C'est durant cette rencontre secrète que l'élaboration de la déclaration du 1er Novembre fut débattue. C'est la symbolique de cette maisonnette qui restera en travers de la gorge des partisans de l'Algérie française jusqu'au bout, au point de la dynamiter dans une vaine tentative de l'effacer de l'histoire. Il est des lieux qui ont fait l'Histoire, mais à qui l'Histoire continue à tourner le dos, sauf pour des célébrations officielles. C'est le cas de la maisonnette de Raïs Hamidou, qui avait abrité, un certain 23 octobre 1954, la naissance du Front de libération nationale et la fixation de la date du Premier novembre 1954 pour le déclenchement de la Révolution. Pourtant, à RaIs Hamidou, hormis la placette du centre-ville où trône le portrait des six dirigeants historiques, avec la mention de la date de la réunion, ils ne sont pas nombreux à connaître l'histoire de cette maisonnette qui a fait l'Histoire de la Révolution. Nous empruntons la rue Bachir Bedidi (ex-rue Comte-Guillot), à la recherche du numéro 24. Et là, première surprise : entre les numéro 20 et le numéro 26, il n'y a qu'une petite ruelle, pas de trace du numéro 24. Nous attendons un moment au bord de la route. Une femme, la quarantaine, sort de la ruelle. Nous lui demandons où se trouve le numéro 24 : “Vous cherchez la maison où a eu lieu la rencontre ? C'est la maison des Maddi. Voyez avec leur fils, il est juste en bas, dans la boutique.” Nous lui précisons que nous cherchions la famille Boukachoura, qui habitait les lieux ce 23 octobre 1954 “Ah, désolée, je ne connais pas cette famille.” Le fils des Maddi nous reçoit dans sa boutique. Nous lui demandons des nouvelles au sujet de la famille Boukachoura. “Ils ont déménagé. Nous habitons à leur place depuis la fameuse bombe.” Quelle bombe ? lui demandons-nous. “Je ne connais pas très bien l'histoire. Je préfère que vous demandiez ça à mon père.” Une heure après, le père arrive. Ali Maddi nous ouvre les portes de la maisonnette. La ruelle a été repeinte à la chaux. À l'entrée, une plaque commémorative rappelle l'importance de ce lieu. Nous lui demandons, d'emblée, de nous parler de la bombe à laquelle faisait allusion son fils. “Oui, ce fut entre la fin de 1959 et le début de 1960. Ma fille aînée venait d'avoir trois ans. Les mains rouges de l'OAS avaient plastiqué la maison, en représailles au FLN. Tous les toits se sont effondrés. Voyez vous-mêmes, l'état de la maison.” Ali Maddi enchaîne : “Quand j'ai habité les lieux, mon voisin m'a dit que cette maison avait une histoire.” Effectivement, la maisonnette habitée, à l'époque, par Mourad Boukachoura, un militant du Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (CRUA), avait abrité un certain 23 octobre 1954, la réunion des six dirigeants “historiques” (Mostepha Ben Boulaïd, Larbi Ben M'hidi, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem, Didouche Mourad et Rabah Bitat) qui constituaient en fait la première direction du FLN, qui ont arrêté le découpage territorial en 5 régions dans une première phase, qui ont fixé la date du 1er novembre 1954 à 0 heures comme date du déclenchement de la lutte armée sur tout le territoire, et qui ont donné l'appellation de Front de libération nationale. C'est durant cette rencontre secrète que l'élaboration de la déclaration du 1er novembre fut débattue. C'est la symbolique de cette maisonnette qui restera en travers de la gorge des partisans de l'Algérie française jusqu'au bout, au point de la dynamiter dans une vaine tentative de l'effacer de l'histoire. Les moudjahidine se remémorent cet endroit symbolique et y reviennent chaque année pour déposer une gerbe de fleurs et lire la Fatiha. Un rituel qui s'est répété la semaine dernière avec la visite des “officiels” qui promettent, depuis des années, de transformer l'endroit en un musée, mais sans jamais tenir leurs promesses. Rabah Bitat, qui était l'organisateur de la rencontre des six historiques, était revenu visiter la maisonnette, quelque temps avant sa mort, se rappelle Ali Maddi. Il se rappelle également de la dernière fois où Mourad Boukachoura, malade et handicapé, est revenu sur les lieux, comme pour faire ses adieux à cette maisonnette qui a vu naître la Révolution. Ali Maddi ne comprend pas pourquoi cette demeure ne bénéficie pas de la même attention que celle des Derriche, à El-Madania, qui avait abrité la rencontre des 22 historiques. Un projet de transformation de la demeure en musée existe. Une maquette a été faite et reste conservée dans les archives de l'APC de Raïs Hamidou. Mais, aux dernières nouvelles, le projet devrait encore attendre, du moins jusqu'au lancement du projet d'extension du port. En attendant, les locataires de la maisonnette vivent le calvaire au quotidien, ne pouvant même pas procéder à des transformations du lieu, qui devrait être conservé tel quel, jusqu'au jour où les décideurs décideront, enfin, de réhabiliter ce lieu et lui donner la valeur qui est la sienne. A. B.