La plus haute juridiction de la Turquie, (Cour constitutionnelle) a enterré la réforme sur le port du foulard islamique à l'université, introduite par le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir et dont le président de la République a été le numéro deux. Les juges qui avaient rejeté en juin dernier l'amendement constitutionnel de l'AKP se sont donné 4 mois pour rendre les attendus dans le détail. Le temps de laisser mariner l'AKP. Ils ne se sont pas contentés de déclarer la mesure islamiste donc contraire à la constitution laïque de la Turquie. Ils ont mis en garde le gouvernement contre toute velléité de porter atteinte à la laïcité établie par Atatürk au début du siècle dernier, lorsqu'il a fondé la Turquie moderne. D'ailleurs, l'AKP s'est tout de suite plié en démentant vouloir instaurer la loi islamique comme l'en accusent ses opposants laïcs et en affirmant qu'il respecterait la Constitution et l'esprit de Mustapha Kemal. “Nous n'avons aucune intention de remettre en cause les principes essentiels de la République”, a déclaré le ministre de la Justice, Mehmet Ali Sahin, qui théorise un peu la doctrine de l'AKP. Le port du vêtement islamiste est une des questions les plus sensibles en Turquie. L'AKP juge que le port du voile relève de la liberté de culte, alors que les défenseurs de laïcité, notamment des magistrats, des généraux et l'intelligentsia, d'une façon générale, le perçoivent comme une manifestation de la volonté gouvernementale d'imposer la charia par des moyens détournés. Ce sujet a cristallisé le débat et l'AKP a même été menacé d'être dissous par le Conseil constitutionnel. Finalement, le parti islamiste a été condamné, en juillet, à des sanctions financières pour “entraves aux principes laïcs”. La cour est revenue sur cette condamnation précisant que le Premier ministre Tayyip Erdogan a été impliqué dans des activités anti-laïques, ainsi que l'ancien président du Parlement Bulent Arinc et le ministre de l'Education Huseyin Celik. Pour les analystes, Erdogan a perdu de sa superbe et la cour lui demande implicitement de limoger plusieurs de ses ministres trop islamistes, dans le cadre d'un remaniement attendu. Erdogan est averti, il est sous l'œil du Conseil constitutionnel. Dans ses attendus, la plus haute institution juridique turque mentionne des propos passés d'Erdogan, qui avait déclaré que “la religion est le ciment de la société turque” où, dans des interviews à des journaux de pays musulmans, il décrit la Turquie comme un “Etat islamique moderne”. Erdogan a clairement montré que ses opinions sur la liberté de croyance visaient à créer une liberté sans limites pour l'islam politique, estime la Cour constitutionnelle. Bras de fer en perspective entre la cour et le gouvernement. Erdogan a laissé entendre qu'il pourrait chercher à réduire les pouvoirs de la Cour constitutionnelle. Mais sa détermination qui date depuis son arrivée au pouvoir, en 2002, s'est toujours brisée sur l'écueil laïc dont les piliers sont l'armée et la magistrature. L'AKP, formé d'anciens militants islamistes, de conservateurs mais aussi de libéraux proches des milieux d'affaires, a remporté haut la main les dernières élections législatives en juillet 2007, qui avaient été convoquées en réponse à une campagne de manifestations du camp laïque. D. B.