Depuis lundi à Bagdad, les experts de l'ONU entrent dès aujourd'hui dans le vif du sujet. Dix-huit inspecteurs en désarmement (ils seront entre 80 et 100 d'ici à la fin de l'année) sont à pied d'oeuvre depuis lundi en Irak où ils doivent établir, soit que ce pays ne dispose plus d'armes de destruction massive, comme ne cessent de l'affirmer les autorités irakiennes, soit, en cas d'existence de ces armes, de procéder à leur destruction conformément à la résolution 1441 du 8 novembre dernier adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité En fait, dans l'un comme dans l'autre cas de figure, l'Irak n'est plus maître de son destin qui dépend désormais, outre de l'honnêteté et du professionnalisme, voire de la neutralité, des experts onusiens, de facteurs exogènes sur lesquels Bagdad n'a aucune prise, comme la détermination de Washington à frapper militairement, coûte que coûte, l'ancien royaume abbasside. En réalité, les prochains jours seront cruciaux pour la suite des événements que l'Irak est appelé à vivre. Bagdad qui doit donner le 8 décembre, date limite, la liste de l'ensemble des sites incriminés ou soupçonnés de servir à la mise au point d'armements chimiques, biologiques ou nucléaires, se rend compte du piège, qui peut s'avérer mortel, dans lequel l'a enfermé la résolution 1441. Celle-ci très stricte ne semble attendre de Bagdad que la confirmation de l'existence d'armes de destruction massive, quand les autorités irakiennes soutiennent qu'elles n'en ont plus, car ayant été détruites par l'ancienne mission de l'Unscom. Pour le malheur de l'Irak, aujourd'hui, plus personne ne croit aux déclarations de Bagdad qui, par le passé, aura fait peu cas des mises en garde internationales. La formulation de la résolution 1441, notamment certains de ses articles, est faite de telle sorte que l'on croit que le Conseil de sécurité sait exactement de quoi dispose l'Irak en matière d'armes prohibées. Partant donc d'une présomption d'existence de telles armes, le Conseil de sécurité «considère toute omission de la part de l'Irak comme une violation patente». Dans une lettre au secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, le chef de la diplomatie irakienne, Najji Sabri, estime que cet énoncé de la résolution en question «signifie qu'il y a une préméditation de s'en prendre à lui (l'Irak) sous n'importe quelle justification futile». En la «1441» intime à l'Irak de faire «une déclaration à jour, exacte et complète sur tous les aspects de ses programmes de mise au point d'armes chimiques, biologiques et nucléaires, de missiles balistiques et d'autres vecteurs tels que véhicules aériens sans pilote et systèmes de dispersion». Les exigences du Conseil de sécurité sont très précises et Bagdad est appelé à y répondre avec la même précision, sous peine d'en subir de «graves conséquences». Autrement dit l'autorisation aux Etats-Unis de mener des frappes militaires contre l'Irak. Saddam Hussein, qui a accepté «sans conditions» la résolution 1441, n'en relève pas moins son aspect «arbitraire et injustifié», selon lui, qui, comme l'affirme son ministre des Affaires étrangères, Najji Sabri, vise «à entraver la mission des inspecteurs» car, d'après lui, la Mission de vérification d'inspection et de contrôle de l'ONU (Cocovinu) et l'Agence internationale de l'énergie atomique (Aiea) ont été dotées de «prérogatives arbitraires et injustifiées». Pendant que les Irakiens étalent leur bonne volonté et leur détermination à coopérer avec les experts de l'ONU, -en dépit des réserves formulées par eux à propos du contenu de la résolution 1441-, les Etats-Unis toujours aussi décidés à changer le régime irakien, multiplient, pour leur part, les provocations et les mises en garde envers Bagdad, tout en poursuivant activement les préparatifs militaires. De fait, Washington agit comme si la guerre contre l'Irak était inéluctable quelles que soient les conclusions auxquelles parviendront les inspecteurs en désarmement de l'ONU. Dans une déclaration à la presse, Mohamed El-Baradeï, directeur de l'Aiea, a affirmé que «si Bagdad ne coopère pas, les conséquences seront graves, non seulement pour l'Irak, mais aussi pour la région tout entière». C'est vrai qu'une guerre aurait des retombées incalculables, mais il est néanmoins paradoxal que toutes les mises en garde s'adressent au seul Bagdad, alors que personne ne semble vouloir tempérer les élans de Washington qui pousse à la guerre. Car, si effectivement l'Irak est désarmé et ne possède plus d'armes de destruction massive, - seuls les Américains ont affirmé jusqu'ici le contraire sans en démontrer la justesse -, que se passera-t-il? Les Etats-Unis, qui se préparent à la guerre, obligeront-ils, malgré tout, la communauté internationale à sonner le glas de l'Irak? L'interrogation n'est pas seulement académique et demande à ce que l'ONU se détermine clairement sur les suites à donner au dossier irakien.