Hussein Nuri n'a pas capitulé devant le handicap qui le prive de l'usage de ses jambes et ses bras. Il utilise sa bouche pour réaliser ses tableaux, dont certains comme la Sainte Marie sont connus mondialement. “C'est un être extrêmement attachant.” C'est la première réflexion qui traverse l'esprit en voyant, pour la première fois, Hussein Nuri, assis humblement sur son siège roulant, le sourire aux lèvres et le regard bienveillant. L'artiste peintre iranien, de notoriété internationale, nous reçoit dans son domicile à Téhéran en compagnie de sa femme et de son fils cadet. La particularité de cet homme de 54 ans se résume en son incroyable faculté de peindre des tableaux avec la bouche. À l'âge de 17 ans, il perd l'usage de ses bras et de ses jambes des conséquences de la torture, exécutée par les services de sécurité du shah. “En 1971, j'ai écrit, à l'occasion d'un festival sur la 2500e année du régime royal, sur les droits de l'Homme en Iran. J'ai été arrêté et torturé.” Il encaisse, des semaines durant, des coups sur la colonne vertébrale jusqu'à subir des lésions irrémédiables dans la moelle épinière, entraînant une paralysie des membres inférieurs et supérieurs. Un handicap lourd qui n'a guère invalidé sa passion pour l'art, particulièrement la peinture, mais aussi l'écriture de scénarios pour des œuvres cinématographiques. À défaut de manipuler les pinceaux avec les doigts, il a adapté sa bouche à cet usage. Nadia Maftuni, son épouse depuis 1984 et mère de ses deux fils, est sa véritable muse aussi bien pour sublimer sa vie que son art. “Je ne me suis jamais senti diminué à cause de mon handicap, car j'ai une famille et je fais ce que je veux”, confie-t-il. “Je n'ai pas de mots pour dire combien je l'aime. L'adage populaire dit : “Deux âmes dans un seul corps”. Je dis que nous sommes une seule âme dans un seul corps. C'est elle mes mains, mes pieds et mon cœur”, ajoute-t-il, en lançant un regard de tendresse vers sa femme. Nadia l'assiste dans les plus simples gestes du quotidien, jusqu'à le porter, comme un bébé, pour le déplacer de la chaise roulante vers le divan. Ce qu'elle fait devant nous sans complexe. Elle partage aussi son amour pour la peinture naturaliste. “J'ai appris à peindre, auprès de lui”, révèle-t-elle. Quand il avance vers une toile pour nous faire une démonstration de sa façon de peindre, elle se met à ses côtés pour lui présenter un plateau de pinceaux et le mélangeur de couleurs. Pendant quelques instants, le temps semble s'être figé dans un silence rompu par le seul son du frottement du pinceau contre la toile. Nadia Maftuni regarde son mari avec ravissement, puis monte prestement à l'étage pour descendre quelques tableaux qu'elle voulait nous montrer. “Il est prolixe. En quatre ou cinq ans, il a peint 400 toiles”, rapporte-t-elle. Son fils raconte qu'il y a sept ans, il a inventé un nouveau style de représentation graphique. Il peint, parfois aléatoirement, des figures sur une toile. Il y colle une autre vierge avec l'intention d'y calquer les dessins, dans une parfaite symétrie de couleurs et de formes. “Il a été inspiré par un verset coranique qui parle de l'intériorité qui se reflète dans l'extérieur. Il a appelé ce style : réflexion”, explique-t-il. Hussein Nuri est l'auteur d'un millier d'œuvres qu'il a exposées en Iran, en France et en Chine. Sa plus célèbre réalisation s'appelle la Sainte Marie. En 2006, au cœur d'une manifestation de protestation contre la publication de caricatures blasphématoires contre le Prophète, devant l'ambassade du Danemark à Téhéran, Hussein Nuri avance sur sa chaise roulante, poussé par sa femme. Il peint le portrait de la vierge Marie pour prouver “combien les musulmans respectent les saintetés. Je voulais montrer notre culture et notre éthique”, déclare-t-il. Son geste et son tableau ont été commentés par les médias du monde entier. Il lui a permis d'ouvrir un nouveau front dans la défense des droits de l'Homme. Un engagement qui l'a affublé, trente-sept ans plus tôt, d'un handicap permanent. S. H. l Hussein Nuri exposera ses œuvres avec d'autres artistes invalides de guerre iraniens et algériens au Musée national du moudjahid, à Alger, à partir de samedi 18 octobre.