Ecrire l'histoire suppose une connaissance profonde de celle-ci, mais qu'en est-il lorsqu'elle doit s'attacher à décrypter la complexité de l'être humain et son parcours dans la vie? Un choix ardu auquel s'attelle Malika Rahal, agrégée d'histoire. Spécialiste de l'histoire de la colonisation française en Algérie, elle a soutenu une thèse en 2007 intitulée «Histoire de l'Udma (Union démocratique du manifeste algérien) de Ferhat Abbas». Ainsi, l'histoire de ce militant, Ali Boumendjel (1919-1957), n'a plus de secret pour elle. C'est ce qu'elle nous dévoile dans ce foisonnant ouvrage Ali Boumendjel, une affaire française, une histoire algérienne, sorti récemment aux éditions Barzakh. Un livre présenté samedi dernier à la librairie Chihab international en présence de la fille de Ali Boumendjel, notamment. Un livre dont l'éditrice Selma Hallal qualifiera, d'emblée de «pertinent, juste, complet d'intelligence» car dit-elle «il rend justice à Ali Boumendjel sans être dans le péremptoire ou tranché mais tout en étant dans l'entre-deux. Il restitue la richesse de l'homme et parle de son époque.» Un coup de coeur qui la poussera à acheter les droits et signer immédiatement sans même avoir lu le livre, raconte-t-elle. La sortie de ce livre coïncide aussi avec la célébration de la Journée de l'avocat qui a lieu tous les 23 mars. Invité à faire le lien entre Malika Rahal et le public, en jouant au maître de cérémonie pour le débat, l'historien (directeur de la revue Naqd qui fête cette année ses 20 ans) Dahou Djerbal interrogera l'auteur, d'abord sur la matière à constituer ce livre et les difficultés de prime abord à aller à la source. Celle-ci confiera s'être documentée au niveau de la presse où foisonnaient les écrits de Ali Boumendjel, des documents de la police, à prendre avec des pincettes, mais aussi des archives orales, autrement des témoignages familiaux dont il faut toujours recouper et vérifier. Creuser, donner du sens à un récit est le propre de l'historien, c'est-à-dire «faire la part entre le mythe et le fait» dixit Dahou Djerbal. Alors, remettre les pendules à l'heure s'apparente à une tâche fastidieuse, mais nécessaire, voire passionnante pour un historien. A commencer par la fin tragique de Ali Boumendjel, assassiné plutôt que suicidé. Le 26 mars 1957, il est arrêté 43 jours plus tôt par les parachutistes français. Il se serait jeté par la fenêtre pour leur échapper. Mais très vite, on parle de faux suicide, et on s'interroge: que faisait donc ce «modéré» entre les mains des «paras»? Pourquoi a-t-il été assassiné, comme le reconnaîtra, le général Aussaresses dans ses mémoires en 2001? Ali Boumendjel était un militant de l'Udma. Au moment de son arrestation, il faisait le lien entre la direction de l'Udma et la direction algéroise du FLN. Il conjuguait alors comme il l'avait toujours fait, sans complexe, la culture française avec un nationalisme algérien républicain et démocratique. Une sorte de double culture naturelle pour cet enfant de «la rupture» comme dira Daho Djerbal qui abordera avec acuité la question des origines de Ali Boumenedjel. Il était fils d' un instituteur, faisant partie de la nouvelle génération rompue à l'école française qui renvoie à une nouvelle classe politique et sociale. Le français n'est plus une langue étrangère pour Ali qui ne vit plus en Kabylie. Malika Rahal donne beaucoup d'anecdotes sur la vie de Ali à cette époque et ses fréquentations. De sa famille, sa fratrie, sa personnalité...son rôle dans la société et son ouverture d'esprit tournée vers les différents milieux et cultures et notamment les gens «contestataires» de la gauche en fréquentant Alger Républicain. Daho Djerbal qui focalisera sur le terme «rupture» pour définir qui était Ali Boumendjel sera relayé par Malika Rahal qui expliquera le travail de Ali qui consistait à «déconstruire le discours colonial» tout en se confrontant à un choix de vie, négociant sa nouvelle vie à sa culture d'origine, ses us et coutumes, surtout lorsqu'il rencontrera sa femme. «Il va évoluer en devenant ce chaînon manquant entre les Européens et les Algériens. Il essaiera d'être le maillon qui joint les deux», souligne-t-on. «Les limites de cette quête de communauté citoyenne», il les vivra au niveau de sa famille et son environnement social. Outre la vie palpitante qu'a eu cet homme, nous l'avons compris, le militant était aussi un homme de conviction et d'idées. «A l'histoire officielle algérienne qui tente d'intégrer Ali Boumendjel parmi ses martyrs en schématisant son parcours, il importe d'opposer la richesse d'une biographie familiale, la complexité d'un engagement politique nuancé et d'un idéal, à la fois algérien et républicain, partagé par nombre de nationalistes d'alors», pourrait-on lire en quatrième page de couverture du livre. Les rivalités, les préjugés, les faux semblants et les non-dits ont de tout temps traversé l'histoire et les légendes humaines. «Voir notre histoire mais pas d'un seul oeil», fera remarquer Daho Djerbal. A méditer.