C'est un avocat à la réputation sulfureuse. La figure la plus médiatique du barreau français. C'est le fondateur de la “stratégie de rupture” inventée lorsqu'il défendait les militants du FLN face à la justice coloniale. Sa carrière a aussi conduit “le salaud lumineux” à plaider la cause de personnages peu recommandables. Il défend un pédophile ? Quel salaud, alors ! Un ex-nazi ? Quel criminel ! En fait, Jacques Vergès n'est qu'un avocat. Et en cette rentrée culturelle, il a choisi le théâtre pour expliquer sans effets de manche son métier qui signifie, selon lui, “comprendre, donc assumer l'humanité de (ses) clients”. Sur la scène du théâtre de la Madeleine à Paris, debout ou assis derrière un bureau encadré par deux hautes statues africaines, Jacques Vergès, 83 ans, donne l'impression de recevoir le public dans son cabinet pour ce plaidoyer intitulé Serial plaideur. Pendant une heure trente, il défend avec calme, étayant son argumentation en invoquant l'histoire ou des poètes, puisant évidemment des exemples dans les affaires pour lesquelles il a eu à plaider, notamment pendant la guerre d'Algérie. “Rien n'est plus pathétique qu'un homme ou une femme se battant pour défendre sa liberté, son honneur, sa fortune”, confesse-t-il, en référence à “ces procès obscurs qui sont le quotidien des tribunaux”. Citant un de ses aînés dans la profession, Albert Naud, un ancien résistant qui fut le défenseur de Pierre Laval, Jacques Vergès rappelle : “Tous nos clients, nous devons les défendre.” Il ajoute, cependant : “Les défendre, ce n'est pas les excuser. Sans cela nous perdrions notre crédibilité, nous cesserions d'être des avocats pour devenir des complices (...). Il y a un paradoxe de l'avocat comme il existe un paradoxe du comédien. Non pas s'identifier à la cause de l'accusé mais s'en laisser imprégner pour comprendre ce qui s'est passé.” Pour expliquer sa présence sur une scène, Me Vergès affirme qu'il a découvert “l'origine de la magie judiciaire” dans le fait que, selon lui, “un dossier de justice est toujours le résumé d'un roman, le thème d'une tragédie, le synopsis d'un film, mais cette tragédie et ce roman restent inachevés, il manque à l'une son cinquième acte, à l'autre son épilogue”. Il appartient aux avocats d'aider à les rédiger car, dit-il, “nous avons le privilège extraordinaire d'en être à la fois les spectateurs, les confesseurs et en même temps les coauteurs”. Avec une mise en scène sommaire, Serial plaideur apparaît plus proche d'une plaidoirie réelle que d'une vraie pièce de théâtre. Qu'importe, Me Vergès voulait juste faire acte de pédagogie. Quelle est donc cette stratégie de rupture qui a fait de lui ce “salaud lumineux” tant vilipendé ? “C'est un procès qui se joue dans des situations extrêmes. Il s'agit d'un procès dans lequel le dialogue entre le juge et l'accusé est impossible tant l'un et l'autre se réfèrent à des valeurs inconciliables, comme dans le cas des accusés du FLN. Pour les juges militaires, l'accusé était un citoyen français, le FLN une association de malfaiteurs et l'attentat un crime. Il en allait autrement pour l'accusé. Lui était algérien, le FLN une organisation de résistance et l'attentat un acte de guerre. Le vrai coupable à ses yeux, en plus, était le juge qui occupait un pays qui n'était pas le sien.” Deux visions incompatibles comme dans la tragédie d'Antigone, explique-t-il. Pour sauver ses clients de la guillotine, l'avocat ameutait l'opinion publique grâce à la presse, aux organisations politiques et religieuses. C'est ce qui a fait de Me Vergès l'avocat qu'il est devenu, disposé s'il l'avait fallu à défendre Hitler. Car “dans un procès, il y a toujours plus important que les faits. Il y a l'homme et il n'y a rien de plus inconnu que le cœur humain”. Jusqu'en décembre, Vergès monte sur scène deux fois par semaine... A. OUALI