Au nom de la liberté d'expression, l'islamophobie devient un créneau politique porteur! Ancien Directeur du culte musulman de la Marine, historien, (docteur de l'Université de la Sorbonne), membre de la Conférence mondiale des religions pour la paix (Cmrp) et secrétaire général international du Groupe de recherches islamo-chrétien, Kamel Meziti, est très impliqué dans le dialogue interreligieux et l'édification de passerelles civilisationnelles. En outre, en tant qu'enseignant chercheur (Master international en études islamiques et arabes, Université ouverte de Catalogne), ses champs d'investigation couvrent la place des minorités musulmanes et le traitement du fait islamique en milieu sécularisé, ainsi que la promotion du «travailler-ensemble» et du vivre- ensemble: plus globalement il s'agit pour lui de réfléchir avec d'autres à la promotion de l'interconnaissance et du savoir pour faire reculer l'ignorance. Dan cette lettre adressée au président de la République française, M.Meziti apporte sa contribution au débat sur l'islamophobie qui fait fureur actuellement en France. Je me présente à vous en tant que citoyen, rempli de consternation. Dans un pays où croît l'indignation...... Et l'acte que j'accomplis ici n'est que l'expression d'une citoyenneté que j'entends faire valoir au nom même des valeurs démocratiques qui font la grandeur de notre pays. La guerre serait la continuation de la politique par d'autres moyens selon Clausewitz, mais la formule peut être lue dans l'autre sens eu égard à votre politique de diversion et de division. Je vous accuse Monsieur le Président ainsi qu'une certaine classe politique, «atteinte d'une maladie de la vue et du jugement», coupable et responsable, par action, inaction, ou silence complice face au discours ostracisant à l'endroit de quelque 6 millions de concitoyens de confession ou de tradition musulmane. Même si certains, pour paraphraser un grand auteur, «ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale». La rupture que vous prônez, sous prétexte qu'il faut affronter «les sujets qui fâchent», constitue une imposture intellectuelle en plus d'un danger pour la cohésion nationale: la chasse sur le terrain des idées frontistes et le silence complice ou embarrassé d'une certaine classe politique sont le terreau de la mise à mal de nos valeurs républicaines. La stratégie du «pyromane - pompier» est un exercice très périlleux duquel les plus grands stratèges n'en sont pas toujours sortis indemnes et grandis... Cette mascarade politicienne irresponsable mise en musique par Jean-François Copé, vous en êtes le chef d'orchestre et la caution politique! Une certaine rhétorique politicienne de type maurassien tend à se banaliser dans le pays des droits de l'Homme, sous couvert du respect de la laïcité. Pratiquée par des politiciens de tous bords au nom de la liberté d'expression, l'islamophobie devient un créneau politique porteur! Grâce à vous, un certain «débat» sur l'identité nationale s'est transformé en stigmatisation d'une religion, votre discours sur «l'échec du multiculturalisme» anglo-saxon a accru appréhension et suspicion à l'endroit de plusieurs millions de nos concitoyens. Enfin, le «débat» que vous avez voulu, rebaptisé récemment «débat sur la laïcité et le vivre-ensemble», a pour reprendre la formule de votre ambassadrice, «assigné à résidence religieuse» les musulmans de France et de Navarre, encore une fois pris en otage par un «débat de la honte»! Aujourd'hui, ce sont les valeurs d'Egalité, de Fraternité et de Liberté qui se débattent sur le terrain de la stigmatisation et de l'inimitié. Monsieur le Président, c'est justement de «vivre-ensemble» dont il s'agit. Lequel, en tant que garant de la Constitution et de la cohésion nationale, vous devriez mettre au coeur de votre projet pour la France! Pourtant votre politique fait l'économie d'une réflexion en profondeur des problématiques réelles auxquelles sont confrontés au quotidien nos concitoyens de cette «France d'en bas» (chômage, précarité, mal-logement, insécurité, sans parler de l'image désastreuse de la France à l'étranger avec une diplomatie mise à mal dans un contexte international houleux et l'esquisse d'un printemps démocratique du monde arabo-musulman....): les alchimistes de votre majorité, pour ne pas dire vos apprentis sorciers, ont ainsi trouvé la pierre philosophale qui transforme l'harmonie sociale en rupture sociale! Cet énième «débat», motivé essentiellement par des considérations de politique intérieure, sous-tend une stratégie de diversion! L'Islam est ainsi devenu l'épouvantail qui cache la forêt des problèmes sociétaux. Si un «Grenelle de l'Islam de France» s'impose, il ne doit pas se décliner dans ce contexte électoral biaisé. Récemment, vous déclariez que «protéger notre patrimoine, c'est protéger l'héritage de la France, c'est défendre les signes les plus tangibles de notre identité (...) «Je rappelle souvent Lévi-Strauss» qui disait «l'identité n'est pas une pathologie» et «à tous ceux qui défendent, à juste titre, la diversité, je voudrais dire que sans identité, il n'y a pas de diversité». Les musulmans de France sont aussi une composante importante de l'identité française d'aujourd'hui et la diversité fait partie du paysage sociologique français, de facto, multiculturel. En mettant l'accent sur un Islam tombant sous une présomption d'incompatibilité avec nos valeurs républicaines, vous confortez la surenchère fantasmatique qui nourrit les peurs et alimente un climat de xénophobie et d'islamophobie ambiants dans notre beau pays. L'Islam ne saurait être pris en otage par des manoeuvres politiciennes quelconques, et encore moins céder aux rites sacrificiels sur l'autel des logiques électoralistes et des discours politiciens peu scrupuleux. La République doit reconnaître tous ses enfants car tous, dans leur altérité et leur diversité, sont légitimes. Apporter des réponses politiques aux inquiétudes légitimes des Français (emploi, insécurité, précarité...), promouvoir le vivre-ensemble, la citoyenneté, voire la fraternité qui fait tant défaut aujourd'hui, voilà les priorités auxquelles tout chef d'Etat doit s'atteler: sans quoi notre beau pays avec ses nobles valeurs républicaines risque de sombrer dans des logiques du pire avant d'entamer un long voyage au bout de la nuit. Monsieur le Président, «je ne vous connais pas, (....) je n'ai contre vous ni rancune ni haine»; ce n'est pas à moi de juger les implications désastreuses de votre politique en termes de vivre-ensemble et de cohésion sociale: vous restez comptable devant la Nation et l'Histoire jugera votre action. Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l'assurance de ma haute considération.