Plus théâtral que jamais, le guide est apparu, mardi soir, drôlement accoutré, mais a surtout donné à voir, à un monde médusé, le prototype de dirigeants qui conduisent les affaires du Monde arabe. Mégalomane jusqu'à la caricature, le «guide» Mouamar El Gueddafi apostrophait méchamment son peuple, le menaçant de mort comme d'utiliser contre lui ses armes de guerre. Ce qu'il ne s'est pas privé de mettre en pratique, dès dimanche soir, contre la population de Tripoli qui est, à son tour, entrée en insurrection contre le tyran. Et le «roi des rois» africains (c'est l'un des titres dont s'est affublé l'incroyable El Gueddafi) de vociférer dans un discours en direct à la télévision d'Etat: «Je ne suis pas un président, que l'on peut révoquer, (comme un Ben Ali ou un Moubarak) moi, je suis un «Caïd» un «Zaïm» (guide) clamait-il face à la stupeur du monde entier. Contestant à son peuple son droit de remettre en cause sa gestion des affaires du pays, El Gueddafi en est venu rapidement à la menace intimant aux manifestants: «Rendez vos armes immédiatement, sinon il y aura des boucheries» comme de «purger (le pays) maison par maison» a-t-il ainsi lancé dans un discours télévisé prononcé à un moment où son aviation bombardait la population de Tripoli et de Benghazi et alors qu'un grand nombre de diplomates faisaient défection. Drapé dans un boubou africain marron, il s'exprimait devant sa maison bombardée en avril 1986 par les Américains et laissée depuis, en l'état. Le symbole de sa maison détruite par l'aviation américaine est surtout inapproprié et constitue un signal erroné, à moins que El Gueddafi considérerait son peuple comme son principal ennemi, l'ennemi à abattre. Ce que les Américains ont clairement annoncé et fait en 1986. Plus préoccupé par le pouvoir que de ce que veut son peuple, El Gueddafi a ainsi actionné les milices de mercenaires africains qui s'en sont donné à coeur joie à casser du Libyen avec l'approbation du «guide» qui est en train de commettre dans son pays, à ciel ouvert, des crimes de guerre et contre l'humanité aggravés par un génocide contre le peuple de Libye. Des diplomates libyens - écoeurés par la nature sanguinaire qu'El Gueddafi étale au grand jour - outre de démissionner en bloc de leurs postes, ont demandé aux Nations unies d'instaurer une zone d'exclusion aérienne en Libye (comme cela a été le cas en Irak en 1991) afin de protéger le peuple libyen. «Le tyran Mouamar El Gueddafi a clairement montré à travers ses fils, le niveau d'ignorance qui les caractérise lui et ses enfants et combien il méprise la Libye», ont ainsi expliqué les diplomates en rupture de banc avec le tyran, rejoints par des ministres qui ont également quitté leurs postes à l'instar des ministres de la Justice et de l'Intérieur qui ont condamné la violence utilisée par le régime tyrannique contre le peuple, ont-ils expliqué dans un communiqué, comme ils appellent les soldats libyens «où qu'ils soient et quel que soit leur grade, à s'organiser et à marcher sur Tripoli pour couper la tête du serpent». En attendant, c'est le serpent qui fait des dégâts. Trop de dégâts parmi une population désarmée. Toutefois, plusieurs sources signalaient hier que El Gueddafi a totalement perdu le contrôle de la Cyrénaïque (la province de l'Est dont la capitale, Benghazi, avait lancé la révolte le 15 février dernier). Cependant, le carnage continuait et les ONG, comme la Fidh et le Ccir, estimaient, mardi, que le nombre des victimes approchait le millier de morts. Ce chiffre reste toutefois aléatoire tant il est difficile, en l'absence de sources fiables en Libye, d'avoir le nombre exact des victimes. Le ministère libyen de l'Intérieur, du régime, a donné mardi soir un bilan, selon lequel il y aurait eu 300 morts, parmi lesquels 189 militaires et 111 civils. Dans un communiqué publié hier, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (Fidh) a fait état d'au moins 640 morts lors des violences en Libye, dont 275 à Tripoli et 230 à Benghazi, soit plus du double du bilan officiel de 300 morts.