L'exploitation des enfants existe bel et bien à Tiaret et engendre des profits considérables. Contrairement aux “marchandises” courantes, un être humain peut être exploité à plusieurs reprises et constituer ainsi une source de revenus permanente. À l'instar des autres régions du pays, la wilaya de Tiaret vit sous le poids de la pauvreté, de la descolarisation et de la fermeture de plusieurs entreprises. Des aléas qui sont, à n'en point douter, synonymes de l'exploitation des êtres humains, notamment des enfants, qui perdure sous des facettes beaucoup plus discrètes et trompeuses. Ainsi, entre exploitation, persécutions et fausses promesses, les jeunes continuent de trimarder contre vents et marées afin de subvenir aux besoins de leur famille, en attendant des jours meilleurs. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, l'esclavage n'est pas seulement un fait passé de l'histoire mais une réalité actuelle. Il est protéiforme : l'esclavage domestique, le travail des enfants, le travail dans les ateliers clandestins, l'exploitation sexuelle des femmes et des mineurs. Les différents aspects de cette calamité sont aussi graves les uns que les autres mais le plus connu est le travail au noir, il correspondant à des conditions de travail exécrables. Aucun droit, une rémunération très basse par rapport au travail fourni et des conditions d'exercice contraires au traitement humain. Si on se réfère à une étude entérinée en 2006, par l'Organisation internationale du travail (OIT) et rapportée par la Forem en juin de la même année, “sur une population nationale enfantine d'environ 10 millions d'âmes , 250 000 à 300 000 enfants travaillent au vu et au su de tout le monde. Un chiffre énorme et qui, de surcroît, ne prend en compte que des enfants employés dans des lieux conventionnels (usines, entreprises, exploitations agricoles…) et exclut donc ceux travaillant comme agents d'entretien domestique chez les particuliers, vendeurs de cigarettes, vendeurs à la sauvette”.La même source précisait alors que cette étude, qui s'est étalée sur une année, a été entreprise à travers une dizaine de wilayas dont Tiaret, Alger, Blida, Boumerdès, Aïn Defla, Bouira, Tizi Ouzou et Tipaza. Cependant, ce qui est un secret de Polichinelle, certaines entreprises peu, ou pas du tout, honnêtes exploitent de plus en plus de jeunes, sachant que la main-d'œuvre est bon marché et ainsi, ils se font des marges importantes en s'enrichissant encore et toujours. Toutefois, on ne peut omettre tous ces jeunes bambins qui passent leurs journées à mendier à travers les artères de la ville. Ces derniers qui font désormais partie du décor se trouvent parfois repoussés ou carrément humiliés pendant que les enfants de leur âge, plus chanceux, se trouvent sur les bancs de l'école. “Pour 2 000 DA par mois, j'offre mes services comme petite bonne chez une riche famille de la ville alors que mon petit frère Lazreg, à peine 9 ans, est affairé toute la journée dans la vente du pain préparé à la maison”, affirmera la jeune Kheïra, âgé de 14 ans, qui affiche une déception qui en dit long, tant elle ressent cette misère qui a fait d'elle une victime de l'analphabétisme. “Au lieu d'être à l'école, je me trouve errant de bar en bar à la quête de quelques pièces de monnaie qui me sont remises par des consommateurs pour lesquels j'achète des cigarettes et des amuse-gueule”, s'indigne pour sa part, Farid, à peine 13 ans, qui nous explique que son père, seul actif dans la famille, n'arrive pas à joindre les deux bouts. Z. 17 ans, chapeautée par un proxénète, passe ses soirées aux abords des bars et autres dans l'espoir de racoler un généreux pédophile contre quelques billets. Cette dernière vend ses charmes juvéniles pour des miettes car contrainte de partager la cagnotte avec ses “charognards”... Comme des milliers d'autres enfants en Algérie, elle ignore ce que les mots enfance, scolarité, liberté veulent dire. Au demeurant, l'existence de cette frange de la société est loin de ressembler à un conte de fées car, même dans les sagas médiévales, la vie des enfants maltraités connaît un dénouement heureux. Or ces enfants, enrôlés malgré eux dans le crime organisé et l'argent dit “facile”, finiront généralement, une fois adultes, dans la rue prostituées, mendiants, vagabonds, mères célibataires démunies, petits délinquants ou criminels notoires à leur tour ou, dans le meilleur des cas, misérables et illettrés, besogneux, marqués à vie par les pires séquelles physiques et psychologiques d'un destin peu enviable. Le pire des cas : Les enfants exploités par leurs parents L'exploitation des enfants existe bel et bien à Tiaret et engendre des profits considérables. Contrairement aux “marchandises” courantes, un être humain peut être exploité à plusieurs reprises et constituer ainsi une source de revenus permanente. À travers les artères de la ville, nul ne peut ignorer cet homme d'une taille colossale qui suit, à longueur de journée, son fils, un adolescent arriéré mental qui tend la main aux passants avant de lui remettre, à chaque coin de rue, ce qu'il a pu récolter et poursuivre sa mission de nouveau. Pour cet autre homme d'un certain âge, ni la conscience ni le scrupule ne côtoient sa cervelle. Il trimballe quotidiennement, qu'il vente ou qu'il pleuve, ses deux petits bambins et son épouse, qu'il laisse camper sur les trottoirs où la maman étale un mouchoir pour ramasser la monnaie acquise grâce aux pleurs des petits innocents. Désinvolture, laxisme, banalisation d'une inhumanité touchant principalement les enfants des classes défavorisées. Poussées par l'indigence et l'ignorance, de nombreuses familles exploitent leurs enfants, quand ces derniers ne se sacrifient pas d'eux-mêmes, espérant tirer une rente quelconque de cette activité. Ceci dit, les enfants victimes et premiers concernés par cette traite ignoble ne reçoivent qu'une ridicule part du gâteau. La majeure partie du produit de ce trafic camouflé revient aux “parrains” et aux intermédiaires. Ainsi, les visages de la traite d'enfants à Tiaret sont multiples et les profits sont parfois plus énormes que nous le pensons. En hiver ou en été, qu'il pleuve ou qu'il vente, qu'il fasse un froid de canard ou un soleil de plomb, des enfants, parfois même des bébés, couchés sur des cartons ou de vieilles couvertures, assommés parfois à coups de sirop, d'autres debout à longueur de journée, devant les feux rouges, dans les marchés, aux abords des mosquées et sur les trottoirs de la ville. Leur santé en prend incontestablement un coup puisque bon nombre de ces enfants sont sujets à des maladies sérieuses et chroniques. Toutefois, la pauvreté et l'éclatement de la cellule familiale (divorce, alcoolisme, maltraitance, etc) peuvent être les raisons qui intègrent les mineurs dans la spirale du marché de la chair. Il s'agit, en somme, d'un autre aspect majeur qui est synonyme de complicité parentale dans la traite des enfants. POUR L'INSPECTION DU TRAVAIL, LA SITUATION N'EST PAS AUSSI INQUIETANTE La réalité est ainsi présentée à Tiaret, l'inspection régionale du Travail trouvait à redire puisqu'elle infirmait la gravité du phénomène relatif au travail au noir. Ainsi, selon le bilan qui nous a été fourni à l'issue de l'année 2007, sur 3 018 visites de contrôle, les services concernés ont délivré 2 055 procès-verbaux d'infractions à la législation du travail, dont 310 pour défaut d'affiliation à la sécurité sociale, 186 pour non-respect du SNMG, 246 pour placements et recrutements directs, 422 pour carence d'hygiène et sécurité et 520 pour indisponibilité de registres réglementaires. Au demeurant, ces mêmes services ont saisi 1669 réfractaires de mises en demeure. Considérant que l'emploi des enfants se trouve généralement au sein des créneaux de l'informel, l'inspecteur régional maintenait qu'il était insignifiant. Ce dernier n'avait, d'ailleurs, pas omis de saluer l'action gouvernementale en matière de législation et de généralisation de l'enseignement et de la formation professionnelle. En outre, il affirmera que l'inspection régionale du Travail avait engagé 1 708 actions de sensibilisation et de lutte sur le terrain législatif et pratique dont la mise en place d'une commission de coordination intersectorielle permanente pour contrecarrer le fléau. Néanmoins, ce dernier estimait qu'au-delà des mesures législatives tyranniques, l'effort doit être assidu quant à une action continue et le travail collectif impliquant, outre les pouvoirs publics, la société civile en général, à savoir les travailleurs, les syndicats les employeurs et les parents. R. SALEM