Le cerf de Berbérie devra traverser l'autoroute pour aller étancher sa soif dans le lac Tonga. Mais qui peut s'intéresser au devenir de cet animal, dusse-t-il être en voie de disparition ? Les écologues évoquent non sans regrets, le passé, quand dans un sursaut l'Algérie a réalisé qu'elle abritait en termes de biodiversité (faune, flore et paysage) le parc le plus riche au monde. Une zone humide exceptionnelle. Dès lors, El-Kala était devenue pivot de la politique nationale de préservation des milieux naturels. Arsenal juridique et labels dont celui de la “réserve de biosphère” l'ont sacrée joyau intouchable. “Depuis 2005, rappelle le Pr Bellatrèche, El-Kala est gérée en tant que zone humide par la Convention de Ramsar.” Rien n'y fit. Le politique a une fois de plus pris le dessus. Le projet de l'autoroute de l'Est est plus que jamais sous les feux de la rampe et le parc d'El-Kala sacrifié au nom de l'intérêt économique, décrié par les écologistes. “On a déstabilisé l'état d'équilibre de la faune et de la flore.” Cette phrase “sentencieuse” qui pourrait sembler anodine au profane est porteuse de lourdes conséquences, sur la biodiversité notamment. Car El-Kala abrite en plus du cerf de Berbérie, d'autres espèces en voie de disparition comme la mangouste commune, la genette, la belette, le caracal (le lynx), le chat sauvage et le serval, une espèce très rare en Algérie. Ces animaux vivaient paisiblement jusqu'au lancement des travaux de l'autoroute dont le cahier des charges, regrettent les scientifiques, ne prévoit pas de passages pour la faune d'autant que les principaux points d'eau (les lacs Tonga, Oubeira, Mellah et le lac Bleu) leur seront inaccessibles. Les écologistes s'insurgent et n'ont de cesse de répéter qu'“il aurait été plus judicieux, pour ne pas transgresser la loi comme c'est le cas, de déclasser carrément le parc”. Pour ce qui est du tracé de l'autoroute, nos interlocuteurs soulignent que sur les trois variantes, c'est la plus mauvaise qui a été choisie vu que le tronçon de 17,8 km coupe le parc en deux parties. Les antagonistes n'omettent pas de mettre en exergue le fait inepte que l'autoroute, dont les travaux de défrichement et de rectification sont en voie d'achèvement, débouchera dans la nature tunisienne puisque la jonction est prévue pour 2020 ! Ce qui est d'autant plus malheureux, c'est que face à cette donne, le premier responsable du ministère des Travaux publics a annoncé le 22 octobre dernier le rallongement de 16 km supplémentaires en vue de relier le point de jonction en question au poste-frontière le plus proche ! “C'est l'équivalent, s'insurgent les défenseurs de la nature, du contournement proposé et rejeté avant le lancement des travaux, parce que trop long et trop cher !” Par ailleurs, l'étude d'impact sur l'environnement est une question nodale. Les chercheurs ne comprennent pas pourquoi elle ne leur a pas été soumise, ni rendue publique alors que les textes de loi régissant le secteur de l'environnement l'exigent ? L'argument économique brandi par les pouvoirs publics est récusé par les écologistes et par tous ceux qui se réfèrent à la logique scientifique. L'autoroute telle que conçue mettra fin à la quiétude de la petite localité d'El-Kala, laquelle traversée à une vitesse de 100 km/heure ressemblera à n'importe quelle autre petite ville d'Algérie. On l'aura amputée de son passé prestigieux au nom du modernisme ravageur. Dans une ultime tentative, les défenseurs de la nature sont sur le point de soumettre au président de la République une pétition record de 25 000 signatures pour que survive El-Kala. “Rien n'est encore perdu, on peut reboiser. C'est faisable !” rassurent les écologistes pleins d'espoir. Nahla Rif