De la promiscuité, en général, du risque de propagation des maladies, en particulier… Les zones touchées par le séisme sont méconnaissables. Elles le seront pour longtemps encore… 21 mai 2003, 6 juin 2003. Quinze jours après le violent séisme qui a secoué le nord du pays, les localités les plus touchées comme Rouiba, Réghaïa, Zemmouri et Thénia et Boumerdès nous offrent encore des images de champ de bataille. Le commun des mortels n'aurait jamais cru que l'ex-route qui menait d'Alger à Tizi-Ouzou et qui donnait sur le grand littoral allait prendre l'allure en l'espace de quelques secondes d'un décor maussade, répugnant, insoutenable et sentant la mort. Première halte, Réghaïa. La vie reprend son cours… au ralenti. Au rythme de “l'après-guerre”. Le numéro 10 n'est plus là pour surplomber le ciel d'une localité jadis connue pour être un carrefour menant aux magnifiques plages du littoral algérois. En allant vers la cité Sonacome, des dizaines de tentes sont plantées çà et là. Les habitants préférant s'installer devant leurs immeubles écroulés nous suivent du regard. Aussitôt signalés, nous serons interpellés par une brigade de la BMPJ. “S'il vous plaît, pouvons-nous savoir ce que vous faites ici ?” On leur dira bien sûr que nous sommes de la presse, mais cela ne suffira apparemment pas pour convaincre ces jeunes, excédés par les pilleurs. Témoignage : “Nous n'avons confiance en personne. Pas plus loin que la semaine dernière, la police a arrêté un responsable proche du croissant-Rouge algérien. Ils l'ont arrêté la main dans le sac. Ayant des appuis solides, il a été libéré. Pour les familles sinistrées, c'est une insulte. Nous ne savions pas que l'impunité irait jusqu'à ce stade”, nous raconte un jeune, bouleversé. Son ami renchérit : “La dernière fois, c'était un jeune sinistré qui pillait les biens de ses voisins. Et je vous signale que cet énergumène a perdu toute sa famille lors du tremblement de terre.” Devant notre insistance sur les conditions de vie, un père de famille nous fera visiter un site de fortune. “Avant le séisme, il y avait ici une décharge sauvage. Nous sommes logés sur un terrain des plus sales dans la localité de Réghaïa”, nous dira cet homme exténué par la fatigue. À l'intérieur de la tente où sa famille est logée, une colonie de moustiques domine les parois de la tente. Promiscuité, odeurs nauséabondes, pénurie d'eau potable, absence de sanitaires adéquats… les familles que nous avons rencontrées craignent sérieusement la prolifération des maladies et autres infections. De temps à autre, de jeunes bénévoles leur distribuent des tubes d'eau de javel pour procéder à la désinfection des ustensiles de cuisine et des alentours des tentes afin de prévenir la prolifération des insectes dévastateurs et porteurs de microbes. Infernal. Ici, zéro intimité pour les femmes. Idem pour les hommes qui avouent qu'il leur faut quitter carrément le site pour “faire leurs besoins”. Deuxième halte, Zemmouri. Des périmètres urbains entiers sont fermés à la circulation routière et interdits d'accès aux piétons. Tout est détruit. Le périmètre est bouclé par l'armée. Des villas rasées, des bâtiments réduits en poussière, des routes fissurées. Le silence est cathédral. À peine avons-nous foulé du pied ledit périmètre que des éléments de l'ANP nous ont interpellés. “Quittez immédiatement les lieux. C'est dangereux !” nous dit-on. Après avoir décliné notre identité, l'un d'eux nous signifiera que nous pouvons visiter, mais rapidement. À l'extrémité de la ville, des engins nettoient les lieux. Zemmouri n'existe plus. Elle est méconnaissable. Zemmouri, cette fierté du tourisme et des rencontres estivales n'accueillera pas ces enfants qui viennent des quatre coins du pays pour passer leurs vacances. Bref retour à la sortie principale de la ville où l'on nous signale un phénomène assez connu en ces périodes de drames : des commerçants sans scrupule proposent le kilo de la pomme de terre à 25 ou 30 DA. Alors que l'élan de solidarité continue à être témoigné envers ces familles endeuillées quinze jours après la catastrophe, des opportunistes sans âme font dans la supercherie. Inconscience quand tu nous tiens ! Il est 16h. Départ vers Corso et Si Mustapha. Tout le long du chemin, les magnifiques vergers sont transformés en camps de toile. Le site panoramique de Boumerdès est complètement dilué dans ce climat insupportable. à Fontaine-Fraîche, à l'entrée de Si Mustapha, des jeunes prennent leur douche à l'air libre. D'autres lavent leur linge. Tout le long du trajet, on ne verra pas une famille déambuler comme au temps des saisons estivales. Les seules personnes qui circulent sont des secours ou des auxiliaires des services de sécurité qui surveillent les pillards. Les seuls véhicules qui circulent appartiennent au Croissant-Rouge algérien ou aux caravanes de solidarité qui arrivent de toutes les wilayas du pays. À l'entrée de l'autoroute qui mène vers Alger, plus exactement à Corso et Thénia, l'heure est aux réparations des stations d'électricité affectées par le séisme. D'autres camps qui accueillent les familles sinistrées ne sont même pas alimentés régulièrement en eau potable et en denrées alimentaires. Encore moins en tentes. Certains diront que des familles entières ont quitté la capitale par peur que leurs immeubles ne s'écroulent alors que d'autres citoyens sont venus s'installer pour bénéficier des aides destinées aux nécessiteux. C'est le cas à Heuraoua où des familles réellement sinistrées dénoncent de nouveaux débarqués à la localité. F. B.