Le Réseau Wassila a publié divers documents sur des thèmes qui ont été l'objet de journées d'étude. C'est un peu la mémoire écrite du travail de réflexion mené depuis 8 ans avec ses partenaires associatifs et les professionnels dans les institutions. Des intervenants tels que des médecins, des psychiatres ou psychologues, des avocats ou juristes, des assistantes sociales, sages-femmes, militantes des droits de la personne ont essayé à partir des violences décrites par les femmes reçues au Réseau, d'analyser les ressorts de cette violence, qu'ils soient politiques ou sociaux, institutionnels et liés à la loi, et de proposer des mesures et des recommandations. En filigrane les mêmes questions posées dans notre pratique d'accompagnement des victimes reviennent : Pourquoi la violence est-elle si bien acceptée, quels que soient le milieu et les conditions sociales, quand elle touche les femmes ? Pourquoi la loi, qui semble si égalitaire dans le pénal, si claire et respectueuse d'un citoyen sans sexe, devient-elle inaccessible et inapplicable pour les femmes ? Quand elle existe et qu'elle n'est pas discriminatoire, est-ce seulement par mauvaise volonté de certains fonctionnaires que la loi n'est pas appliquée ? Les femmes sont-elles vraiment ignorantes d'une loi qui les protégerait ? Les victimes ont-elles vraiment une démarche irrationnelle face à la violence en ne déposant pas plainte ? N'est-ce pas plutôt une manière de se protéger contre un système qui risque de les violenter encore davantage ? On constate dans l'analyse des “Aspects médicolégaux et juridiques des violences contre les femmes et les enfants” que des angles morts de la loi protègent les agresseurs et que des mécanismes institutionnels qui semblent tout à fait égalitaires, du moins dans la forme, sont des obstacles parce qu'ils font fi de la situation réelle des femmes. Pour les mères de famille sans autonomie financière et sans logement, la “protection” de la fameuse “sphère privée” (les autorités n'interviennent pas en cas de violence) et le code de la famille (le droit de répudiation, par exemple) sont un moyen très efficace de dissuasion contre tout dépôt de plainte dans les violences conjugales ou familiales. Le texte juridique met en lumière des enjeux sociaux posés par le statut des femmes dans la société car l'enjeu du droit, c'est toujours le texte et son application, il confirme les rapports de domination. Dans “Violence et santé des femmes”, l'analyse a montré les conséquences de la violence sur la santé des femmes, non seulement celles des coups et blessures volontaires, mais également le stress de la violence banale, quotidienne, répétitive, “la petite gifle”, les humiliations, les insultes, le harcèlement, qui ont des répercussions organiques et des répercussions sur l'équilibre psychologique. La violence dans l'espace public se superpose à la violence familiale et constitue la trame de la vie des femmes. Dans “Le viol des femmes par les terroristes, un crime contre l'humanité, nous constatons que la violence politique contre les femmes, réduites à un statut infrahumain avec les enlèvements, la mise en esclavage, la torture et les viols collectifs, n'est que l'essence, le concentré, la limite extrême de cette logique de violence quotidienne vécue par les femmes, et qu'à ce titre, le silence après ces faits, puisque ce dossier a été clos — mais a-t-il jamais été ouvert ? — n'est pas accidentel. Le déni et le silence sont les mécanismes qui permettent au fonctionnement mortifère de se perpétuer et de se reproduire. La violence collective contre les femmes sévit également en temps de paix, comme l'ont montré les évènements de Hassi Messaoud en juillet 2001. “Hassi Messaoud est un moment historique. Quelque chose s'est joué du côté des femmes et du côté de l'histoire de l'Algérie. Des femmes sont sorties, elles sont allées travailler mais, en plus, elles ont quitté le domicile familial. Ce ne sont pas seulement des victimes, elles sont des actrices dans l'histoire, elles ont posé un acte et l'ordre social s'est défendu face à cela.” Les dysfonctionnements de la prise en charge des victimes, que ce soit à l'hôpital, la justice, la manière dont les événements ont été rapportés par une certaine presse, la réaction de certains syndicats ou partis, ont participé de cette défense de l'ordre social. Après sept ans, les quelques femmes ayant tenté d'aller jusqu'au bout de leur demande de justice ont été non seulement déboutées pour l'essentiel mais malmenées, pire les institutions les ont enfoncées dans un sentiment de culpabilité pour avoir demandé reconnaissance du crime. Grâce au formalisme juridique, le plus grand nombre de ces criminels a reçu un pardon magnanime de la société, ils ont été les bénéficiaires de la même indulgence bienveillante, assimilés aux “repentis” de la “tragédie nationale”, symbole même de l'impunité. Dans “?thique médicale et violence contre les femmes”, nous voyons les obstacles et les difficultés du parcours des victimes dans leur quête de reconnaissance dans une des institutions publiques. N'y a-t-il pas dans la santé, premier réceptacle au moins des violences physiques, des obstacles qu'il s'agit de dévoiler : désintérêt pour cette réalité de la vie des femmes, absence de formation des médecins ? “Quand il s'agit de la violence faite aux femmes, l'écriture universitaire devient un chef-d'œuvre d'aveuglement. Les chercheurs vont très loin dans l'espace et le temps plutôt que d'étudier certaines violences dans leur propre société.” Il y a cinq ans, nous avancions l'idée que des services urgents sont à créer pour les victimes, une médecine de la violence à construire, une sensibilisation et une formation des personnels de santé la plus large à diffuser. En collaboration avec des centres d'écoute, dans “Violences contre les femmes : rôle des centres d'écoute”, nous avons essayé de mesurer l'importance de ce travail de fond que de briser le silence des femmes sur les violences, de créer des repères pour les personnes isolées et en détresse. La ligne d'écoute est “un moyen de recréer des liens, entre deux personnes qui ne se voient pas, ne se touchent pas, pour dire à l'autre combien elle compte pour nous, qu'elle est une personne. C'est renouer les fils de l'humanité avec elle, c'est la réintégrer dans la communauté”. Ces cellules d'écoute sont un observatoire extraordinaire des problèmes qui bouleversent notre société : violences, rupture de liens sociaux, problèmes d'identité et exclusion. Le travail accompli par les écoutantes est dur et considérable, elles sont dépositaires de récits de violences et des détresses familiales parfois extrêmement pénibles. Lors de la journée “Mères seules avec enfants”, les témoignages et les analyses ont montré les obstacles juridiques et les difficultés sociales rencontrées par les femmes en charge d'enfant, quel que soit leur statut : veuves, divorcées, abandonnées, ou célibataires, et les amendements minimes apportés au code de la famille en 2005 sont loin encore de constituer une réponse à leurs problèmes. Mais dans la situation des mères célibataires, une double faillite sociale et institutionnelle, “nous avons mesuré combien le terme de paria était adéquat pour décrire la situation de ces femmes et de leurs enfants. Ce n'est pas seulement la société qui les rejette. La loi et les institutions érigent une discrimination entre la femme enceinte mariée et non mariée, entre l'enfant né dans ou hors mariage, pour les exclure de l'accès aux droits des citoyens”. “Leur existence, selon le professeur Salhi, et c'est ce qu'on leur reproche, disqualifie le discours ronflant et moralisateur de la société, discours des constantes et des valeurs, ce semblant de sacralisation de la maternité et de l'innocence de l'enfant, qui ne sont en réalité qu'hypocrisie”. “Ce n'est pas la maternité qui est valorisée, et d'angélique, l'enfant passe à un statut de réprouvé, objet de scandale, coupable d'exister, dès lors que le père a refusé de le reconnaître. Ce qui est valorisé, c'est l'ordre patriarcal puisque ce qui est mis en exergue dans cette situation, c'est l'absence du père, imputée exclusivement à la femme”. On parle aujourd'hui plus facilement des violences subies par les femmes dans la famille, dans la rue, au travail ou dans les institutions, parfois mal mais on en parle. Est-ce pour autant que la perception de la violence a changé ? Est-ce que la société développe une conception plus pacifique des relations hommes-femmes ? Est-ce une violence honteuse ? Est-ce que les agresseurs sont stigmatisés ? Malgré des velléités, mais qui disparaissent aussitôt évoquées par les institutions, de définir une politique de lutte contre ces violences, on remarque qu'aucune condamnation officielle de cette violence n'a jamais été proclamée par les autorités : aucune condamnation dans les médias lourds, aucune mesure concrète n'a été définie et appliquée pour améliorer l'accueil médical ou juridique des victimes, aucune mesure de prévention n'a été proposée et mise en place. Par contre la langue de bois sur le “genre” tend à émailler les discours officiels ou celui des spécialistes. L'accompagnement des victimes est un long travail de soutien, de dénonciation des dysfonctionnements de la société, de la loi, dysfonctionnements des institutions, c'est un effort de vigilance devant toutes les atteintes à la personne et à la dignité des femmes, à leur image aussi, dans la vie publique, dans les médias, un travail que nous devons tous mener pour réaliser une véritable citoyenneté. Missions du réseau Wassila Ses missions consistent à être solidaire et accompagner les femmes et les enfants victimes de violence, quel que soit le type de violences, particulièrement quand la personne est vulnérable socialement. Aider la victime à parler et dénoncer ces violences. L'accompagner et l'aider à trouver les moyens de se protéger et protéger ses enfants.