Saurait-on, aujourd'hui, définir «identité», «religion» et «modernité» afin de les mettre en harmonie? Et d'abord, sur quelles bases? Question que l'on croit toujours avoir bien posée, et à laquelle on croit avoir trouvé la bonne réponse. Mais récurrente par accès, cette question n'a jamais cessé de troubler l'esprit le plus sûr. Sans doute, la vie est-elle ainsi faite qu'elle ne laisse rien entrevoir de quoi elle est faite. Cela est naturel et de nature aussi à exacerber l'intelligence humaine qui entend toujours exercer son bel orgueil pour mettre ou pour remettre en place tout ce qui l'intéresse et qui doit lui obéir. En lisant l'ouvrage Histoire religieuse de l'Algérie (*) de Chems Eddine Chitour et en mesurant l'importance du subjectivisme que recouvrent formellement les trois vocables «identité», «religion» et «modernité», on comprend la complexité de la question et la complexité de la réponse. Car rien n'est simple dans la mise face-à-face - c'est plutôt bel et bien une sèche formalisation d'une opposition voire d'une confrontation, complètement ferme - des sentiments aussi différents que complémentaires que sont, pour toute personne éclairée, l'identité, la religion et le modernisme. Comment donc créer ou provoquer leur harmonisation? Cependant, notre auteur, qui est docteur-ingénieur de l'université d'Alger, docteur ès sciences de l'Académie de l'université Jean-Monnet (Académie de Lyon, France) et enseigne la thermodynamique du pétrole et la physico-chimie des surfaces, s'intéresse à «l'histoire millénaire» de son pays, l'Algérie. Et sa pensée s'inscrit dans ce contexte. Il se fait érudit, mais modeste et dévoué à l'excès. Dans ses enquêtes du passé et même du présent, il garde l'oeil ouvert : le sujet étant vaste et riche. Néanmoins, il ose l'aborder résolument, sans complexe, ainsi qu'un honnête aventurier qui, mû par un vif intérêt intellectuel, aurait promis de découvrir coûte que coûte quelques traces du Trésor infini que recèle toujours un pays comme le nôtre. Chems Eddine Chitour, qui a déjà fait preuve de conscience dans ce domaine de la recherche par ses trois livres Algérie, le passé revisité (1998), L'éducation et la culture en Algérie des origines à nos jours (1999) et L'Islam et l'Occident chrétien (2001), a de nouveau réuni et les a, en définitive, mis à la portée de ses lecteurs, les documents les plus divers et les plus utiles qu'un intellectuel aussi passionné et aussi jaloux des origines de son pays (terre et hommes) que lui, puisse trouver. Avec Histoire religieuse de l'Algérie, C. -e. Chitour, observant «le contexte actuel, marqué par la chape de plomb concernant le débat d'idées», se propose «de témoigner pour préciser (à son sens) les termes des enjeux et expliquer que le problème religieux n'existe pas d'une façon spécifique en Algérie. C'est un fait que partout dans le monde, à l'Est, à l'Ouest, du Nord au Sud, il existe, chez l'homme de la fin du siècle dernier et de ce vingt et unième siècle, une boulimie de spirituel qui peut s'exprimer de différentes façons, de la plus douce à la plus brutale...» Et précisant l'objet de son livre, il écrit: «Après un historique sur le fait religieux et ses, multiples «retombées», dans le pays, depuis le commencement de la civilisation au Maghreb, l'autre ambition de cette étude est de faire percevoir à l'Algérien, autant que faire se peut les éléments lui permettant d'abord de s'assumer, puis de ne prendre, dans les thérapies qu'on tente de lui administrer que les doses lui permettant de vivre, voire de bien vivre.» Aussi l'annonce, la promesse d'aller loin dans les profondeurs de l'histoire religieuse de l'Algérie n'est-elle pas vaine dans le livre en question. En effet, sur plus de 350 pages de texte serré, on se laisse guider de façon pédagogique par des références solides, des notes et des commentaires personnels de l'auteur, des reproductions d'images anciennes, des cartes, des tableaux synoptiques de tous les événements qui ont fait l'Algérie d'aujourd'hui ( la préhistoire, la Berbérie et les Berbères, les Etats musulmans au Maghreb, la période ottomane, la colonisation française, la lutte de libération et l'indépendance), des inventaires des établissements religieux, des chronologies et des analyses des grands événements religieux au Maghreb (la diaspora juive, l'avènement du Christianisme, l'avènement de l'Islam), des chronologies des événements liés aux luttes politico-religieuses et la Régence d'Alger. De nouveaux éclairages sont tentés sur les fondements matériels et religieux de l'expédition française de 1830, sur la «politique» coloniale de la France et la religion musulmane, sur la politique coloniale et les nouvelles formes de lutte des Algériens à partir de 1900 et, conséquemment, sur le rôle de la mosquée dans l'éducation et la prise de conscience nationaliste. D'autres chapitres confirment, en le précisant, l'apport, déjà plus ou moins connu, de la religion à la lutte de libération nationale. De nombreux efforts de réflexion parcourent des thèmes aussi importants que, par exemple, le Christianisme et l'Islam, l'Islam et le monde actuel, ou le problème identitaire et la place de la religion dans le monde arabe et en Algérie. Tous ces thèmes et d'autres se rapportent à tout ce qui pourrait caractériser et promouvoir «à l'orée du quatrième millénaire des débuts de la civilisation algérienne, de ce troisième millénaire de l'ère chrétienne, de ce quinzième siècle de l'Hégire, de s'engager vers une modernité, de manière très offensive et débarrassée de tout complexe à l'égard de l'Orient et surtout de l'Occident, il faut qu'elle (l'Algérie) conjure ses vieux démons de la division. La question de l'identité, une fois bien posée et bien assumée, devrait permettre à l'Algérie de se réconcilier avec elle-même et d'aller vers le futur en rangs unis.» Et ajoutons, ce que nous-mêmes écrivions, dans les années 70, pensant à l'esprit de l'Algérien, à son tempérament, à tous ses sentiments qui animent et raniment son intelligence, oeuvrons «pour une grande rencontre avec nous-mêmes», et comme l'écrit Chems Eddine Chitour en insistant: «Nous parviendrons alors à une société apaisée qui fait la paix avec elle-même, qui réhabilite l'effort et le travail bien fait, l'école; en un mot, tous les attributs permettant aux Algériennes et aux Algériens de réussir à s'inté grer harmonieusement dans ce nouveau monde, sans rien abdiquer, de ses repères culturels et civilisationnels et religieux.» Et il ajoute en humaniste convaincu, remportant notre adhésion: «N'est-il pas temps pour les hommes épris de justice et de liberté de dépasser leurs clivages religieux d'un autre âge et d'unir leurs efforts pour inverser la course mortelle dans laquelle les a jetés la nouvelle religion de l'argent? La question reste posée.» Oui-da, mais comment? Cette question aussi reste posée.