Fidèle à sa «légende», de n'avoir pas sa langue dans sa poche, le leader libyen, Mouamar El Gueddafi, vient encore de faire des siennes dans un discours retentissant devant le Congrès général populaire (CGP, Parlement libyen) - à l'occasion de la célébration du 25e anniversaire de la proclamation de la Jamahiriya arabe libyenne -, dans lequel le guide de la révolution libyenne n'épargne personne, ni la Ligue arabe qui en prend pour son grade, pour avoir «échoué dans sa mission de libérer la Palestine» ni les dirigeants arabes, traités de tous les noms d'oiseaux. La harangue du leader libyen n'est guère faite pour surprendre tant l'homme a habitué le monde à ses sautes d'humeur, doublées d'un cavalier seul, qui en disent long sur sa propension à tout ramener à sa propre personne. Pendant de longues années, le colonel El-Gueddafi s'est totalement investi dans ce qui est devenu son credo l'«union arabe». Un combat, hélas ! pour le maître de la Jamahiriya, qui n'a eu que peu d'échos auprès des «frères dirigeants arabes», chacun surtout préoccupé à consolider son propre pouvoir dans son pays. Quelque part, cependant, le guide de la révolution libyenne, qui n'agit pas toujours en homme d'Etat et pour lequel le langage diplomatique est une véritable corvée, a mis le doigt sur la plaie arabe en dénonçant le peu d'empressement des responsables arabes à mieux prendre en charge le contentieux palestinien. Aussi, la colère de Mouamar El-Gueddafi était-elle grande jusqu'à l'amener à demander au Congrès populaire d'étudier un éventuel retrait de la Libye de la Ligue arabe. Ce qui a provoqué un voyage «urgent» à Syrte (résidence du colonel El-Gueddafi) du secrétaire général de la Ligue des Etats arabes, Amr Moussa. La carrière politique du leader libyen a été ainsi jalonnée, tout au long de ses trois décennies de pouvoir sans partage, de coups d'éclat, d'affirmations péremptoires qui ne lui ont pas attiré qu'estime et sympathie. Bien au contraire, beaucoup de ses pairs reprochent au guide libyen d'en faire trop, ce qui, souvent, décrédibilise ses initiatives, même les plus louables et les plus opportunes, et également de trop tirer la couverture à lui. Mais, n'est-ce pas là, un résumé de la personnalité d'El-Gueddafi? Et c'est tout dire ! Cependant, ne nous leurrons pas, dans chaque pays arabe existe un El-Gueddafi qui, contrairement au maître de Tripoli, a su revêtir l'habit de la civilité et de la bonne apparence pour mieux tromper et mieux séduire. Car reconnaissons, toutefois, au bouillant colonel libyen d'avoir le courage de dire haut et fort ce que maints chefs d'Etat arabes n'osent pas penser tout bas. Précisément sur le cas, aujourd'hui combien galvaudé, de la cause palestinienne. Il n'en reste pas moins que le leader libyen constitue, dans le contexte des relations internationales, un cas d'école, par sa tentative au plan interne de créer une nouvelle osmose entre le peuple et ses dirigeants, dans ce qu'il est appelé la Jamahiriya , ou «Etat des masses», expérience unique ; au niveau international, en cassant le schéma diplomatique traditionnel par un interventionnisme tous azimuts. Cela dit, on peut comprendre que Mouamar El-Gueddafi soit ulcéré par le fait que les Arabes aient fait si peu, depuis dix-huit mois que le peuple palestinien se fait massacrer, pour venir en aide aux Palestiniens qui se battent seuls contre la plus puissante armée du Proche-Orient, celle d'Israël. D'autant que l'on peut noter que la Ligue arabe ne s'est pas réellement beaucoup dépensée pour tenter de trouver une ouverture pour contrebalancer l'appui, par trop ostentatoire, des Etats-Unis au criminel de guerre Ariel Sharon. Tout cela aura eu raison du peu de patience du colonel El-Gueddafi qui déversa toute sa fureur sur les dirigeants arabes et la Ligue du même nom. Ce qui indique, a contrario, que les Arabes seront toujours en retard d'une révolution en étalant sur la voie publique le fait qu'ils n'ont pas su, ou pu, s'assumer face à la question palestinienne. Ce que, à sa manière, déplore le colonel El-Gueddafi.