Ils sont nombreux à vivre les mêmes contraintes, les mêmes difficultés de la vie quotidienne. Longtemps laissés à l'abandon, livrés à leur univers obscur tout en continuant à vivre dans l'espoir d'une vie décente et d'une meilleure reconnaissance, les non-voyants crient leur douleur à qui veut les entendre. “Nous voulons juste un travail afin de mener une vie plus active”, réclament-ils. C'est un véritable cri de détresse que lancent les non-voyants à travers leurs associations qui dénoncent le détournement de certains projets et budgets destinés, soit à la réalisations d'infrastructures, soit à la prise en charge (cantine et internat) pour les jeunes aveugles. “Les terrains et les budgets destinés à la construction de ces écoles sont carrément détournés”, nous dit-on au niveau d'une des associations des non-voyants. “Ces personnes ont le droit de vivre. L'intégration dans la société est pénible, fastidieuse et décourageante. Aucun soutien n'est fourni de la part des pouvoirs publics pour nous insérer dans le monde du travail. Il y a ceux qui ont eu de la chance de trouver un emploi, mais la totalité se contente d'attendre une pension de 1 000 DA par mois. Comment voulez-vous qu'on parvienne à joindre les deux bouts avec une somme pareille ?” s'interrogent les non-voyants dont certains sont des pères de famille. Effectivement, l'accès à l'emploi ne cesse de constituer une véritable préoccupation pour les handicapés en général et les non-voyants en particulier en Algérie. Ces non-voyants n'ont aucune activité après avoir terminé leur formation. “Cet obstacle a fait de nous des mendiants et permis à certains cercles d'exploiter un grand nombre d'aveugles. Nous sommes entièrement marginalisés et oubliés. Les pouvoirs publics doivent réfléchir à créer des activités et à donner des chances et des opportunités d'avoir un travail décent”, se plaint un non-voyant. “Nous ne voulons pas être sollicités et invités uniquement à des célébrations ou à des manifestations comme le 3 décembre et le 14 mars, journées du handicapé, lors desquelles nous entendons des promesses des pouvoirs publics jamais tenues. Mais nous voulons notre place dans la société”, nous dit M. Hayouna, président de l'Association des formateurs et éducateurs des écoles des jeunes non voyants et professeur à l'école des jeunes aveugles d'El-Achour, Alger. Selon lui, “le vrai problème réside dans la prise en charge totale de ces personnes. Ces établissements de l'enseignement ont besoin d'équipements spécialisés, d'un programme pédagogique qui correspond à celui des autres écoliers. Ils ont besoin de manger et d'être hébergés dans de meilleures conditions. Je tiens à signaler que le budget alloué à ces centres reste insuffisant, chose qui nous oblige à faire appel aux organismes sociaux étrangers, et nous comptons beaucoup sur l'appui de quelques âmes charitables, car c'est grâce à ces dernières que les élèves mangent à leur faim”. Il explique aussi : “Nous sommes en train de reculer au lieu d'avancer par rapport aux nouvelles technologies et à d'autres pays.” Et d'ajouter : “Pour dédouaner des équipements destinés aux jeunes aveugles qui sont en général des dons donnés par des ONG et des associations étrangères, l'association est confrontée à plusieurs contraintes administratives. Pourtant, les pouvoirs publics ont promulgué un texte de loi qui exonère ces associations de handicapés de toute taxe aux matériels destinés aux handicapés sans aucune contrainte. Il se trouve que ce sont rien que des lois non appliquées.”M. Hayouna soulève aussi le problème de la pension des handicapés qui est de 1 000 DA par mois. “Que va faire un handicapé avec cette maudite somme ? Pourquoi les autres cas sociaux sont mieux pris en charge que nous ?” se demande notre interlocuteur qui précise que pour l'avoir, le handicapé doit fournir tout un dossier administratif et passer par un long processus pour bénéficier de cette “fameuse” pension ! “La politique sociale algérienne doit être cohérente. Le discours politique doit être appliqué par des faits et non par simplement des promesses.” Selon une source au niveau de l'une de ces écoles de jeunes aveugles, “le budget n'est pas seulement détourné mais carrément volé”. Si la majorité des non-voyants sont dans le désarroi et n'ont pas pu s'insérer dans la vie active, d'autres, en revanche, se sont battus et ont pu obtenir leur place dans la société et le milieu professionnel. M. Akache, professeur de philosophie, consultant pour l'animation et la recherche au Musée national des beaux-arts d'Alger, et consultant à la Chaîne III, est l'un de ces non-voyants qui ont réussi. “Ils sont 5% de la population algérienne et plus de 100 000 non-voyants. Avant d'aborder la situation des personnes handicapées en Algérie, particulièrement les non-voyants, il faut savoir que cette frange de la population a été gérée dès le début par différentes institutions de l'Etat. Après l'indépendance, c'est le ministère de la Santé qui a pris en charge ces personnes jusqu'en 1982. Ensuite, c'est au secrétariat d'Etat aux affaires sociales de prendre le relais. Ensuite, c'est le ministère du Travail qui s'en charge et, enfin, leur gestion est confiée au ministère de la Solidarité nationale jusqu'à aujourd'hui.” Il explique aussi que “ces handicapés présentent de grands besoins qui consistent en la formation, l'emploi et la couverture sociale. Il y a eu une loi en 2002 portant sur la protection et la promotion des handicapés. Enormément de choses ont été faites dans ce sens. Mais le plus grand problème est celui de l'emploi et de l'enseignement. Pour l'emploi, c'est aux associations d'aller vers les entreprises et les ONG pour essayer de décrocher des aides qui peuvent participer à créer des postes d'emploi. Il faut noter que ces associations sont subventionnées par l'Etat. Le ministère de la Solidarité doit aussi sanctionner les entreprises qui ne veulent pas intégrer le taux de 3% des handicapés exigé par la loi. Le deuxième point concerne l'enseignement. Le ministère de l'Education doit avoir un regard plus percutant sur les programmes et surtout se concerter avec les personnes intéressées pour mettre en place une procédure d'examen de la 6e année et du brevet. Les candidats doivent passer leurs examens comme les autres candidats. Plus d'examens oraux pour les handicapés et il faut une concertation entre les établissements pour que les candidats handicapés puissent passer l'examen dans les meilleures conditions”. Selon le professeur Akache, beaucoup de choses restent à faire pour les handicapés, et “les pouvoirs publics doivent s'impliquent davantage dans le cadre de la solidarité”. Une source au département d'Ould Abbès confirme qu'“il y a une loi portant sur la protection et la promotion des handicapés, et les non-voyants sont pris en charge par un réseau de 19 établissements à l'échelle nationale et qu'une allocation forfaitaire d'aide destinée aux personnes âgées et handicapées non voyants qui était de 1 000 DA est passée à 3 000 DA, et ce depuis 2007. Ils bénéficient également d'une couverture sociale”. Concernant la lenteur et l'application de cette loi, notre source déclare qu'“il est vrai que pour bénéficier de cette aide, il faut un dossier administratif et cela demande du temps pour un rendement meilleur. Il faut avouer qu'il y a eu d'indus bénéficiaires, chose qui nous a obligés à orienter les handicapés vers les APC qui leur délivre des certificats de non-activité. Nous avons également octroyé une pension destinée aux handicapés à 100% qui était de 4 000 DA, actuellement elle est de 6 000 DA. Mais avant de bénéficier de cette pension, le dossier du bénéficiaire doit passer par une commission médicale qui valide le dossier et délivre une carte aux concernés. Pour la loi portant sur la promotion et la protection du handicapé dont un article stipule l'obligation de l'intégration de 1% des handicapés dans les entreprises, il reste les textes d'application”. Il est à rappeler qu'un nombre important de travailleurs (1 248 fonctionnaires) exerçant au niveau de l'Entreprise publique d'insertion des handicapés (Epih) ne connaissent pas encore leur sort depuis la circulaire datée du 25 novembre 2006 du ministère de l'Emploi et de la Solidarité nationale, “qui a pour objectif l'élaboration d'un plan de recensement des travailleurs de l'Epih, en les informant que le gouvernement a décidé de consacrer aux travailleurs de cette entreprise une solution économique et sociale à travers leur intégration sociale”. Ces travailleurs s'interrogent aujourd'hui “pourquoi les pouvoirs publics n'ont pas encore trouvé de solutions depuis des années”. Il est à rappeler aussi que les 27 unités de production que compte l'établissement sont fermées. “Les pouvoirs publics avaient également l'intention d'octroyer 1 million de dinars aux aveugles dans le cadre du programme de la création de petites entreprises. Où sont passées les promesses ?” se demande un des travailleurs de l'Epih. F. Aouzelleg