changement puisse avoir lieu, comme les présente d'ailleurs l'analyste politique égyptien Amr Elshobaki : le premier, c'est que les institutions de l'Etat (establishement) égyptien procurent leurs accords à El Baradei et puissent par la suite l'imposer au Parti national démocrate (PND) aux prochaines élections. De ce fait, contrairement aux candidats de l'opposition politique, la provenance d'El Baradei du cœur même de l'Etat aurait son impact décisif sur une partie importante des ailes réformatrices présentes au sein même du parti au pouvoir ainsi qu'au sein de l'Etat. Le deuxième serait la présentation d'El Baradei comme président pour une période de transition dans laquelle un changement constitutionnel aurait lieu. Ce scénario fut présenté par ailleurs par le grand journaliste égyptien Mohamed Heykel, où il affirma la nécessité d'établir un conseil qui présiderait le pays pour une période transitoire et protégerait une nouvelle Constitution naissante. Par ailleurs, le deuxième scénario apparaît comme étant un peu romantique vu qu'aucune pression réelle ne pourrait contraindre le régime à l'établir. Or, les expériences de transition démocratique précédente nous ont montré que le régime en place n'accepterait d'établir des concessions que s'il se trouvait contraint à le faire. Or, cette condition n'est pas encore présente en Egypte. Ce scénario est aussi impossible parce que El Baradei semble vouloir les pleins pouvoirs d'un président démocratiquement élu, pour pouvoir opérer vite les changement institutionnels et constitutionnels qui feraient de l'Egypte une démocratie arabe et africaine capable de jouer un rôle régional, continental et international à sa dimension.De ce fait, les déclarations d'El Baradei veulent dire qu'un amendement de la constitution qui a posé des conditions draconiennes pour la présentation des candidats indépendants doit s'établir. Cette volonté d'établir un amendement Constitutionnel a donc été celle qu'il exprima dans sa deuxième déclaration : «Je suis pour une action pacifique pour le changement de la Constitution. Le changement ne pourrait avoir lieu qu'à travers une volonté populaire. Je vais travailler avec le peuple. Si le peuple arrive à changer la Constitution, je serai à son service.» Cette déclaration quoique ambiguë, présente une importance historique pour l'Egypte car elle incarne la possibilité de l'avènement d'un changement dans une période où on ne voyait que le fantôme de la «succession» apparaître et de plus en plus croître. Une situation qui se confirmait sans aucune alternative possible, à cause de l'emprise du pouvoir sur la vie politique, d'une part et à cause de l'absence de figure crédible au sein de l'opposition, d'autre part. Mais est-ce que cela veut dire qu'El Baradei est un candidat vraiment populaire qui pourrait présenter un défi au projet de la succession ou même à une éventuelle candidature du président actuel Moubarak ? La réponse est oui et non. Certes, El Baradei a tous les atouts indispensables qui font de lui un candidat potentiel. C'est une personnalité qui a une reconnaissance et un poids internationaux et qui a déjà reçu le prix Nobel. Par la suite, l'exercice d'acte répressif contre lui, non comme Ayman Nour, serait trop difficile à établir. Au niveau interne, c'est une personnalité qui a une bonne renommée mondiale, surtout à cause de sa position ferme face aux Etat-Unis lors de la guerre contre l'Irak. Par ailleurs, il présente l'image du changement non seulement face au régime politique mais aussi face à une opposition politique qui manque de crédibilité, même à ses propres yeux, surtout avec les limites qui furent mises sur son action. En revanche, si El Baradei avec sa réclamation d'un changement constitutionnel a mis le doigt sur l'un des problèmes essentiels qui entrave la vie politique en Egypte, et qui est l'article 76, une pression populaire pour un changement constitutionnel est loin de s'établir en Egypte, au moins à l'heure actuelle. La raison étant la dépolitisation entière du citoyen égyptien ordinaire qui est resté pour des décennies loin de toute vie politique. Même les multiples protestations sociales qui ont envahi l'Egypte depuis 2006, ne sont sorties protester que pour des raisons économiques et sociales, le côté politique étant mis ainsi à l'écart. De ce fait, considérer dans ces conditions qu'un changement puisse avoir lieu sous initiatives populaires ne serait qu'une grande illusion. Par ailleurs, El Baradei ne pourrait être considéré en aucune manière comme étant un candidat populaire, la demande de sa participation aux élections n'étant qu'une réclamation élitiste. Ajoutant à cela qu'avant et durant les élections, la marge de manœuvre du régime reste large. A la capacité du régime de répression des «supporters» d'El Baradei qui ont commencé déjà à établir une campagne populaire pour le supporter, s'ajoute son pouvoir d'acheter des voix électorales ainsi que son pouvoir de contrôler étroitement la radio et la télévision lors des élections. Les élections de façade de 2005 en témoignent. Le poids de l'environnement régional de l'Egypte L'environnement régional de l'Egypte a lourdement pesé sur l'appréciation que font les Egyptiens sur le régime de Moubarak et donc sur l'avenir politique des Moubarak si les urnes étaient libres et transparentes. En effet, l'échec de l'opération d'Israël à Ghaza, en 2009, n'a pas manqué d'induire celui du pouvoir égyptien dans son pari désespéré d'une solution négociée en Palestine, alors que, sur le plan interne, tout ou presque laisse présager une périlleuse transition vers l'après-Moubarak, compte tenu de la situation socio-économique désastreuse du pays et de la crise politique intérieure, sans oublier l'extrême vulnérabilité de l'économie du pays arabe le plus peuplé (82 millions d'habitants) à toute crise de l'eau qui se profilerait à l'horizon. Concernant ce dernier point, le pouvoir égyptien qui avait négligé ces dernières années, la profondeur stratégique du pays en Afrique, particulièrement dans ses relations avec le Soudan et les pays abritant les sources du Nil (Ethiopie, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Rwanda, Burundi, Érythrée), fait front actuellement à la volonté des pays «déversants» de modifier les conditions de partage en vigueur, qu'ils jugent en leur défaveur. L'objectif de ces pays vise, à travers l'institution du vote des décisions à la majorité et non à l'unanimité, à pouvoir se soustraire au veto de l'Egypte ou du Soudan, notamment lors de toute construction de barrage sur le Nil. Le pouvoir égyptien, assuré sans doute du soutien américain, vient d'ailleurs de rejeter hier un nouveau plan de partage des eaux du Nil et toute initiative unilatérale des pays riverains, menaçant de se réserver «le droit de prendre toutes les mesures pour défendre ses droits». En tout état de cause, tôt ou tard, l'Egypte risque d'être menacée dans son exploitation des ressources du Nil, si le pouvoir égyptien continue à se méprendre, et il n'est pas exclu que le gouvernement d'Israël soit derrière la complication des négociations en cours. Il faut rappeler, en effet, que le chef de la diplomatie israélienne, le très controversé Avidor Liberman, qui menaça par le passé publiquement l'Egypte de détruire le haut barrage d'Assouan, visita l'an dernier cinq pays africains, dont justement l'Ethiopie, le Kenya et l'Ouganda, à la tête d'une forte délégation où étaient représentés les secteurs de l'agriculture, de l'eau et de l'armement. L'évolution récente des relations israélo-égyptiennes, refroidies depuis l'opération de Ghaza et à un an de élection présidentielle en Egypte, confirme ainsi que l'Etat hébreu accorde la plus haute importance au déséquilibre démographique entre les deux pays, et que le moyen de pression, voire l'arme dissuasive, de prédilection d'Israël à l'égard de son voisin de l'Ouest est justement celui de la sécurité de l'eau. Devant tant de difficultés, le pouvoir égyptien semble, à l'image du raïs vieillissant et fatigué, sombrer ou en tout cas sur la défensive, comme en témoigne la construction du mur de barrières métalliques sur la frontière avec la bande de Ghaza assiégée, ou encore l'ampleur démesurée qu'a prise l'élimination du onze égyptien de la Coupe du monde de football de 2010 face à son homologue algérien ! En attendant donc le scrutin de 2011, les mouvements de soutien aux successeurs potentiels de Moubarak continueront, sauf imprévu, à alimenter la chronique. Les spéculations portent sur le propre gendre du raïs, Gamal Moubarak (47 ans), qui préparerait un scénario à la syrienne depuis 2004, selon les observateurs avertis de la scène politique en Egypte. D'autres préfèrent miser sur le tout-puissant chef des services de renseignement, le général Omar Suleiman (74 ans), autre prétendant sérieux et favori de l'armée pour mener une transition sans encombre vers l'après-Moubarak. Enfin, une troisième partie de l'opinion égyptienne, sans doute celle qui tient le plus au changement, penche pour l'ancien patron de l'Agence internationale de l'énergie (AIEA), le mystérieux et entreprenant Mohammed El Baradei (67 ans), auquel il appartient encore de provoquer la levée des obstacles institutionnels qui se posent à son hypothétique candidature. Mais, force est de constater que, quel que soit le futur nouveau raïs égyptien, la transition vers l'après-Moubarak s'avère être une entreprise à hauts risques, tant le pouvoir en place et le milieu d'affaires se trouvent gangrenés par la corruption et le champ politique miné. Le peuple égyptien, si attaché à sa patrie, est à même de relever le défi. En sera-t-il de même du futur leader égyptien dans un pays si fragilisé et une région si sensible ? A. G.