Le conflit -les conflits ?- libanais s'est invité aux premières Journées cinématographiques d'Alger qui, pour leur deuxième soirée, ont projeté Hayda Lubnan (52 min, 2008) de la jeune cinéaste libanaise Eliane Raheb et Janoub (52 min, 2008) du réalisateur palestinien Nizar Hassan. Eliane Raheb s'est, elle, penchée directement sur le drame libanais qui n'en finit pas de déchirer le peuple. Deux films pour une cause Fille d'un médecin maronite, Eliane refuse de se plier au fatalisme ambiant. Avec ses amis Fady et Zina, qui fait la prise de son avec elle durant le tournage, la jeune maronite prend sa caméra et va à la quête d'une réponse, des réponses, à toutes ses questions sur l'origine du drame et les raisons qui ont causé l'atomisation de son peuple miné par des déchirures confessionnelles. Caméra sur l'épaule, elle filme le quotidien de son peuple à travers plusieurs personnages, des maronites, des chrétiens, des musulmans, des orthodoxes, qui vivent sur le même territoire mais chacun au sein de sa communauté, sans se croiser. La méfiance est partout, doublé de ressentiment, d'inimité, voire d'hostilité à l'égard de l'autre. Le seul espoir de réunification a été tué avec l'assassinat de Rafik Hariri en 2005. On tente un replâtrage avec les élections. Mais les pièces de la mosaïque ne trouvent pas le liant qui les rapprocherait pour reconstituer l'image d'un Liban uni, fort et riche de sa diversité confessionnelle. Les parents d'Eliane ont fui Beyrouth après la destruction de leur maison, par qui ? ne cesse de demander Eliane à son père qui s'enferme dans un mutisme qui en dit long sur ce qu'il a sur le cœur. Espoirs et désespoir d'un peuple Etape par étape, Eliane suit l'élection. Elle est consternée de voir la collusion entre la politique et la religion. Le peuple libanais n'aspire, lui, qu'à vivre dans un pays en paix avec un Etat fort qui défende tous les citoyens sans distinction. Hélas, il n'en sera pas ainsi. Pas cette fois du moins. Les rapprochements politiques se sont faits non pas sur la base de programmes et de vision mais de rapports de force. Pis, la religion est devenue identité dans un pays qui a depuis toujours été multiconfessionnel. Aujourd'hui, la division s'est ancrée dans l'esprit de la population au point que les relations humaines sont déterminées par la confession. Derrière sa caméra, Eliane traque les vérités et essaye de percer à jour les secrets des déchirements. Ses témoins sont sincères et parlent parfois sans retenue. Se concentrant sur les détails, Eliane a fait à travers ce documentaire une quête personnelle des raisons qui empêchent son pays et son peuple de vivre en paix. Elle expliquera d'ailleurs sa démarche dans un mail qu'elle a envoyé aux organisateurs des Journées cinématographiques d'Alger pour s'excuser de son absence à la projection de son film. «Je suis sûre que vous n'allez pas remarquer mon absence physique parce que mon film me présente et exprime réellement ma vision en tant que personne excédée par les obstacles et les interdits qui lui sont imposés. Et je parle là principalement du sectarisme religieux au Liban qui a été le premier obstacle sur lequel j'ai buté dans ma vie. Je fais partie de cette génération née pendant la guerre civile et qui a été nourrie de ces visions étroites de l'identité et je vise spécialement dans ce film l'identité maronite. A ce propos, savez-vous qu'avant la naissance de l'Etat libanais il y avait un plan pour évacuer tous les maronites vers l'Algérie ? Si vous voulez savoir pourquoi, demandez-le au colonisateur français et à ses délégués dans l'Eglise maronite», écrit Eliane Raheb dans son message. Vu la pertinence et la sincérité du documentaire, il serait inutile de préciser qu'il n'a jamais été projeté ni au Liban ni dans aucun autre pays arabe. Etre chiite aujourd'hui, une fatalité ou un choix ? Après cette mise à nu et ce grand moment de vérité, les organisateurs des JCA enchaînent rapidement avec un second documentaire. Toujours sur le thème du conflit libanais, Janoub du réalisateur palestinien Nizar Hassan qui est également le producteur de Hayda Lubnan. Après la guerre entre le Hezbollah et les Israéliens, la psychologue chiite Mona Fayyad publie sous le titre «Etre chiite aujourd'hui» un article dans lequel elle accuse ce parti de détruire le Liban, d'aggraver les conditions de vie déjà plus que déplorables de la population chiite et d'hypothéquer les chances et les vœux de tous de vivre dans pays civilisé, moderne et laïque. L'article sera au centre d'une polémique et nourrit les débats entre les intellectuels libanais en général et chiites en particulier, parce qu'ils souffrent de ces images de barbares que les Israéliens et leurs relais dans l'Occident et l'Orient leur collent. De fil en aiguille, les témoins de Nizar font part de leurs profondes pensées et de leur rejet de cette image comme de ces tentatives de les enfermer dans une identité définie par la seule religion. Les Libanais qui jusque-là vivaient en harmonie se retrouvent aujourd'hui définis administrativement par leur confession. Etre libanais, c'est être chiite, musulman, chrétien, maronite, ou druze, alors que la religion est un choix personnel et, dans les temps et les pays normaux, n'intéresse personne. Nizar, qui oriente ses témoins à travers ses questions, se penche essentiellement sur les conditions de vie des chiites au Liban. Ce deuxième film subira également la censure dans les pays arabes, comme les dix films de Nizar qui l'ont précédé d'ailleurs. Après les deux projections, on se rend compte que l'image forte qui ressort aussi bien de Janoub que de Hayda Lubnan est certainement cette fatigue généralisée de tout le peuple lassé de la guerre, des déchirements et des affrontements et qui crie à ceux qui veulent bien l'entendre sa volonté de connaître enfin la paix et l'unité, de retrouver son identité libanaise avec toute sa diversité confessionnelle et culturelle. W. S.