A travers le massif central kabyle, s'égrenant sur les collines schisteuses et pauvres, une multitude de villages s'essaient à combattre avec leurs maigres moyens la dureté et l'âpreté de la vie. Takhribt et Allela, deux de ces hameaux nous content la triste histoire des hommes aux mains calleuses! Sur le massif central kabyle, de part et d'autre d'un oued à sec la moitié du temps, mais qui sait, souvent, se transformer, l'hiver venu, en furie. Une furie emportant tout sur son passage. Accrochés aux flancs des coteaux schisteux et aux sols aussi ingrats que secs, les villages inconnus de tous mais pleins de vie, s'étalent dans toute leur splendeur et leur misère. Ces villages et hameaux, de véritables Républiques sérénissimes, guidés par le vieux code non écrit de l'honneur, sont aussi déserts la journée que ne peut l'être une vie de fellah pauvre, en attente d'une aide qui n'arrive pas. Ici, les gens n'attendent rien de personne, car aucun n'a jamais pensé à eux, ceux-là qui ont pourtant porté à bout de bras la Révolution armée. Alléla, Kantidja, Takhribt, Tadjdiout, Ighil Aouène, Ikouvaène ou Tizi Ameur, autant de noms de lieux, autant de villages et de hameaux du bout de l'oubli. Sur aucune carte leur nom n'est indiqué, rien ne fait penser que des centaines de personnes habitent ces amas de maisons serrées les unes contre les autres comme pour se faire un peu de chaleur. Seul le tracé d'une route ou encore de temps à autre un ruban d'asphalte jeté sur les collines comme pour dire: «Voyez, on s'en occupe de ces hameaux!» Ces traces de la modernité sont ici comme pour rappeler qu'un jour des fonctionnaires sont passés par-là! Un peu pour se donner bonne conscience et puis c'est tout! La fée électricité a mis bien du temps pour arriver en ces lieux. Les gens, après avoir longtemps attendu, désespèrent, avant qu'un fonctionnaire de quelque bureau cossu et capitonné, ne délivre une autorisation de dépenses. Encore a-t-on pris la précaution de faire participer les villageois en leur demandant de prendre en charge les travaux de terrassement et de creusement des trous pour les pylônes. Le fonctionnaire a certainement poussé un gros soupir, en disant: «Mais pourquoi donc ces gens-là habitent-ils ces coins perdus où rien ne pousse?» Mais ce que le fonctionnaire a oublié dans son raisonnement carré, c'est tout simplement que ce sont ces coins perdus qui ont permis à la nation de ressusciter! Quand la voiture ne peut plus avancer et que la piste se fait raidillon, alors on est en plein massif. Takhribt, petit hameau de quelques dizaines de maisons perdues dans les oliviers et geignant sous une profonde ruralité. Dans ces villages où rien ne pousse que l'honneur et le sens de la parole donnée, il faut rallier directement la djemaâ, le coeur et le centre du village. En ces temps de prérécolte d'olives, aucune occupation sérieuse n'appelle les gens dans les champs, mais pour eux, très proches de la terre, manquer une visite à ses terrains, c'est manquer à tous ses devoirs d'homme ! Sur les dalles de la djemaâ polies par le temps, et où les anciens réchauffent leurs vieux os au soleil d'automne finissant, quelques têtes chenues occupées à deviser du temps qui passe, se lèvent et viennent de leurs pas trottinants à notre rencontre. Souhaits de bienvenue et aussi discrète question sur le but de notre arrivée. L'un des vieux qui s'était éclipsé un moment revient avec du café fumant et un plateau chargé de beignets dégoulinant d'huile, de cette huile qui sent bon la sueur de l'homme et les senteurs de la garrigue. Comment refuser ce qui est offert avec tant de simplicité et de gentillesse et nos hôtes se montrent si prévenants! On enclenche la conversation tout en sirotant le café et sous le regard amusé des enfants attirés par notre présence. Un des enfants, le plus déluré et aussi le plus âgé, essaie de nous entraîner avec lui. «Venez je vais vous montrer notre stade», dit-il fièrement, en ajoutant: «On l'a aménagé nous-mêmes!» On lui promet de passer!