Depuis le 22 mai, les contrôleurs du CTC sillonnent quotidiennement les rues de la capitale pour évaluer les dommages causés par le séisme du 21 mai. Les Algérois, qui guettent avec angoisse ces experts, estiment que leur sort est entre les mains de l'ingénieur-contrôleur. Etat des lieux. y aurait-il pas de risque à rester dans cet immeuble, le bâtiment peut- il résister encore à d'autres répliques plus fortes ? Dites-nous la vérité, Monsieur l'ingénieur ? Nous sommes en danger. Mes enfants ne dorment plus la nuit. Depuis le tremblement du 21 mai, ils délirent dans leur sommeil”. Ces propos émouvants reviennent, sans cesse, dans la bouche des chefs de famille des immeubles d'Alger-centre lors du passage des ingénieurs du Contrôle technique de construction (CTC). Les locataires des vieilles bâtisses de Mezghana, qui n'ont pas fui leur appartement, étaient encore, lundi, sous le choc et hantés par la psychose d'un autre séisme ou d'une autre réplique. Leur inquiétude est apparente sur leur visage. Leur crainte, 15 jours après la forte secousse du 21 mai, ne s'est pas encore estompée. Les techniciens de CTC sont attendus comme Le Messie. “Vous êtes les gars de CTC, il ne manque que la zorna et le tambour, et vous dérouler le tapis rouge pour que vous daigniez enfin venir expertiser ma maison qui va s'écrouler d'un moment à l'autre. On ne dort pas à la maison”, fulmine une sexagénaire au niveau de la rue Lulli (Khaled Benagoune), avant-hier, à notre descente de la voiture en compagnie de Mustapha contrôleur et Sid Ali notre guide représentant de l'APC d'Alger-centre. Pourtant, le véhicule ne porte pas de sigle de CTC ou autre indication, la vieille dame l'a brusquement deviné, dès notre arrivée. Le technicien explique à la vieille dame que la brigade contrôle suivant une liste de bâtisses remise par l'administration locale. “Je vous suggère d'aller à la mairie déposer une demande d'expertise. Ensuite, nous vous rendrons visite”, lui raconte t-il. “Le premier immeuble à évaluer est celui du 5 rue Lulli”, lance le sympathique Mustapha. Ce dernier entame l'expertise à partir de la façade extérieure. Son instrument de travail se résume tout simplement en sa vision, sa vigilance et son capitale d'expérience. Donc, un diagnostic à l'œil nu, sans le moindre instrument de contrôle. “Notre mission à présent est de procéder à un ratissage visuel des cités au lendemain du violent séisme du 21 mai, Il s'agit d'une opération d'évaluation des dommages causés après le tremblement de terre, pour identifier les cas urgents. Celle-ci sera suivie par une autre phase qui prendra en charge les cas douteux et qui sont classés rouge et orange”. Le premier constat établi se réduit à l'inexistence de joint de séparation entre la bâtisse de 5 étages qui fait l'objet d'inspection et sa mitoyenne. “La norme de construction exige tout bonnement un joint de séparation entre deux bâtiments d'au moins de quatre cm. Actuellement, la rupture recommandée est de l'ordre minimum de 25 cm entre deux édifices”, développe-t-il. Et de poursuivre que la cassure est due à la carence du fameux joint. Après avoir franchi le seuil de la cage, des fissures verticales formant un X sous les escaliers sautent à l'œil nu. “Ce genre de fissure est expliqué par les éléments secondaires, les murs de maçonnerie ont réagi normalement au mouvement du séisme et ont repris leur place. Ce qui permet à la structure de base de se comporter convenablement, après un effort axial de 45 degrés des murs. Le bâtiment a résisté grâce aux sections. Grandes sections de 40 à 50 cm d'épaisseur sur lesquelles il repose”, rassure magistralement l'ingénieur. Entamant les premières marches des escaliers de l'édifice dans un calme de cathédrale donnant l'impression qu'il est déserté par ses occupants, il nous lâche que le plancher est formé de solives métalliques. Et de poursuivre son analyse pour dire que “l'immeuble colonial a plus de 70 ans. Les Français commençaient à construire ce genre d'estrade au début du siècle dernier”. La technique d'expertise visuelle consiste, dit-il, à “ausculter” la terrasse ainsi que le dernier et premier étage. Au niveau 5, un locataire supplie l'ingénieur d'examiner son appartement. Ce dernier lui promet de le faire après la vérification du toit de la bâtisse. À la terrasse, le technicien conclut que les bâtiments 4 et 5 rue Lulli partage un même mur épais et surdimensionné. Redescendant au 5e, la brigade du CTC entend inspecter les deux logements. Ces deux appartements présentent des lézardes en verticale au- dessus des panneaux d'ouvertures. Les occupants, encore traumatisés, nous confient qu'ils ont fui leur maison la semaine dernière. Au premier étage, les cloisons intérieures ne présentent pas de fêlures. Des couches de peinture et de plâtre se sont détachées, mais rien de grave. Le sympathique Mustapha établit un diagnostic qui n'inspire ni inquiétudes ni angoisses. “C'est une bâtisse qui ne menace pas ruine. Il n'y a pas lieu d'évacuer les habitants. Il faut seulement intervenir au dernier étage, en menant des travaux de réfection. On peut classer l'immeuble à orange trois”, conclu-t-il Le deuxième édifice passé à la loupe dans la matinée de lundi est celui situé au 6 rue Berlioz (R+ 5). Dans le commentaire, le technicien a recommandé le lancement des travaux au niveau de la terrasse et relevé le manque d'entretien. El Hadja, du 5e, n'a pas caché sa crainte contre une éventuelle forte réplique comme celle de jeudi dernier survenue à 3h15mn de magnitude 5,8 sur l'échelle de Richter. Là aussi, Le représentant du CTC joue au pompier : “Ya khalti El Hadja, Wallah wallou! ne craigniez rien. L'immeuble réalisé peut résister encore. La structure est posée sur des murs de 60 cm. Et ces murs se portent bien”. En début d'après-midi, la brigade prend la direction du Télémly. Dans le carnet de bord de notre ami Mustapha est signalé un immeuble (R+5) au 4 rue Girardin. Bien qu'au bord d'une voiture banalisée, notre arrivée suscite intérêt et curiosité auprès des citoyens. “hé, mes amis du CTC je vous attends depuis ce matin. Mon garage est complètement lézardé, je vous prie de l'expertiser rapidement”, lance le propriétaire d'un local. Sid Ali, lui, explique que l'équipe est venue pour contrôler ce grand immeuble et une autre brigade suivra. Avant de franchir le seuil de la cage de la bâtisse, un vieux, cheveux grisonnants, nous prend à témoin : “à l'exception de deux familles, le reste des locataires a fui le bâtiment. Mes enfants et moi, on est rentré, hier, de la Kabylie. J'ai deux filles qui sont totalement traumatisées. Au 5e niveau, la bâtisse qui est perchée sur une colline vibre fortement au moment des répliques”, s'écrie le vieux. Mustapha, après un ratissage du 1er au dernier étage à l'œil nu, rassure les locataires présents que la structure n'a pas souffert du dernier séisme. Il l'a classe à orange trois, tout en recommandant, une expertise plus approfondie. “Les dommages constatés sont dus à l'affaissement par la poussée”. La contre-expertise est motivée, dit-il, par le fait qu'un poteau de béton se trouve cisaillé bien avant le séisme. Les locataires se confient à nous de la manière suivante: “Le poteau en question a fait l'objet d'expertise recommandée par l'OPGI, il y a dix ans, l'office nous a exigé une somme de 900 millions de centimes. Nous avons bien sûr refusé de payer. Un an après (1994), l'OPGI nous cède les appartements à 11 millions de centimes.” 14heures 30mn, Le cortège CTC s'ébranle en direction de Soustara. Dans ce quartier, la vétusté du bâti saute à l'œil nu. À la “cité Biche”, le premier immeuble à évaluer est celui du 21 rue des Frères-Bellili. La bâtisse est de R+3. Elle est pratiquement désertée par ses occupants. Les escaliers et le plancher sont construits avec du bois. Pour grimper aux étages supérieurs, il faut prendre le risque d'emprunter des escaliers qui tanguent sous les pieds. Une fillette nous demande de monter directement à la terrasse. “Il n'y a aucune famille dans ce bâtiment. Les locataires, depuis le 21 mai, se sont installés dans les écoles. Je suis venue uniquement pour vous faire visiter nos deux chambres”, fulmine-t-elle. Notre ami Mustapha réconforte la fillette : “Cette maison se porte encore bien. Elle nécessite des travaux de réfection. On peut lui donner la mention orange trois.” Au 2 Passage Pico, une nouvelle maison est érigée sur la terrasse. Ce qui suppose un poids de trop sur la bâtisse (R+2). Les marches en bois sont dans un état de dégradation très avancé. Un locataire se demande comment faire pour restaurer les fissures causées par le séisme. “Notre immeuble est une propriété privée. L'APC, va -t-elle contribuer à l'effort de réhabilitation ? ou bien est-ce à la charge de l'occupant, puisque le maître des lieux ne veut rien comprendre, car il nous ignore”, nous lâche naïvement ledit locataire. Le dernier immeuble inspecté ce lundi est situé au 74 rue Debbih-Cherif. De l'extérieur déjà, la bâtisse paraît vétuste. À l'intérieur, des marches en spirale avec du bois sont supportées par un madrier mis en place, il y a deux ans par les agents de l'APC d'Alger-Centre, nous affirme Sofiane, un locataire qui enchaîne pour nous rappeler qu'une femme enceinte est tombée dans cette escalier et a fait une fausse couche, de même qu'un enfant de 3 ans a failli se fouler la cheville. Le verdict de Mustapha est, toutefois, rassurant (un orange 4 qui ne nécessite pas l'évacuation des locataire), en recommandant des travaux de renforcement. 16h30 mn sonnent. Retour à la daïra de Sidi-M'hamed pour rendre compte des dommages expertisés à l'œil nu. Dans la grande salle de réunion, Mme Slimani expert du CTC est responsable des neuf brigades qui sillonnent les rues des 4 communes relevant de la circonspection de Sidi-M'hamed. Elle réceptionne et valide les fiches d'évaluation des dommages, pour établir après une fiche de synthèse de la journée qu'elle remet au wali délégué. “Depuis le 22 mai, je suis, ici, de 8h30mn jusqu'à 22heures. Outre l'orientation des mes éléments, je dois dresser chaque jour un bilan des immeubles contrôlés et classés par couleur vert, orange et rouge”, conclut Mme Slimani. R. H. Le président de l'APC d'Alger-Centre rassure M. Tayeb Zitouni, président de l'APC d'Alger-Centre, a soutenu, hier, que ses services prendront en charge les opérations de réhabilitation des bâtisses privées ou relevant de l'OPGI, et qui constituent un péril pour les citoyens. Dans les cas urgents, la mairie ne discerne pas, dit-il, entre le privé et autres, car il s'agit, selon lui, de la sécurité des habitants. À ce propos, M. Zitouni a fait valoir une ordonnance de la cour d'Alger du 18 août 2002 dont le texte précise que l'OPGI d'Hussein-Dey a été désigné comme administrateur pour gérer les propriétés communes des biens immobiliers inscrits dans la circonscription du tribunal de Sidi M'hamed. Cette ordonnance indique encore que, “conformément au décret n°83-666 du 12/11/1983, portant la propriété commune, le copropriétaire ou l'occupant du logement est tenu de supporter tous les frais liés à la gestion de la propriété commune”. Il a affirmé également que l'APC procédera à la démolition des immeubles condamnés et classés au rouge part le CTC. Néanmoins, il a rappelé qu'Alger-Centre n'a pas enregistré de victime, puisque, selon lui, les bâtiments menaçant ruine, à la rue Mulhouse et autres, ont été démolis lors du précédent mandat. “450 familles ont été relogées”, rappellera-t-il. R. H. Pas de croix sur les bâtisses : La responsable des ingénieurs du CTC affectée à la daïra de Sidi-M'hamed, nous a assurés que les résultats d'évaluation sont strictement confidentiels. Les fiches dressées par les techniciens sont tenues au secret et remises uniquement au wali. Et d'ajouter que les contrôleurs du CTC ne mettent nullement de croix sur les immeubles expertisés. “En aucun cas, nous ne devons divulguer le résultat de l'expertise au locataire. Notre élément demande seulement l'évacuation des lieux dans les cas de danger d'écroulement”, soutient-elle. En fait, les bâtiments frappés de croix, sont le fait des citoyens qui saisissent cette aubaine pour s'attribuer un logement.