Le rapport de l'Algérie à la francophonie, organisée ou non, a été jusqu'ici clairement exprimé : il s'est toujours agi, pour les pouvoirs d'après-indépendance, de s'extraire d'une sphère culturelle néocoloniale et d'entreprendre la réappropriation de notre identité arabo-musulmane. À la politique coloniale de francisation, au demeurant contrariée par la politique d'exclusion politique, sociale et culturelle de la population indigène, a succédé une politique d'arabisation “généralisée”. L'irréalisme de l'arrière-pensée politique et idéologique et la réalité incomprise du monde communicationnel actuel ont conduit à l'échec répété du projet d'arabisation culturelle totale du pays et du plan de formation d'une identité unidimensionnelle qui en est à la base. Le français, comme langue et comme véhicule culturel, a été relégué au rang de résidu colonial. Le mérite patriotique consiste à s'en défaire. Cultiver la francophonie revient à cultiver la francophilie. Le discours polémiste de l'arabisme, puis de l'islamiste jouera sur l'amalgame pour tenir en respect l'expression des élites politiques intellectuelles francophones. Une télévision handicapante par son intolérance au plurilinguisme fera le reste. Plus tard, ce discours inspirera le terrorisme islamiste ; parmi ses victimes, il ciblera prioritairement les journalistes, écrivains, intellectuels francophones et les… enseignants de français. Auparavant, et pour les besoins de la propagande, les militants de l'identité amazigh ont été plus souvent accablés de francophilie que de berbérisme. Idem pour les défenseurs des droits de l'Homme. L'invention de “hizb França” a pour fonction historique de contenir la contestation démocratique. Ce n'est pas dans le matériau linguistique et culturel venu de l'Orient baathiste, nassériste, wahhabite ou chi'ite, que pouvait venir le danger de la revendication des droits de l'Homme et de la multiculturalité. “Hizb França” et le crime de francophilie sont des instruments d'une redoutable efficacité pour un système qui se légitime d'avoir mis l'ennemi à la porte et de veiller à ce qu'il ne revienne pas par la fenêtre. Comme Zangra, il montera encore longtemps la garde d'un ennemi qui risque de récidiver, mais on ne sait pas quand. Dans la valse-hésitation qui caractérise le projet sisyphien de réforme scolaire, le thème du bilinguisme n'est que parfois remis au goût du jour. Dans un tel contexte, où le discours officiel sur la francophonie est de nature idéologique et politicienne, la participation de notre Président au sommet de l'OIF pose la question du sens de notre présence. Bien sûr, la précision est régulièrement apportée sur le caractère personnel de l'invitation, justifiée par le devoir de répondre aux marques d'estime de ses homologues. Bien sûr, tout le monde fait semblant d'avoir la réponse pour ne pas avoir à poser la question. Mais la question se pose tout de même, parce que le geste engage le pays dans une position que nous sommes en droit de connaître et, si possible, de comprendre : que signifie politiquement pour l'Algérie la présence de son Président à un sommet de l'OIF, que celui-ci ait lieu à Beyrouth, à Paris ou à Québec ? M. H. [email protected]