Beaucoup d'encre a coulé sur le fameux discours du président Chadli prononcé le 19 septembre 1988, en réponse au climat politique et social délétère qui régnait dans le pays à cette période. Des observateurs et même des acteurs politiques de l'époque estiment que le lien était direct entre les propos du chef de l'Etat et les évènements du 5 Octobre 1988. Cette allocution a-t-elle été réellement la mèche qui a poussé au drame d'Octobre ? Contenait-elle, comme le disaient d'autres, les germes de l'explosion sociale tant redoutée ? Serait-il vrai que sans ce discours, il n'y aurait pas eu Octobre 1988 ? Mais qu'est-ce qui aurait poussé Chadli à se montrer aussi dur dans son discours ? Ce que l'histoire retient en tout cas, c'est que le Président n'avait fait que réagir à une véritable campagne de déstabilisation venant de l'intérieur même du régime et qui l'avait ciblé y compris dans sa famille. Le climat social, avec des pénuries chroniques des produits de première nécessité, doublé des rumeurs les plus folles, n'était en réalité que la partie visible de l'iceberg. En haut lieu, les opposants au Président — classés dans la catégorie des conservateurs — étaient décidés à en découdre avec le pouvoir en place. C'est donc là une situation qui n'était pas pour arranger le chef de l'Etat qui, malgré tout, n'était décidément pas près de céder devant ses détracteurs. En atteste, en effet, son discours du 19 septembre, lors duquel Chadli riposte et annonce clairement qu'il ne veut pas se laisser faire. Les cercles opposés à Chadli auraient interprété ce message comme une déclaration de guerre. Les hostilités étaient donc ouvertes avec au milieu de l'arène une population prise en otage et excédée par la corruption qui ronge le pays et la répression des libertés. L'un des éléments à retenir de ce discours, c'est qu'il a révélé au grand public, à l'opinion nationale et internationale, ce conflit jusque-là larvé qui empoisonnait les rapports au sein du régime. Le chef de l'Etat ne franchit, cependant, pas le pas pour désigner nommément ses opposants. Qui avait suggéré à Chadli une telle réplique ? Mouloud Hamrouche et Ghazi Hidouci, à l'époque respectivement secrétaire général de la présidence de la République et ministre de l'Economie, tous deux très proches du chef de l'Etat, étaient chargés de cette mission. “Nous avons, comme c'était notre rôle, préparé au Président un discours radical dans le fond et non dans la forme”, tient à nuancer M. Hidouci (Octobre : ils parlent, de Sid-Ahmed Semiane). “Dans les conditions de crise économique et de décomposition des appareils politiques et administratifs de l'époque, nous avions proposé que le Président devait signifier aux protagonistes, qui se démenaient pour partager le pouvoir après un nouveau congrès du FLN dans le gouvernement et l'armée, qu'il refusait de négocier avec eux un nouvel équilibre au pouvoir parce que les démarches politiques, sociales et économiques sur lesquelles ils se positionnaient aboutissaient toutes à l'impasse”, explique-t-il. Tentant de rejeter sa responsabilité quant à la tournure des évènements, l'ancien ministre de l'Economie estime que “le Président a fait un discours radical dans la forme et non dans le fond”. “Il a préféré menacer tout le monde sans proposer de changement. C'était politiquement inefficace et cela a entraîné la levée de boucliers. En réalité, nous avons été déçus par ce discours”, reconnaît-il, cependant. Même Larbi Belkheir, qui était à l'époque directeur de cabinet au palais d'El-Mouradia, a préféré prendre ses distances par rapport au discours du 19 septembre et admet le caractère provocateur du laïus. “J'ignorais le but recherché à travers ce discours. Je ne sais pas comment il a été préparé car je n'y avais pas pris part. Je crois que le Président a voulu surtout sensibiliser l'opinion sur ses projets de réformes et sur les difficultés qu'il rencontrait dans leur mise en œuvre”, avait-il affirmé dans l'ouvrage consacré par Sid Ahmed Semiane aux évènements d'Octobre 1988. Pour M. Belkheir, le discours “bousculait les réfractaires aux réformes et il prenait à témoin l'opinion publique”. Ce qui a, selon lui, “exacerbé un peu plus les antagonismes au sein du parti et des institutions de l'Etat entre, d'une part, les conservateurs qui s'opposaient aux réformes ou qui tentaient de les retarder et, d'autre part, les tenants des réformes”. Les observateurs sont unanimes à relever le manque de sérénité chez le Président lors de son discours à la nation. Chose qui, semble-t-il, a surpris même ses proches collaborateurs. Quoi qu'il en soit, Chadli a rapidement suivi son discours d'actes qui ont bouleversé le cours des évènements. Si l'on se fie aux déclarations des assistants du chef de l'Etat, cela faisait déjà longtemps que ce dernier voulait mener des réformes. Cependant, il ne s'attendait certainement pas à la réaction violente de la rue et les manipulations qui avaient accompagné les manifestations populaires d'Octobre 1988. Et comme le coup était déjà parti, il était décidé à aller au bout de sa logique. Il commence, ainsi, par un changement de gouvernement en désignant le défunt Kasdi Merbah comme chef de gouvernement à la place d'Abdelhamid Brahimi. L'équipe des réformistes lance la révision de la Constitution qui va, après le 23 février 1989, modifier fondamentalement la donne politique dans le pays en consacrant l'ouverture démocratique et en instituant pour la première fois depuis l'indépendance le multipartisme. H. S.