Etalon d'argent à la 22e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) pour son dernier long métrage Un Homme qui crie, Prix du jury au Festival de Cannes, Haroun Mahamat Saleh, 50 ans, est considéré comme la tête brûlée du cinéma africain. Frondeur, direct et n'a pas la langue dans sa poche, Haroun Mahamat Saleh ne fait pas l'unanimité parmi ses pairs, même si sa filmographie reste hors pair. Né en 1961 à Abéché (Tchad), Mahamat Saleh Haroun a 8 ans lorsqu'il voit son premier film, sa première claque cinéphilique, le sourire en gros plan d'une belle femme indienne face à la caméra... Mais la guerre civile éclate et, en 1980, il est obligé de fuir, grièvement blessé, vers le Cameroun voisin. Il part à 17 ans en exil de son pays, en pleine guerre civile et adopte ensuite la France comme terre d'accueil, entre études et petits boulots. Le jeune homme étudie alors au Conservatoire libre du cinéma français puis se tourne vers le journalisme, gage de sécurité financière, qui lui fait intégrer en 1986 l'IUT de Bordeaux. Il devient ainsi journaliste pour la presse régionale puis pour une radio locale avant de pouvoir accéder enfin à la réalisation, en 1994. Un premier court métrage intitulé Maral Tanie, sur le mariage arrangé et le voilà qui décroche une récompense au Festival Vues d'Afrique. S'ensuivront les films qui feront plus parler de lui au Festival de Cannes à l'instar de Abouna en 2003 et Daratt en 2006. Aigri ou réaliste, imbu de sa personne ou rigoureux? Prétentieux ou ambitieux? Craint ou redouté? Honni ou jalousé? Mahamat Saleh Haroun est le réalisateur du moment et il ne laisse personne indifférent. Un entretien, certes laconique, réalisé à l'arraché. Car le planning de Monsieur est très chargé... L'Expression: Tout d'abord, M. Mahamat Saleh Haroun, vous venez d'être le récipiendaire au Fespaco de l'Etalon d'argent. Peut-on connaître vos impressions? Mahamat Saleh Haroun:S'il ne tenait qu'à moi, je n'aurais pas inscrit mon film en compétition, tout comme j'ai refusé de le faire au Festival de Carthage. Mais mon comédien, Youssouf Djaoro, rêvait d'y décrocher le Prix d'interprétation masculine... Dans une déclaration faite à RFI, vous dites être déçu par le Fespaco, pourriez-vous nous expliquez la raison de cette déception? Un festival qui existe depuis 41 ans, et qui n'arrive même pas à organiser correctement, l'accueil des invités, une incurie qui se répète tous les deux ans, un non-respect du cinéma et des cinéastes... Dans votre film Un Homme qui crie, un père est amené à sacrifier son fils. pourquoi avoir opté pour cette situation terrible? Les pays africains s'entretuent.Cela démontrerait-il au fond, le désespoir d'un peuple qui va jusqu'à sacrifier un membre de sa famille? Détrompez-vous! Le film ne parle pas du désespoir d'un peuple, mais d'un homme pris au piège d'une guerre civile qu'il ne comprend pas. Il lui semble que son propre destin lui échappe. Ils sont nombreux dans son cas en Afrique... Dans Darat, c'est plutôt l'histoire d'un fils qui veut venger son père...toujours la figure du père et son absence /présence... Dans nos sociétés, la figure paternelle est fondatrice. C'est à partir de ce référent qu'on se construit. Quand ce référent est défaillant, comment envisager un horizon, un avenir? Dans Abouna, le film évoque la dure absence... Finalement vos films tournent autour de la cellule familiale et son éclatement sur fond de la grande histoire. Est-ce la fatalité des sociétés africaines que vous dépeignez ici? Détrompez-vous à nouveau: la fatalité est essentiellement arabo-musulmane, ce qu'on appelle le mektoub. Ce n'est pas la fatalité que je décris, mais des petites gens prisonnières de choses qui les dépassent... Quel est enfin le thème de votre prochain film? Ça sera un thriller politique. Une histoire inspirée de faits réels: un bateau déverse des déchets pétroliers dans une ville africaine... Le cinéma africain souffre du manque de visibilité et de distribution malgré les prix récoltés ici et là. Que faire, d'après-vous, pour lui assurer une meilleure «exploitation» dans le monde? Un peu plus d'exigence, et le souci de raconter des histoires profondes, au-delà des clichés et du folklore. Mais le cinéma en Afrique ne peut être fort que si les pays africains mettent en place de véritables politiques de défense et de soutien pour les cinématographies nationales. Regardez la situation en Algérie...