Gardons en mémoire la bravoure de nos aînés libérateurs. La guerre de Libération nationale algérienne, la plus prestigieuse du XXe siècle, est une Epopée, une Révolution, une Histoire qui a ré-enfanté Al Djazaïr, l'Algérie libre. Le recouvrement de l'indépendance s'est fait sur la base du sacrifice suprême d'un million et demi de martyrs. Pour sortir de la longue nuit coloniale génocidaire, il a fallu que les fils de l'Algérie, sa jeunesse, prennent les armes, ultime recours, tant le système de la colonisation de peuplement était aveugle, féroce et sauvage. Certes, le temps révolutionnaire glorieux est passé, mais il doit toujours rappeler aux nouvelles générations les conditions de l'acquis inestimable du recouvrement de la souveraineté. Gardons en mémoire la bravoure de nos aînés libérateurs, c'est le socle pour se projeter dans l'avenir, la référence fondatrice indépassable. Au début de la Résistance en 1830, le chef du Mouvement national, l'Emir Abdelkader, avait 23 ans, comme la moyenne d'âge de l'avant-garde de la Révolution de Novembre. L'Algérie est le pays de la jeunesse. Son histoire est marquée par le niveau de sa conscience patriotique. Face aux nouveaux défis, il est plus qu'instructif de se souvenir et de rappeler le parcours de ses jeunes et éternels héros. Il s'agit de se nourrir de l'Esprit de Novembre, pour le bien commun, afin de perpétuer le patriotisme, de relever les défis contemporains et de donner du sens à la vie collective. Tout citoyen algérien, quelle que soit sa lecture, ne peut que se ressourcer au Message fondateur du 1er Novembre 1954. La Révolution est la venue au monde d'une Nation, plus encore pour l'Algérie, terre d'un peuple forgé par le courage, la fierté et la dignité. La culture de l'Algérien est celle de la Résistance, de l'Emir Abdelkader au 1er Novembre. Un symbole Une des jeunes figures emblématiques de la glorieuse Révolution est celle de Ali Amar, le surnommé Ali la Pointe. Dès mon jeune âge, à l'Indépendance j'avais onze ans, mon imaginaire admiratif était habité par cette figure native de ma ville, Miliana. Mes parents, mes aînés, mes maîtres d'école, me parlaient d'Ali la Pointe. Des membres de sa famille et de ses amis ou valeureux compagnons d'armes vivent encore et témoignent avec émotion de ce héros national. Miliana et sa région sont riches de son histoire patrimoniale et nationaliste. Le saint patron soufi, cheikh echouyoukh, Sidi Ahmed Benyoucef, au début du XVIe siècle, avait donné sa bénédiction aux frères Barberousse, Aroudj et Kheir-Eddine, requis par lui, pour organiser la résistance contre les Espagnols qui occupaient des villes côtières. Dans le même sillage, durant la lutte de Libération nationale, la Zaouïa-Mausolée fut le refuge de moudjahidine. D'innombrables grands militants et combattants, de Si M'hamed Bougarra à Si Bouras Mohamed, Si Mustapha Ferroukhi et Ali la Pointe ont marqué les esprits de la région du Zaccar et au-delà. Les Algériens ont découvert ce héros phare, grâce au film mythique La Bataille d'Alger. Dans sa ville natale, à Miliana, en souvenir éternel de l'enfant des Anassers, qui deviendra plus tard Ali la Pointe, la grande esplanade qui domine la plaine du Cheliff est auréolée de son nom et sa statue, un établissement de formation de Miliana porte le nom de ce glorieux chahid: Ali Amar. Plus qu'un mythe, plus qu'un héros, il a toujours représenté, notamment pour ma génération de Miliana, un symbole fort. Il est la fierté des Milianais et de toute l'Algérie. Avec courage, bravoure et vaillance, au sein du FLN et de la Zone autonome d'Alger, tout jeune, il a affronté les forces coloniales au coeur du pays, dans tous les quartiers d'Alger et particulièrement à la Casbah. Ce 14 Mai 2011 il aurait eu 81 ans. Fils d'Ahmed Ben Abdelkader et de Takarli Fatma Bent Ahmed, il est né le 14 mai 1930 à El Anasser, beau quartier tout en verdure, en contrebas de la ville de Miliana, habité diversement par les familles modestes ou de la classe moyenne. Il est le dernier-né de sa famille. Il eut une enfance difficile. Il travailla très jeune, dans les fermes des colons et a subi alors, de manière brutale, la domination et l'exploitation. Son père paysan sans terre, était déjà dans les rangs du Parti populaire algérien, il travaillait comme métayer dans les fermes. Le premier guide de sa vie a été ce père, qui parlait avec ferveur à ses enfants du nationalisme. La condition sociale précaire de sa famille a aiguisé l'esprit d'abnégation et d'autonomie chez Ali. La colonisation a réduit à l'époque le peuple algérien à la misère, 95% était analphabètes et 75% vivaient dans les régions rurales les plus pauvres; alors qu'avant 1830, 40% d'entre eux savaient lire et écrire l'arabe et la relative prospérité partagée était une réalité. La dépossession des terres, l'exploitation raciste, capitaliste et la violence coloniale étaient à leur comble depuis plus d'un siècle, mais la politique de tentative de dépersonnalisation des Algériens avait pourtant échoué. Ali la Pointe, comme nombre de ses concitoyens, avait très tôt une conscience claire de son identité et constatait par bon sens que le peuple algérien était déchu de ses droits et de sa liberté. L'héroïsme Dès son adolescence, il se rendit à Alger, à la recherche d'un travail et s'ouvrir d'autres perspectives. Il adhéra au Club Sportif d'Alger à Bab El Oued, où il pratiqua la boxe, tout en suivant une formation en maçonnerie. Il avait un sens aigu de la dignité et de la fierté. De par son charisme, il fréquentait des Algériens souvent plus âgés que lui. Il fit la connaissance de nationalistes qui lui inculquèrent l'idée de la Révolution. Au cours d'une période passée en prison, il réalisa encore plus le sens du mot liberté et celui du sacrifice. Il adhéra immédiatement, avec force et conviction profonde à la lutte de libération au sein du groupe de combattants de la capitale et participa à de nombreuses attaques menées contre les forces coloniales. Il constitua avec d'autres héros, comme Hassiba Ben Bouali et Taleb Abderrahmane, un groupe de résistance armée efficace et redoutable. Ils réussirent toutes leurs actions au coeur du dispositif colonial. Ali était connu pour son caractère fier et rebelle. Très tôt, il a fallu qu'il se démène pour survivre dans des conditions difficiles, aggravées par la misère qui était le lot quotidien des Algériens. Adolescent, il vit les atrocités qu'enduraient ses compatriotes. A 25 ans, militant du FLN dès 1955, il effectua des missions périlleuses qu'il réussit brillamment. Jusque-là jeune, rebelle, humain et généreux, illettré, mais doué d'une grande intelligence, soucieux dans l'action de discipline révolutionnaire, il va devenir un chef local de la guérilla urbaine respecté. Son courage, sa témérité, sa fidélité, sa conviction de la justesse de la lutte qu'il menait, lui permirent de réussir des actions spectaculaires, qu'il accomplissait en plein jour, de par son sang-froid exceptionnel. Durant ces années de combat, il mena la lutte anticoloniale avec un haut sens de l'héroïsme. Il fut un des combattants qui permirent à la Casbah d'être habitée par la Révolution, totalement acquise à la cause nationale. Il connaissait cet espace clé et sa population de fond en comble, atout décisif pour la résistance. Le 8 octobre 1957, au coeur de la Casbah, Ali le héros national, tombe au champ d'honneur en compagnie de Hassiba Ben Bouali, de Yacef Omar, dit Petit Omar, âgé de douze ans et de plusieurs autres Algériens, martyrs. Il était dans une cache d'un immeuble de la Casbah. Les forces coloniales le sommèrent de sortir. Avec la force de la dignité et du sacrifice, il refusa. Ils mirent une charge d'explosifs pour faire sauter les lieux. La déflagration criminelle fit tout effondrer. Ce grand héros de la révolution s'était distingué par sa bravoure sans faille dans la lutte qu'il a menée, aux côtés d'autres nombreux héros, dans la bataille d'Alger, pour libérer la patrie de l'oppression coloniale. Comme ses frères et soeurs de combat, martyrs, sa figure inoubliable, martyr à 27 ans, dans le coeur des Algériens, est toujours vivante. L'Algérien doit toujours se rappeler les martyrs, s'incliner en leur mémoire, éveiller les consciences à la vigilance, à l'unité et à la formation d'une Nation apaisée, traversée par le souffle de l'être commun. Sachant qu'il n'y a pas d'acquis définitifs de la liberté, les nouvelles générations doivent se ressourcer sans cesse en gardant une mémoire vivante de notre histoire et de ses héros. L'ordre mondial injuste, le néocolonialisme, l'impérialisme, les ingérences, la propagande du choc des civilisations, l'islamophobie, les inégalités inadmissibles instituées entre les peuples du monde, la politique du deux poids, deux mesures et les défis techniques et scientifiques requièrent de chaque citoyen, notamment les jeunes, de s'armer de patriotisme et de connaissance, afin d'être à la hauteur des exigences de notre temps. C'est une responsabilité collective. Actualiser et enraciner en profondeur dans le coeur de chacun le Message de Novembre et de ses héros, est une tâche salutaire. (*) Professeur des Universités