Si Allel a emprunté la voie de la résistance en 1997 alors qu'il avait vieilli de quelques années au-delà de la soixantaine. En sa qualité d'ancien moudjahid, il prend naturellement la tête du groupe de Hraoura (Sidi-Moussa). Par malchance, au bout de quelques mois, il est touché par l'explosion d'une bombe enfouie sous terre alors qu'il traquait, avec ses hommes, un groupe armé. “J'ai perdu mes deux jambes. On me dédommage avec une pension d'invalidité à 100% et une indemnité allouée aux Patriotes (22 000 dinars, ndlr).” Le septuagénaire ne se plaint guère du manque de revenus. “Je suis bien nanti. Je vis avec mes enfants de l'héritage de mon père. Cela me permet d'avoir un toit et des revenus. Et puis, j'ai la pension d'ancien moudjahid et ma retraite. Ce n'est pas le cas d'autres Patriotes”, témoigne-t-il. Nacer Belamri endure une situation pécuniaire nettement plus pénible. Il a perdu la vue lors d'une opération menée contre les terroristes. “Le 26 juin 1997, je ratissais la région avec un convoi de militaires. Nous nous sommes introduits dans une villa pour l'inspecter. Malheureusement, elle était piégée. Le souffle de l'explosion a endommagé mes deux yeux. Un lieutenant y a perdu la vie, tandis qu'un autre Patriote a été blessé”, se souvient-il. Pendant les quatre mois qu'il a passés à l'hôpital militaire d'Aïn Naâdja, ses cinq enfants et son épouse sont ballottés d'un foyer à un autre. Son plus jeune garçon avait à peine 3 ans. “Il est âgé de 14 ans aujourd'hui. Je ne l'ai pas vu grandir.” Nacer ne connaît pas non plus l'aspect physique de ses trois autres enfants, nés postérieurement à la fatidique date qui marque son immersion dans le noir éternel. Le patriotisme a coûté cher aux frères Belamri. Outre Nacer, le combat contre le terrorisme a mutilé douloureusement Hakim et Khalil. L'un est amputé des deux jambes, l'autre a perdu une jambe et un œil. “J'ai porté le treillis car je ne pouvais plus supporter qu'on égorge des enfants et des femmes. J'ai fait ce choix par conviction. Je ne le regrette pas. Quand il y a eu l'attentat contre l'école de gendarmerie, je me suis dit que si je pouvais voir encore juste un peu, je reprendrai les armes contre les terroristes”, déclare Nacer. Il souhaite, néanmoins, que l'Etat reconnaisse son sacrifice et l'aide à mieux vivre, et surtout à assurer un avenir plus aisé à ses enfants. Il perçoit mensuellement un cumul de pension d'environ 22 000 DA. Tâche ardue que de subvenir aux besoins de 10 personnes avec une somme modique au moment où l'inflation caracole. “Je suis invalide. Mes enfants sont encore jeunes. C'est dur de voir que d'anciens “émirs” et repentis se sont enrichis alors que des Patriotes souffrent de la misère”, lance si Allel, d'un ton amer. Nacer Belamri a galéré presque dix ans avant de bénéficier d'un logement social à Cherarba, en 2005. Le lieu de la nouvelle résidence ne l'agrée nullement. “À Sidi-Moussa, je connais chaque centimètre de trottoir et beaucoup de ses habitants. Je parviens à rester autonome, malgré mon handicap. À Cherarba, personne ne me vient en aide.” Sa fille, universitaire, le guide à travers les rues et ruelles de la ville au grand dam d'une communauté très restrictive sur les sorties des femmes. Le rêve de Nacer est en somme assez simple : échanger son F3 à Cherarba contre un appartement similaire à Sidi-Moussa. “J'ai donné une partie de moi-même pour cette commune. Je veux revenir y vivre parmi les miens.” La petite localité, si pittoresque en cette fin de l'été, a payé un lourd tribut au terrorisme. Durant les années de braise, qui osait s'y aventurer alors qu'elle n'est qu'à 20 kilomètres d'Alger ? “Aucun habitant de la commune n'a été épargné par le terrorisme”, précise Si Allel. Il se rappelle de la sinistre nuit qui a happé des centaines de citoyens, passés de vie à trépas à coups de hache et de sabre (massacre de Raïs en septembre 1997). Parmi les victimes du terrorisme de la localité, de très nombreux Patriotes, dont une dizaine garde des séquelles physiques indélébiles. S. H.