Les opposants à l'état d'urgence ont soupçonné des velléités du pouvoir à utiliser cette mesure comme prétexte pour justifier les restrictions sur les libertés individuelles et collectives. Le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, a chargé, jeudi dernier en Conseil des ministres, le gouvernement de lever l'état d'urgence, en vigueur depuis 19 ans, dans un très proche avenir. Décrété à l'occasion d'une situation exceptionnelle, lorsque la République était menacée par le terrorisme, pour douze mois par le décret présidentiel 92-44 du 9 février 1992, complété par le décret présidentiel 92-320 du 11 août 1992, l'état d'urgence a été prorogé à la faveur du décret législatif 93-03 du 6 février 1993. L'état d'urgence a été instauré dans un contexte particulier marqué par la violence terroriste, l'incertitude quant à l'avenir du pays et la peur de sombrer dans les ténèbres de l'histoire. En effet, après les événements d'Octobre 1988, le pouvoir a été contraint à une ouverture politique et démocratique. Dans ce sillage, une nouvelle Constitution a vu le jour 23 février 1989 et des dizaines de partis politiques ont été agréés dans la précipitation. Des élections locales ont été organisées le 12 juin 1990, et remportées par l'ex-parti dissous, le FIS, qui avait obtenu son agrément le 16 septembre 1989. Ce parti a dévoilé ses intentions d'instaurer une République islamique; ce qui a déplu aux décideurs de l'époque et à l'armée particulièrement. En 1991, le même parti remporte le 1er tour des élections législatives. L'armée intervient et interrompt le 2e tour. La suite est connue: le pays a sombré dans la violence. Un état de siège a été décrété à la fin de 1991 et l'état d'urgence est instauré le 9 février 1992 pour une durée d'une année. La mesure a été prorogée le 6 février 1993. Son objectif était la lutte contre le terrorisme mais, depuis le mois février 1994, date de l'expiration de sa validité juridique, il est contesté et son maintien controversé. Des partis politiques, des organisations de la société civile et du monde associatif n'ont cessé, depuis, de demander son abrogation pure et simple. La demande de la levée de cette mesure a doublé d'intensité depuis le début des années 2000, du fait que le pouvoir a affirmé que le terrorisme est vaincu avec l'adoption en 1999 de la loi sur la Concorde civile et en 2005 de la Charte pour la paix et la Réconciliation nationale. Le pouvoir a renforcé la conviction des opposants au maintien de cette mesure en affirmant à chaque fois que la menace terroriste est quasiment inexistante. Ces opposants ont commencé alors à soupçonner des velléités du pouvoir d'utiliser l'état d'urgence comme prétexte pour justifier les restrictions sur les libertés individuelles et collectives. «L'amélioration de la situation sécuritaire, revendiquée par le pouvoir, enlève tout argument pratique au maintien de cet état de fait. La permanence de cette exception est un alibi pour le contrôle de la vie publique, dont les premières victimes sont les sociétés civile et politique», ont expliqué, récemment, 21 députés dans un communiqué accompagnant leur demande de levée de cette mesure. Maître Bouchachi, président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme, est allé, dans son réquisitoire contre le maintien de cette mesure, jusqu'à accuser le pouvoir de l'utiliser contre le peuple. Pour lui, ce maintien a pour objectif d'étouffer la voix du peuple, le musellement des syndicats, le verrouillage des médias et la limitation des activités des partis politiques. Comme pour son instauration, la levée de l'état d'urgence intervient dans un contexte particulier marqué par des pressions à l'intérieur du pays et des développements et bouleversements de la situation politique dans plusieurs pays, notamment dans la région de l'Afrique du Nord et du Monde arabe.