L'UA a rejeté toute intervention extérieure et a appelé à la cessation immédiate des hostilités. L'Union africaine (UA) poursuit ses efforts pour essayer vainement de trouver une solution au conflit libyen. Dans ce cadre et en réponse à la demande formulée par le gouvernement de Tripoli en avril dernier, elle va tenir une Conférence extraordinaire des chefs d'Etat et de gouvernement à Addis-Abeba, à la fin de la semaine courante, dans la foulée du Sommet Inde-Afrique. Selon le communiqué de l'UA, «le sommet sera l'occasion d'examiner la situation en Libye, sur la base du travail que mène le comité ad hoc de haut niveau». A cette occasion, on peut se poser la question: «Que peut faire l'Afrique» pour mettre fin aux hostilités? Ce n'est pas faire preuve de pessimisme que de répondre: «Rien ou presque rien», du moins pour le moment. Ce pessimisme s'explique par différentes raisons: la faiblesse même de l'UA, l'absence de spontanéité dans le conflit libyen qui opposa dès le départ deux parties lourdement armées, le rôle trouble joué par des puissances occidentales qui outrepassent allègrement le mandat découlant de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU, la méfiance d'El Gueddafi nourrie par la duplicité des Occidentaux, les divisions qui traversent le CNT. Tout ceci fait que la situation se complique au fil du temps et rend, pour le moment, une solution négociée peu envisageable. Division et impuissance de l'Afrique Il faut rappeler que dès le 10 mars, soit sept jours avant l'adoption de la résolution 1973 du 17 mars par le Conseil de sécurité, le Conseil de paix et de sécurité de l'UA a rejeté toute intervention extérieure et a appelé à la cessation immédiate des hostilités ainsi qu'à la prise en compte des aspirations du peuple libyen à la démocratie et à la liberté. Cette «feuille de route» fut acceptée par El Gueddafi, mais rejetée par le Conseil national de transition (CNT) qui estime que l'organisation africaine est inféodée à l'ennemi. Par ailleurs, l'UA fut superbement ignorée par des pays comme la France et la Grande-Bretagne qui avaient déjà leur calendrier pour la Libye, un calendrier qui fut appliqué au pas de charge puisque les bombardements par la coalition occidentale commencèrent le 19 mars, entravant les efforts de l'organisation africaine. Il convient de signaler aussi que les trois pays africains membres non permanents du Conseil de sécurité (Afrique du Sud, Gabon, Nigeria) avaient voté la résolution 1973, en contradiction avec la position de l'Afrique qu'ils ont contribué à fragiliser, alors que la Chine, la Russie, le Brésil, l'Inde et l'Allemagne avaient opté pour l'abstention. Ceci illustre l'incapacité des petits pays à résister aux pressions des puissances occidentales qui ont pu diviser l'UA et réduire ses efforts à néant (1). L'Afrique reste attachée à une solution négociée sur la base de la «feuille de route» adoptée par les chefs d'Etat et de gouvernement du 10 mars, mais, selon le pathétique aveu de Jean Ping, le président de la Commission de l'UA, elle «n'est pas très écoutée». Il est peu probable qu'elle le soit davantage cette fois-ci. Contrairement aux soulèvements de Tunisie et d'Egypte qui furent pacifiques, celui de la Libye a opposé, dès le début, deux forces militaires, d'inégale importance certes, mais deux forces militaires quand même, et a pris la forme d'une guerre civile. Dès le début, les insurgés ont «libéré» des zones stratégiques, notamment des terminaux pétroliers et gaziers et bénéficiaient d'un appui occidental qui semblait obéir à un plan préparé depuis longtemps. Des pays occidentaux ont mené une action soutenue auprès du Conseil de sécurité pour assurer une couverture diplomatique et militaire aux rebelles (2). On peut légitimement penser que l'intervention en Libye a été préparée par des puissances étrangères pour réaliser des objectifs politiques qui pourraient ne rien avoir avec les intérêts du peuple libyen. La réalisation de ces intérêts passe par le départ d'El Gueddafi dont la résistance constitue une mauvaise surprise pour ses ennemis. La résolution 1973 a été adoptée sur la base du principe de la responsabilité de protéger les populations civiles, une norme juridique adoptée par l'assemblée générale de l'ONU réunie au Sommet en 2005. A priori, l'intention est respectable, mais dans les faits, les choses se passent autrement. Il est, aujourd'hui, largement admis que la résolution est violée dans l'esprit et la lettre (3). Outre l'UA, plusieurs pays membres du Conseil de sécurité, dont la Chine et la Russie (4), font grief à l'Otan d'outrepasser le mandat qui en découle. En effet, on peut légitimement s'interroger sur la finalité des frappes de l'Otan qui sont destinées à suppléer à la faiblesse des insurgés plutôt qu'à protéger les civils. Ce faisant, l'Alliance atlantique est devenue une partie au conflit et donc un problème à sa solution. Dès lors, il est peu probable de voir les pays occidentaux quitter la Libye avant la chute d'El Gueddafi. Ils ne peuvent pas laisser leurs alliés seuls face à ce dernier sans risquer leur crédibilité sur la scène internationale au moment où ils ambitionnent d'encadrer les «révolutions» arabes. Il sont condamnés au moins à se ménager une issue honorable. La seule inconnue est la réaction de leurs opinions publiques en cas d'enlisement du conflit. Ces dernières sont devenues allergiques aux interventions étrangères coûteuses dans une conjoncture de crise économique sévère. Pour le moment, ils semblent disposer encore d'une marge qui leur permet de refuser tout dialogue avec El Gueddafi, donc d'ignorer poliment les efforts de l'UA. Ils seraient plus inquiets par les efforts de Moscou qui a pris langue avec le gouvernement libyen aussi bien qu'avec les insurgés en vue d'obtenir une cessation des hostilités qui serait le premier pas vers une solution globale du conflit. Depuis 2003, le colonel El Gueddafi a fait beaucoup d'efforts pour réintégrer la Libye dans la communauté internationale. Il a dû passer sous les fourches caudines des pays occidentaux. Il a ainsi dépensé beaucoup d'argent pour indemniser les familles des victimes de l'attentat de Lockerbie. Il a aussi accepté de renoncer à ses armes chimiques et de démanteler son programme nucléaire mené clandestinement en violation du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Après beaucoup de sacrifices, il a fini par être reçu dans les grandes capitales occidentales où le tapis rouge fut déroulé. Il a aussi reçu en Libye les «grands» de ce monde. Hors, au moment où il pensait avoir réalisé ses objectifs, il constate que rien n'a changé. Ce sont ceux qui le recevaient hier ou lui rendaient visite qui tentent aujourd'hui de l'abattre et qui l'ont déjà atteint dans sa chair et dans son sang. Ce sont eux qui instrumentalisent le Conseil de sécurité et la Cour pénale internationale (5) pour l'abattre. Cette déconvenue est de nature à renforcer sa méfiance et à le mettre dans un état d'esprit non propice à la négociation. Le CNT mal connu et divisé Le CNT est renforcé dans son intransigeance par l'aide que lui apporte l'Otan dont trois membres seulement (France, Grande-Bretagne et Italie) sur les 28 l'ont reconnu juridiquement alors que d'autres lui reconnaissent la qualité de représentant du peuple libyen et traitent avec lui. On peut aussi citer l'Union européenne qui vient d'ouvrir une représentation à Benghazi, à l'occasion de la visite de Mme Ashton. Ceci étant, les énormes efforts que le CNT déploie pour obtenir une reconnaissance internationale n'ont pas eu les résultats escomptés. Cette prudence des Etats s'explique par les inconnues qui entourent cet organe autoproclamé. On peut simplement avancer qu'il est composé de quatre parties à peu près égales: des monarchistes, des islamistes, des transfuges du régime El Gueddafi et des démocrates. Tout cet édifice tient pour le moment parce que tout ce beau monde a un objectif commun, se débarrasser d'El Gueddadi, et parce que les alliés occidentaux veillent au grain. Mais qu'adviendra-t-il après le départ du colonel, -car il faut bien qu'il parte? Ce sera le saut dans l'inconnu pour la Libye. Rien ne peut être exclu: la partition du pays ou/et sa «somalisation». Enfin, la composition hétérogène du CNT pourrait aussi expliquer son refus de négocier pour ne pas risquer l'éclatement entre modérés et jusqu'auboutistes. Donc, encore une fois, «que peut faire l'UA» pour la Libye? Rien ou presque rien. A moins d'une divine surprise, la diplomatie comme la politique est l'art du possible. Mais par les temps qui courent, les Cassandres ont souvent raison. Alors, il faut croiser les doigts et espérer une solution qui mettrait fin au drame libyen réduit au sort d'un homme alors qu'il s'agit du devenir d'un peuple et d'un pays et, au-delà, au moins d'une région, le Maghreb. (*) Ancien ambassadeur (1) De telles pratiques faussent le jeu en permettant l'instrumentalisation du Conseil de sécurité par les grandes puissances. Sa réforme est une nécessité pour crédibiliser le rôle de l'ONU dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. (2) Cf. L'Expression du lundi 28 mars 2011, «Libye: légalité et légitimité de l'intervention militaire». (3) Cf. L'Expression du lundi 28 mars 2011, «Libye: légalité et légitimité de l'intervention militaire». (4) Ces deux pays, disposant du droit de veto, étaient les seuls à pouvoir empêcher les Occidentaux d'avoir la couverture juridique de l'ONU pour attaquer en toute «légalité» la Libye. Ils ne l'ont pas fait en s'abstenant lors du vote de la résolution 1973. On peut certainement trouver des raisons à cela, comme, par exemple, le souci de ne pas endosser la responsabilité d'un massacre de civils par les troupes d'El Gueddafi qui multipliait les déclarations belliqueuses. Ceci étant, Pékin et Moscou ne peuvent pas soutenir sérieusement que le comportement hors normes de l'Alliance atlantique est une surprise, au regard de son palmarès. (5) La CPI fut créée à l'initiative des ONG malgré l'opposition de certains grands pays comme les Etats-Unis. Elle a fini par devenir un instrument de politique étrangère au service de ces derniers. On l'a constaté au Soudan, on le constate en Libye. Concluant une enquête ouverte le 3 mars à la demande du Conseil de sécurité, le procureur de la Cour pénale Internationale (CPI), a lancé un mandat d'arrêt contre le colonel El Gueddafiet deux de ses proches, son fils Seïf Al Islam, et le chef des services spéciaux Abdallah Senoussi, pour «crime contre l'humanité», un délit imprescriptible. La Libye n'a pas signé le statut de Rome instituant la CPI.