Jamais de mémoire d'octogénaires de la vallée du M'zab, la région n'a vécu une telle catastrophe. Les dégâts sont énormes. Des pertes en vie humaines, des dizaines de disparus et des centaines de maisons détruites. Hier, les populations sont sorties dans la rue pour demander une prise en charge plus importante. La mobilisation des éléments de l'ANP dans les opérations de sauvetage a rassuré les habitants de Ghardaïa. Mais l'ampleur des dégâts causés par les pluies torrentielles est telle qu'il faudra des jours et des jours pour rétablir la situation. Les pluies diluviennes, accompagnées de violents orages, se sont abattues pendant des heures sans discontinuer sur la vallée du M'zab dans la nuit de mardi à mercredi, jour de l'Aïd El-Fitr, plus particulièrement sur les communes de Ghardaïa, Metlili, Dhaïa Ben Dahoua et Guerrara. Ces pluies ont causé la mort de pas moins de 33 personnes et blessé 50 autres. Ces torrents ont aussi provoqué d'énormes dégâts aux habitations, commerces et infrastructures de base dans huit communes sur les treize que compte la wilaya de Ghardaïa, à 600 km au sud d'Alger, mettant quelquefois à nu toutes les tares techniques de certaines structures. À Bounoura, outre l'école fondamentale complètement dévastée, le principal pont de Sidi-Abbaz, reliant le nord au sud du pays, sur la RN1, a été gravement endommagé sur les flancs et une partie importante de sa chaussée s'est effondrée sous la puissance des eaux. Ce qui a contraint les autorités à le fermer à la circulation, engendrant une sévère perturbation routière et une coupure, de facto, entre les deux parties du pays. En effet, l'ouvrage d'art, d'une vingtaine d'années, a cédé sous l'effet des trombes d'eau, coupant ainsi la circulation automobile. Des bus bondés de voyageurs, des camions de gros tonnage et beaucoup de véhicules se sont retrouvés, de ce fait, pris au piège et bloqués pendant plus de 36 heures des deux côtés du pont, partiellement détruit. L'oued M'zab, qui est sorti de son lit vers 4h du matin a, en effet, tout emporté sur son passage, détruisant les confortements construits récemment sur les berges et envahissant la cité El-Quaria, où des dizaines de maisons ont été submergées par les eaux. Quelques-unes des constructions précaires ont même cédé sous la force des eaux, mettant ses habitants dans la rue ce qui grossit le nombre de sinistrés. Des flots de plus de six mètres de hauteur, dans un rugissement effrayant, charriaient des voitures, du bétail, toutes sortes d'objets et de matériaux, et malheureusement des corps sans vie qui seront repêchés plus en aval. Le vieux et superbe ksar de Bounoura a été aussi complètement inondé, à El-Sanef, dans sa partie postérieure, contraignant beaucoup de familles à abandonner leurs demeures et à fuir se réfugier dans sa partie haute, construite en forme pyramidale. “C'était l'enfer, les eaux nous cernaient de toutes parts, emportant tous nos biens. Nous avons dû notre salut en nous précipitant avec femmes et enfants sur les terrasses de nos maisons. Nous sommes restés comme ça dans le froid, jusqu'au lever du jour sans aucune intervention des autorités. Si nous sommes encore en vie, c'est grâce à la bravoure de nos concitoyens qui, au péril de leur vie, ont secouru les sinistrés et les ont assistés par des couvertures et des denrées alimentaires. Nous les remercions du fond du cœur et écrivez-le, s'il vous plaît”, raconte M. Gairaa, fulminant contre les autorités locales, coupables à ses yeux de les avoir abandonnés, alors qu'à ses côtés, fataliste, un sexagénaire déclare : “C'est la volonté de Dieu et on ne peut rien contre.” Par ailleurs, le mur d'enceinte de l'APC ayant été détruit par les eaux, c'est le parc entier de camions et d'engins qui s'est retrouvé englouti sous les eaux, privant ainsi les secours d'une importante possibilité de moyens adéquats à déployer face aux urgentes opérations à mettre en branle. Les flots ont atteint 8 mètres par endroits À Ghardaïa, plusieurs quartiers ont été inondés et les flots ont atteint par endroits l'inimaginable hauteur de huit mètres. Les traces encore visibles sur les façades attestent de cette prodigieuse force de la nature. Ce qui a provoqué la crue de plusieurs oueds aux alentours, entre autres, N'tissa, M'zab, Labiod, Lâadira et oued El-Kebch, qui ont semé la désolation sur leur parcours, ne ménageant rien : engins, camions, voitures, bétail (ovins et caprins) et même des humains. Partout des gens complètement couverts de boue essayent d'écoper l'eau avec des seaux, toute l'énergie du désespoir se lisant dans leurs yeux. Ce n'est que ruines et désolation tout le long de l'oued. Aucune demeure ni commerce n'ont échappé à la colère des flots. Amas de ferraille, de boue et plein d'autres sédiments jonchent le sol. Dans cette commune, c'est les quartiers de Baba Saâd et Baba Oudjenna qui ont subi les plus gros dégâts, avec la palmeraie, sur la route de Touzzouz, très peuplée dans un périmètre très difficile d'accès et où les secours trouvent encore toutes les difficultés pour y accéder. C'est dans ces quartiers, du côté d'Imoudhane, Aoudjerinet et Bouchemdjene, complètement sinistrés, et où les habitants armés de pelles s'évertuant à dégager des montagnes de boue que l'on compte le plus grand nombre de victimes recensées à ce jour, mais dont, hélas, le chiffre est appelé à être revu à la hausse, compte tenu des énormes dégâts constatés par hélicoptère. Ce sont ces quartiers qui ont le plus subi la furie des eaux qui se sont engouffrées et ont inondé des centaines de maisons, contraignant les habitants à se réfugier sur les terrasses, attendant un hypothétique secours qui a semblé durer une éternité. Ces derniers, vu l'ampleur des dégâts et la configuration particulière du relief, semblaient ne pas savoir par où entamer les opérations, compte tenu des appels au secours qui fusaient de toutes parts. Même les moyens engagés étaient dérisoires par rapport aux besoins exigés par la circonstancielle tragédie qui se déroulait à grande échelle et “à ciel ouvert”. Les secours dépassés, les pompiers inondés et des pelles pour dégager des tonnes de boue Les dégâts occasionnés dépassent tout entendement. Partout des monticules de boue s'entassant dans un décor de paysage lunaire en ocre rouge, donnant une désagréable sensation de fin du monde. Phénoménale souillure, dont seule la nature en possède les secrets. Même le centre-ville du chef-lieu de wilaya, censé être mieux protégé par la concentration des administrations, édifices et établissements bancaires qu'il renferme, n'a pas été épargné. Toute la voie carrossable droite du boulevard du 5-Juillet, longeant l'oued M'zab, et ce, du sanctuaire des Martyrs de Merakchi vers le carrefour de Melika Bas, à proximité du boulevard Didouche-Mourad, s'est affaissée en plusieurs endroits, emportant même les murets de protection tombés tels des châteaux de cartes. Le boulevard Didouche-Mourad a été complètement saccagé. Plusieurs maisons ont été détruites et tous les commerces qui ont été “visités” par les eaux n'offraient plus qu'un spectacle de désolation. Gravats, immondices, plaques de bitume arrachées à la chaussée et objets hétéroclites jonchaient la chaussée à notre passage. C'est dire le déferlement de violence vécu, dans la terreur, par les habitants de ces quartiers limitrophes de l'oued, qui s'est douloureusement rappelé à leur souvenir. Les quartiers populeux et populaires de Hadj-Messaoud, Mermed et Ben Smara, assez éloignés des berges des oueds, ont aussi beaucoup souffert des intempéries qui ont inondé leurs demeures, mais l'on n'y déplore heureusement aucune perte en vies humaines. Même l'unité de la Protection civile et la Sûreté de wilaya, mitoyenne, ont été inondées et ont perdu beaucoup d'engins spécifiques aux opérations de secours et de motos lesquels ont été malmenés par les eaux et engloutis par la boue. À Dhaïa Ben-Dahoua, 12 km au sud du chef-lieu de wilaya, on déplore le décès d'un citoyen. 500 hectares de cultures maraîchères détruits Tout le périmètre agricole de Lâadira, s'étendant sur une superficie de plus de 500 hectares, a été inondé et enseveli sous les eaux. Toutes les cultures maraîchères et quelques agrumes et arbres fruitiers, approvisionnant habituellement la wilaya de Ghardaïa, ont été détruits, réduisant à néant un investissement énorme consenti par l'ancien Fonds national de développement rural (FNDA), réalisé sur plusieurs années de dur labeur pour apprivoiser la nature du sol de l'époque. Il ne reste plus rien de l'électrification rurale ni des pistes agricoles. Plus de 150 agriculteurs ont perdu le produit de longues années d'efforts, sans parler de la main-d'œuvre mise au chômage, grossissant des rangs déjà endémiques dans cette partie de la vallée. Mêmes scènes de destruction au périmètre agricole de l'oued Labiod, à quelques kilomètres à vol d'oiseau. Plus de 650 hectares ont été laminés par les eaux, tel un tsunami, mettant à genoux, comme pas possible d'imaginer, plus de 300 agriculteurs, par les éléments déchaînés de la nature. Les éleveurs de ces deux périmètres comptabilisent, à eux seuls, la perte de plus de 1 000 têtes de bétail. À Metlili, 45 km au sud du chef-lieu de wilaya, où une victime est à déplorer, 300 familles sinistrées ont été recensées par la cellule de crise. Pas moins de 150 maisons ont été touchées par les inondations et 50 d'entre elles doivent être évacuées en urgence sous peine d'effondrement imminent. 30 autres habitations précaires doivent être complètement rasées. Selon les services techniques, 70 familles, déclarées en danger de mort, doivent être évacuées en urgence et relogées ailleurs. Pour ce faire, 160 logements prêts à les recevoir, mais néanmoins squattés par d'autres non nécessiteux, doivent être récupérés conformément à la loi, quitte à requérir la force publique, et les attribuer par ordre de besoin. À Guerrara, 130 km au nord-ouest de Ghardaïa, 9 personnes ont perdu la vie, victimes de ces intempéries. L'usine Tudor saccagée À Berriane, beaucoup de dégâts nous sont rapportés, notamment dans la zone industrielle où une importante usine de fabrication de batterie, sous licence Tudor, employant plus de 100 ouvriers, a été complètement saccagée par les eaux. Au lendemain du drame, les secours commencent à s'organiser avec l'arrivée massive des aides affluant de toutes les wilayas du pays, notamment des centaines d'éléments de la Protection civile, dépêchés pour la plupart d'Alger par avion spécial équipés de Zodiac, de matériels adéquats ainsi que des équipes cynophiles pour la localisation des corps encore enfouis sous les décombres. 4 avions de gros tonnage sont arrivés à l'aéroport Moufdi-Zakaria de Ghardaïa, chargés de tentes, de couvertures, de denrées alimentaires et de fardeaux d'eau. Pour sa part, l'ANP a dépêché 5 hélicoptères pour l'évaluation des dégâts dans les zones inaccessibles par route et le sauvetage des sinistrés, piégés par la montée des eaux. L'électricité coupée par mesure de sécurité, compte tenu des nombreux pylônes arrachés, a été rétablie. Le gaz de ville est en train d'être rétabli quartier par quartier, après contrôle du réseau par les éléments de la Sonelgaz qui travaillent sans relâche. Les liaisons téléphoniques, notamment le fixe, restent, quant à elles, toujours coupées, privant ainsi les utilisateurs d'Internet de la connexion. “Jamais de ma vie je n'ai assisté à une aussi brutale montée des eaux”, affirme aâmi Salah, 84 ans, ajoutant sentencieusement : “De toute façon, c'est la faute des hommes qui ont essayé de spolier l'oued de son espace naturel. Il n'a fait que le reprendre, exprimant ainsi sa colère contre la cupidité des humains. En fait, la nature reprend ses droits.” L. K. Lire tout le dossier en cliquant ici