Aux bombes lacrymogènes et balles en caoutchouc de la police, les jeunes ripostaient par des jets de pierres et des pétards. «Vite! il est touché au visage», crient des jeunes. Zegoumi Mounir a du mal à tenir debout. Il vient de recevoir une balle en caoutchouc qui lui a déformé le nez. Du sang coule sur sa barbe. Mais il refuse d'abdiquer. La présence massive des policiers antiémeute ne le dissuade pas de s'opposer à l'opération de démolition des constructions illicites à la cité Chevallier Oued Koriche, au pied du ministère de la Défense nationale, à Alger. Il est 10h00. Le quartier est en colère. Les échauffourées, qui opposent les jeunes aux policiers, sont au summum. Les bombes lacrymogènes pleuvent sur les lieux. Les habitants n'en peuvent plus. Une vieille femme, qui vient de faire ses courses est prise d'un malaise. «Je suis cardiaque. Je ne supporte pas ces gaz. Je sens que c'est le jour du départ pour moi», panique-t-elle. Des jeunes du quartier accourent pour la secourir. Ils la soulèvent et l'emmènent chez elle. Les échauffourées continuent. Un autre jeune est blessé à la tête. Le nombre de blessés s'élève à plus de 150 parmi les habitants. Une vingtaine de policiers seraient également blessés. «La plupart des blessés ont préféré ne pas être évacués à l'hôpital de peur d'être arrêtés», déclare un autre habitant. C'est le cas d'un jeune dont la tête est bandée. «J'ai dû mentir à l'hôpital de Birtraria (El Biar) pour échapper à la police. Je leur avait dit que je suis tombé d'un échafaudage», raconte-t-il. Un autre habitant est dans tous ses états. Sa fille de 7 mois a eu un malaise suite à l'inhalation du gaz lacrymogène. «Elle est en réanimation à l'hôpital Maillot de Bab El Oued», déplore le père. Les émeutes redoublent d'intensité. Le bâtiment B21 de la rue Arab-Belkacem est parmi les plus touchés. «La police nous a surpris aux environs de 4 heures», révèle Houria, l'une des habitantes du bâtiment. Les murs de son F3 portent les stigmates d'une misère vécue depuis des décennies. Houria est touchée au bras droit et au visage. Elle montre des balles en caoutchouc. «Regardez ces balles et ces pierres. Ils nous ont tiré dessus, dans nos propres maisons», dénonce-t-elle. Houria raconte comment les policiers lui ont manqué de respect. «Ils ont versé dans un langage indécent alors que j'essayais de leur faire entendre raison à partir de ma fenêtre. Non seulement ils m'ont insultée, mais ils m'ont agressée», fulmine Houria. Les habitants ne décolèrent pas. Ils opposent une résistance farouche aux forces de l'ordre. Les minutes s'égrènent au rythme des violents échanges entre les jeunes et les policiers. Aux bombes lacrymogènes et aux balles, les émeutiers ripostent par des pierres et des pétards. Les jeunes scandent des slogans hostiles au pouvoir. «Nous allons rééditer les manifestations du 5 Octobre 1988», avertit l'un d'eux. Les gaz lacrymogènes rendent l'air irrespirable. Le quartier est transformé en champ de bataille. Les environs de la mosquée Ennour pullulent de policiers en uniforme et en civil. Deux engins procèdent à la destruction des baraques construites à la périphérie du quartier. Kamel Merrah assiste, impuissant, à la démolition de la demeure de son frère Abdelouahab. «Mon frère a dû rassembler 50 millions de centimes pour ériger une bâtisse à sa petite famille, composée de 5 membres. Désormais, il va se retrouver à la rue», regrette Kamel. D'autre témoins affirment qu'ils ont emprunté de l'argent pour construire des abris à leurs familles. «Nous avons vendu nos bijoux pour trouver où habiter», déclare une femme. Le quartier Chevallier abrite 55.000 habitants qui vivent dans les ténèbres d'un quotidien malheureux. Mohamed Rebaï porte le poids de ce malheur. Il est père d'une famille de 12 membres qui habite une cage d'escaliers. Sa demeure de fortune s'apparente à une véritable tombe. Le quartier de Oued Koriche est en ébullition. Cette ébullition risque d'embraser la capitale...comme au 5 octobre 1988.