Le pouvoir est donc sommé de joindre le geste à la parole. L'invitation du Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, au dialogue a été interprétée par les délégués de la CADC de diverses manières. Pendant tout le temps réservé au débat sur ce point (pratiquement toute la nuit), les délégués ont tenté de trouver les motifs qui auraient poussé le pouvoir à lancer une invitation aussi soudaine que “charmeuse”, par la voix du Premier ministre. Si certains ont lié l'événement à la campagne présidentielle, d'autres, en revanche, demeurent convaincus que la conjoncture de l'appel au dialogue correspond à la catastrophe naturelle qui a touché le centre du pays et à la sympathie suscitée par les régions sinistrées envers le mouvement citoyen, illustrée, entre autres, par le rejet du système en place. Malheureusement, le constat est là. Au moment où l'invitation est lancée, les détenus du mouvement citoyen se trouvent toujours en prison, d'autres camarades les rejoignent alors que d'autres subissent quotidiennement le harcèlement judiciaire. Cela a fait dire à certains intervenants que Ahmed Ouyahia n'a pas le pouvoir qu'il prétend détenir du moment qu'il ne peut même pas limoger son ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni. Malgré cela, la CADC a eu à saisir l'importance de l'appel car son impact dans la société n'est nullement à ignorer, lequel impact est accentué par l'appel à témoin de l'opinion nationale. “La balle est dans le camp du mouvement citoyen” témoigne du poids de responsabilité qui pesait sur la CADC après les déclarations de Ouyahia pour le moins surprenantes. Il fallait à tout prix “renvoyer la balle dans le camp du pouvoir”. Durant les débats qui auraient duré près de douze heures, les délégués, tout en affirmant que le mouvement citoyen ne peut avoir peur du dialogue, qui d'ailleurs représente une seule chose pour lui, la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur, après l'annonce de sa satisfaction pleine et entière par le premier magistrat du pays, a dressé des préalables sans lesquels le dialogue avec le pouvoir ne pourrait avoir lieu. Les conditions qui revenaient souvent étaient : libération sans condition des détenus du mouvement citoyen, annulation de toutes les poursuites judiciaires, révocation des élus, dissolution des Assemblées, réponse publique et officielle annonçant la satisfaction de la plate-forme d'El-Kseur avant toute rencontre, prise en charge du contentieux avec la Sonelgaz et défalcation de la taxe de l'ENTV, limogeage de Zerhouni et de Hamraoui Habib Chawki, présentation par ce dernier d'excuses publiques à cause des images du 14 juin 2001, ouverture des champs médiatique et politique, etc. Le pouvoir est donc condamné à joindre le geste à la parole, la libération des détenus ne signifiant nullement accepter le dialogue avec le pouvoir. “Les détenus, eux-mêmes, n'accepteront pas de sortir sans la plate-forme d'El-Kseur”, fera remarquer pertinemment un délégué d'Akbil. Cela étant, le consensus s'est vite dégagé sur la nécessité d'élaborer une déclaration politique à la hauteur du mouvement citoyen, qui contiendrait une réponse politique au pouvoir et qui contiendrait, en partie, en attendant la concertation avec la base populaire, une explication du discours de Ouyahia. Malgré les convergences pendant les débats autour de l'invitation du Chef du gouvernement au dialogue, ce ne fut nullement le cas pour ladite déclaration politique qui a suscité des divergences, d'ailleurs dues certainement à la fatigue (ordre du jour trop long) qu'à autre chose. Le document résume toute la vigilance et la réserve que la CADC observe vis-à-vis de la prise de langue du pouvoir avec le mouvement citoyen, tout en rappelant qu'il n'a “jamais cultivé de tabou par rapport au dialogue qui est effectivement une vertu lorsqu'il n'est pas truffé d'entourloupes visant à aboutir à des solutions illusoires”. Il n'en demeure pas moins que la CADC a pris acte de l'évolution, seulement au niveau de la forme, dans le discours du pouvoir, à travers l'offre de dialogue proposée par le biais du Chef du gouvernement qui “tranche avec toutes les précédentes invitations biaisées et empruntes d'ambiguïté et de langue de bois”. Néanmoins, la CADC relève le “déphasage” avec la réalité “amère” du terrain qui se caractérise par l'emprisonnement des délégués dont les charges sont “farfelues” ainsi que le harcèlement et les poursuites judiciaires qui constituent le lot quotidien des délégués et citoyens. Ainsi, la volonté politique réelle de satisfaire pleinement et entièrement des revendications citoyennes contenues dans la plate-forme d'El-Kseur explicitée à Larbaâ Nath-Irathen n'est point perceptible, au-delà de “l'effet d'annonce”. En conclusion, dans la déclaration politique, il est annoncé une large concertation avec la base citoyenne, seule habilitée à se prononcer sur les questions engageant l'avenir du mouvement. Il est à noter que, lors des débats, les délégués ont souligné que, contrairement à ce que le pouvoir veut faire croire, la crise est nationale et non seulement en Kabylie. Ceci concernant l'invitation au dialogue. Par ailleurs, les actions gelées à cause de la tragédie nationale, qui a dernièrement touché le centre du pays, devront reprendre après les épreuves du BEF, à compter du 17 juin. La CADC qui proposera le report de la prochaine rencontre de l'Interwilayas a déjà tracé un programme d'activités pour commémorer le deuxième anniversaire de la marche historique du 14 juin 2001, décrétée “Journée de la liberté et de la citoyenneté”. Après le recueillement sur les tombes des martyrs assassinés ce jour-là, une caravane de solidarité sillonnera les wilayas de Boumerdès et d'Alger. Des bougies seront allumées à 20h après extinction des lumières. K. S.