Les révolutions arabes ont mis à nu l'épouvantail islamiste brandi par les régimes pour se maintenir au pouvoir. Les régimes arabes qui s'éternisent au pouvoir et refusent d'ouvrir des voies pour des changements politiques et démocratiques, ont la peau dure. Avançant la menace islamiste, les dirigeants arabes actionnent leurs appareils répressifs et étouffent dans le sang des mouvements populaires pacifiques. Dimanche dernier, le Maroc a suivi cette voie. Des dizaines de jeunes Marocains ont été réprimés pour avoir osé sortir dans la rue et réclamer du travail. La répression qui s'est abattue sur la manifestation organisée par des jeunes appartenant au Mouvement du 20 février, s'est soldée par plusieurs dizaines de blessés. Et pour justifier la répression, opérée à grande échelle notamment à Tanger, dans le nord du Maroc, on a soutenu que le Mouvement qui demande des changements politiques et démocratiques est manipulé par les islamistes. «Le Mouvement du 20 février qui réclame des changements politiques et démocratiques est phagocyté par les islamistes et les mouvements de gauche», a déclaré le ministre marocain de la Communication, Khalid Naciri. Pourtant, les jeunes n'évoquaient ni l'application de la charia ni la mise en place d'un gouvernement religieux. D'autres dirigeants n'ont pas échappé à la règle en collant l'étiquette islamiste à tous ceux qui osent contester l'ordre établi. Unanimes et catégoriques, les dictateurs arabes mettent l'accent sur le fait que les mouvements islamistes seraient l'unique force d'encadrement mobilisatrice des masses populaires. Ils s'autoproclament comme ultime rempart face à l'islamisme au moindre frémissement des vents de changement. Les sociétés arabes ont toujours été perçues par leurs chefs comme étant aliénées, sous l'emprise des islamistes et incapables de se soulever et d'imposer leurs revendications. Les exemples sont nombreux et ne datent pas d'hier. Les discours du président du Yémen Ali Abdallah Saleh, Bachar Al-Assad de la Syrie et Mouamaâr El Gueddafi de la Libye, et bien avant, Ben Ali en Tunisie et Hosni Moubarak en Egypte, ont tous brandi la menace islamiste, voire le risque de contrôle de leurs pays respectifs par Al Qaîda, si leurs régimes tombent. De tels arguments vides de substance sont une parfaite illustration de l'usage de l'épouvantail islamiste et terroriste par les dictatures et royaumes dans le Monde arabe. La nature des révolutions qui ont balayé les régimes de Ben Ali et de Moubarak a battu en brèche l'épouvantail islamiste derrière lequel se cachaient les régimes arabes. Les jeunes arabes épris de changement ne veulent plus continuer à exonérer leurs dirigeants, source de leurs malheurs et du sous-développement. Par leur courage et leur maturité politique, les jeunes arabes révoltés contre les dictatures, ont même convaincu l'opinion internationale que le mythe de «la menace islamiste» sert d'alibi pour les dirigeants dont le seul et l'unique souci est, sans nul doute, de demeurer éternellement au pouvoir, sans pour autant accepter d'ouvrir des voies sur de nouveaux horizons. Et pour paraphraser l'intellectuel égyptien Tarek Haggy: «depuis des années, la menace islamiste a trop servi de prétexte pour justifier les répressions. Et depuis les années 1970, ce sont les dictateurs «anti-islamistes» (Nasser et ses successeurs Anouar El-Sadate et Moubarak en Egypte; Hafez al-Assad et son fils Bachar en Syrie, qui ont re-islamisé radicalement leur pays, fait de la charia la source des lois, sponsorisé avec des pétrodollars saoudiens des écoles et centres, distillant un Islam rétrograde, puis anéanti la liberté religieuse et rendu impossible la vie des non-musulmans ou des laïcs. Ils récoltent aujourd'hui ce qu'ils ont semé.» Ces constats ne sont pas partagés par les autres observateurs. Le réarmement d'Al Qaïda grâce au pillage des stocks d'armes libyens donne un nouveau souffle à ses actions terroristes au Sahel. Voilà un curieux dilemme pour tous les stratèges.