Je pense, donc je suis! Penser, oui, mais dans quelle langue? Telle est la question! La quadrature du cercle en vérité, pour un pays qui n´arrive toujours pas, quarante-sept ans après l´Indépendance, à se situer linguistiquement parlant. Bilingue ou polyglotte par défaut, (deux langues nationales, arabe et tamazight, une langue étrangère, le français), l´Algérie n´arrive cependant pas à exploiter à bon escient cette richesse qui la place parmi les rares pays usant avec bonheur de plusieurs langues. Or, la question des langues a, dès l´Indépendance, été mal posée et mal prise en charge par les autorités qui ont laissé s´accumuler les erreurs de tempo et les rancoeurs. C´est dans ce contexte que fut lancée une arabisation à pas forcés sans méthodologie et sans réels moyens, notamment pédagogiques et scientifiques singulièrement, à même de permettre une arabisation réfléchie et effectivement profitable pour la société d´une manière générale, pour l´intelligentsia nationale plus particulièrement. Or, l´arabisation n´a été en fait qu´un alibi quand il fallait investir pour construire une école et une université d´excellence, capables de produire le savoir, de former les formateurs, comme de mettre en place les instruments de recherche qui redonnent du sens à la langue arabe, à lui restituer le statut de langue de science et de savoir, lui redonner aussi un dynamisme perdu sous le ronron du satisfecit d´un âge d´or bien révolu. Figée dans les «constantes nationales», la langue arabe est ainsi devenue un instrument idéologique et non de communication et de savoir. Dans son âge d´or, la langue arabe a été une langue scientifique avant qu´elle ne soit fossilisée par les conservateurs. En Algérie, et c´est cela le drame, l´école et l´université ont été mises dans l´incapacité de penser et de produire la science et la connaissance. Il fallait former des milliers de chercheurs en arabe, d´autres en tamazight pour donner à ces deux langues nationales de devenir de véritables vecteurs de la recherche et du savoir scientifique et technologique, aujourd´hui monopoles de la langue anglaise. Or, le problème des langues est partie intégrale de la question identitaire, sa sous-estimation, quand cela n´a pas été son ignorance, ont, en fait, paralysé le processus de récupération de cette part de notre identité fondamentale. De fait, la question qui se pose est: qu´est-ce qu´être Algérien? C´est quoi être Algérien aujourd´hui? Nous aurions aimé que les politiques qui arabisent pour arabiser répondent à une question que se posent tous les Algériens dont nombre d´entre eux sont arrivés à devenir des analphabètes bilingues ou polyglottes, parlant au moins deux langues (arabe-français, arabe-tamazight ou tamazight-français, très rarement les trois) sans pour autant qu´ils maîtrisent correctement l´une ou l´autre de ces langues de travail et de communication. Cela pour dire que l´on n´arabise pas par décret, comme cela a été fait ces dernières années. Se réapproprier la langue nationale est une nécessité historique plus que politique ou idéologique, erreur que semblent avoir commise les politiques qui ont «pensé» l´arabisation sans parallèlement mettre en place les éléments pédagogiques, scientifiques, techniques indispensables à cette arabisation. Or, l´arabe a été vidé de sa substance vitale et de sa dynamique pour en faire un instrument de pouvoir, ce qui explique à l´évidence, pourquoi la politique d´arabisation a échoué faisant dans un volontarisme qui n´aura pas suffi à redonner à l´arabe sa place naturelle dans la vie courante de tous les jours en Algérie. S´il faut arabiser le pays, faut-il encore que cela soit fait avec méthode. «Quand les gens intelligents se piquent de ne pas comprendre, il est constant qu´ils y réussissent mieux que les sots», disait en son temps André Gide.