Il n'est pas dans mes habitudes de répondre à ce qui s'écrit sur moi et sur la période de ma gestion des affaires de l'Etat dans la presse nationale. J'ai sciemment opté pour le silence, non pas pour éviter de dire la vérité, mais en raison du sens de l'honneur d'être un moudjahid et ma perception de responsabilité, en tant qu'homme d'Etat, m'empêche d'entrer dans des débats autour de questions sensibles qui prennent, fort malheureusement, chez nous, dans la majorité des cas, le caractère d'un débat stérile, du verbiage de bas étage, d'un règlement de comptes et de l'insulte. Ce qui a été publié dans certains quotidiens nationaux comme articles et comptes rendus sur mon intervention à El-Tarf devant mes compagnons d'armes de la base Est et des étudiants du centre universitaire en est la meilleure preuve. Certes, je ne blâme pas les correspondants locaux pour les erreurs qu'ils ont commises dans la transcription des passages de mon intervention, et de les avoir sortis de leur contexte. C'est peut-être dû au fait qu'ils n'étaient pas assez informés sur les faits historiques de la révolution pour la libération. Mais je fus énormément surpris par la violence des attaques contenues dans certains articles sur ma personne et sur la période de gestion des affaires de l'Etat, donnant l'impression que des ficelles seraient tirées par des parties occultes qui n'ont pas intérêt à ce que Chadli Bendjedid parle. Et pour mettre un terme au débat à travers lequel certains voudraient faire croire que Chadli Bendjedid voudrait brouiller les cartes, ou qu'il voudrait influer sur les convulsions politiques actuelles, ou qu'il se proposerait comme une alternative à ce que certains appellent “la crise”, j'estime qu'il est de mon devoir de préciser les principaux points contenus dans ma longue intervention à El-Tarf, corriger certaines erreurs et remettre les questions soulevées dans leur véritable contexte. La base de l'est Il n'y avait pas d'accord entre les commandants de la zone de Souk-Ahras, malgré les efforts louables entrepris par Amara Boukelaz pour concrétiser l'idée de création de la wilaya de Souk-Ahras sur le plan politique et organique. Les causes de l'échec étaient multiples, dont les divergences de vues sur les questions de la discipline, les critères d'accès aux postes de responsabilité et la guerre de leadership qui était nourrie par des considérations claniques et régionalistes. Cela a coïncidé avec les préparatifs qui étaient en cours, durant le premier semestre de 1956, pour la tenue du premier congrès de la Révolution pour évaluer son parcours et corriger les erreurs et, surtout, la doter d'un programme politique et d'une structure organique qui lui éviterait les dangers de la déviation. L'idée de tenir une rencontre entre les dirigeants de la Révolution était soumise à cette époque. C'est Ben Boulaïd qui en fut l'initiateur, mais sa mort en a voulu autrement. Après les attaques d'août 1955, il a été convenu de tenir la rencontre dans la zone II. Ali Kafi me l'a confirmé récemment. El-Mechrouha, dans les monts de Béni Salah, siège du commandement de Amara Boukelaz, fut choisie pour abriter le congrès, en raison du fait qu'elle est une zone sûre, au relief accidenté et au maquis dense, ce qui empêche l'armée française d'y accéder, mais aussi en raison de sa proximité avec la frontière tunisienne, ce qui permet aux responsables se trouvant à l'étranger d'y prendre part sans prendre de risques. Cependant, l'interruption de la communication en a voulu autrement. Les responsables de la révolution ont préféré tenir le congrès dans le village d'Ifri dans la vallée de la Soummam. Notre délégation au congrès Amara Boukelaz n'a pu se déplacer pour rencontrer les responsables de la révolution, en raison de la situation dangereuse vécue par la région. Il a alors délégué en juin 1956 Hafnaoui Ramdania et Amar Benzouda pour expliquer le point de vue des moudjahidine d'El-Kala et de Souk-Ahras et a envoyé avec eux un rapport détaillé sur la situation politique, militaire et économique dans la région. Il a demandé au congrès de s'abstenir de prendre la moindre décision au sujet de Souk-Ahras et l'envoi d'une délégation pour l'étude de la situation sur place qui a empiré après le blocus imposé par l'armée française depuis le début de 1955 et la multiplication des opérations de ratissage, ainsi que l'anarchie créée par les moudjahidine des Nememchas, après leur retrait vers les monts de Tébessa. Boukelaz a envoyé une seconde délégation pour prendre attache avec la direction de l'étranger et l'a chargée de la même mission. Et, lors du passage de Ramdania et Benzouda par le nord constantinois, ils ont rencontré Tahar Bouderbala et un autre responsable, qui pourrait être Ali Kafi. Lorsqu'ils ont su l'objet de leur mission, ils les ont informés que le congrès s'était tenu et leur ont demandé de leur délivrer les documents qui étaient en leur possession pour les transmettre à la direction de la révolution. Ramdania et Benzouda sont retournés à Souk-Ahras à la fin du mois de juin. Mais nous fûmes surpris de la tenue du congrès au mois d'août dans la vallée de la Soummam sans la participation de la wilaya I après la mort de son chef, Mustapha Ben Boulaïd, et l'absence de la délégation de l'étranger, ainsi que l'exclusion de la région de Souk-Ahras. Nous fûmes également surpris d'apprendre que d'importantes décisions concernant le devenir de la révolution et de la région de Souk-Ahras ont été prises par le congrès. Les congressistes n'ont pu prendre connaissance de notre rapport qui a probablement été caché ou déchiré. Le congrès a maintenu Souk-Ahras sous la coupe de la zone II, devenue wilaya II. Le congrès avait, également, pris des résolutions qui n'avaient pas fait l'objet d'un consensus, notamment la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le militaire. Après notre refus des résolutions du congrès de la Soummam, nous fûmes accusés d'être des “perturbateurs”. Cette étiquette nous restera collée longtemps durant. Le comité de coordination et d'exécution (CCE) a refusé de nous fournir la moindre assistance matérielle après la demande introduite par Amar Boukelaz. Un véritable blocus économique nous a été imposé. Les habitants de la région frontalière ont dû fuir en Tunisie et nous fûmes contraints de compter sur nous-mêmes pour approvisionner l'armée en nourriture. Nous avons passé six mois à manger de la souika, qui est un mélange de blé moulu et de caroube malaxé avec de l'eau fourni aux djounoud comme nourriture. Pour sortir de cette crise, le commandement a décidé d'exploiter les matières premières, notamment le lichen. Le commandement a réussi à réunir le matériel nécessaire pour couper le lichen en faisant appel aux moudjahidine qui avaient déjà travaillé dans ce secteur. La production était acheminée, ensuite stockée sur le sol tunisien. Pour être vendue sur les marchés tunisiens. Amara Boukelaz a réussi à vendre la cargaison de deux bateaux de lichen à l'Italie, comme il a contacté le ministre des finances tunisien pour nous exempter d'impôts ; mais le ministre a refusé. Ces revenus nous ont aidés à améliorer notre situation économique. La rencontre avec Ouamrane Après le congrès de la Soummam, Zighoud Youcef a délégué Amar Benaouda pour superviser les frontières et Brahim Mezhoudi pour mettre fin au mécontentement régnant à Tébessa. Mais les émissaires n'ont pas usé du dialogue et de la conviction et ont eu recours à la violence et aux armes pour imposer les résolutions du congrès de la Soummam. Ils ont échoué et sont entrés en Tunisie. Nous avons senti, après le congrès de la Soummam, l'exclusion et l'isolement, et la déception était grande au sein des mouadjahidine. Amara Boukelaz a entrepris une vaste opération de sensibilisation et repris le contact avec les responsables de l'ALN à Souk-Ahras, Sedrata, Khenchela et les Aurès qui ont tenu une rencontre en décembre 1956 et tenté, à nouveau, de créer une wilaya indépendante des wilayas I et II et qui s'appellerait Aïn El-Beïda. Ils rejetaient les résolutions du congrès de la Soummam en raison de la non-représentation de toutes les régions, sa contradiction avec la première trajectoire de la révolution et sa reconnaissance de la primauté du politique sur le militaire et l'omission de mentionner que l'Algérie est arabe et musulmane. En outre, ils ont demandé d'exclure les éléments qui ont continué à travailler en Tunisie, la création d'une commission composée de toutes les régions pour la communication et la coordination et l'extradition de Mezhoudi et de Benaouda de la Tunisie. Ils se sont engagés à transporter les armes aux régions intérieures et ont renouvelé leur confiance en Ali Mahsas, en tant que représentant politique et militaire de l'ALN à l'extérieur. Durant cette période, nous avons contacté Ahmed Ben Bella qui n'avait pas accepté les résolutions du congrès de la Soummam. Il a dépêché Ahmed Mahsas pour prendre attache avec nous, et c'est la première fois que j'en fis connaissance. Nous lui avons expliqué les efforts que nous fournissions en matière d'organisation, de recrutement et d'entraînement avant la création de la base de l'est. Après l'échec de la mission de Mezhoudi et Benaouda, le comité de coordination et d'exécution a envoyé, à la fin de 1956, Omar Ouamrane – qui était désigné, à cette époque, responsable de l'organisation militaire de la délégation du FLN à l'étranger – en Tunisie pour tenter de remédier à la situation détériorée en Tunisie et évincer Ali Mahsas et ses partisans qui refusaient toujours les résolutions du congrès de la Soummam. Des affrontements ont eu lieu entre les deux clans, obligeant Bourguiba à intervenir pour mettre fin au conflit. Mahsas a fini par quitter la Tunisie. À cette époque, Ouamrane a rencontré Amara Boukelaz et ses lieutenants qui lui ont expliqué la position des moudjahidine de la région. Boukelaz lui a proposé de tenir une réunion avec les responsables des sections dans la région. C'est ainsi que nous avons pris la route, au début de 1957, de Souk Larbâa, dans la région de Baja et rencontré Ouamrane dans la ferme d'un des petits-fils d'El-Mokrani. Amara Boukelaz nous a présenté Ouamrane comme étant délégué par le comité de coordination et d'exécution pour étudier la situation de Souk-Ahras sur le terrain. Boukelaz est sorti et n'a pas assisté à la réunion. Ouamrane nous a exposé les résolutions du congrès de la Soummam, insistant sur leur caractère national, et évoqué les grands défis qui attendent la révolution et la nécessité d'unir les rangs. Il a dit, à la fin, que la création d'une nouvelle wilaya contredit les résolutions de la Soummam. Après l'opposition rencontrée de notre part, il a tenté de nous convaincre de le choisir comme notre responsable, mais nous avons refusé et nous avons maintenu notre confiance en nos responsables. La réunion a pris fin la nuit et nous nous sommes séparés, chacun de son côté. Suite à cela, Ouamrane a présenté un exposé de sa mission au comité de coordination et d'exécution, proposant la création d'une organisation spécifique pour la région. Boukelaz affirme, dans ses déclarations, qu'“il détient les documents qui le prouvent, parmi lesquels le document où le comité de coordination et d'exécution admet que la wilaya de Souk-Ahras devienne une base d'approvisionnement au statut de wilaya. Il porte la signature de Ben Khedda, Krim Belkacem et Sâad Dahleb”. Bentobbal n'a pas signé le document pour une raison simple, qui est son refus de séparer la région de Souk-Ahras de la wilaya II et ses divergences profondes avec Amara Boukelaz. Les dirigeants de la wilaya II n'ont pas avalé l'idée de création de la base de l'est et certains d'entre eux ont continué jusqu'en 1962 à la considérer comme faisant partie de la wilaya II. Ainsi est née officiellement la base de l'est. Mais la décision du comité de coordination et d'exécution est venue consacrer une réalité qui existait depuis une année auparavant. Le complot Lâamouri Beaucoup a été dit et écrit au sujet de l'incident de Kef, ou comme l'appellent faussement certains le “complot des colonels”, et parfois le “complot Lâamouri”. Beaucoup, y compris ceux qui n'avaient rien à voir, ont donné leur avis sur ses causes et ses ramifications. Je dois préciser, de prime abord, que nous, dans la base de l'Est, n'avions jamais utilisé le mot “complot”. Parce que ce mot, avec ses connotations péjoratives et ses utilisations politiques, pouvait donner une lecture erronée au sujet d'un épisode dramatique parmi les épisodes de notre lutte armée, ou qu'elle dénature l'image de notre Révolution, à travers sa présentation comme faisant partie des complots ou de renversements. Tout cela est complètement faux. Parce que j'ai vécu quelques parties de l'épisode du Kef, que j'ai rencontré quelques membres du gouvernement provisoire pour négocier avec eux sur le sort de Lâamouri et ses compagnons avant leur exécution, j'estime qu'il est de mon devoir d'apporter mon témoignage sur ce sujet. En réalité, l'affaire n'était pas une lutte pour le pouvoir ou une lutte d'un clan contre un autre. L'affaire concernait des divergences profondes sur les méthodes de commandement de la lutte armée, la façon de gérer politiquement la Révolution et le choix des dirigeants, c'est-à-dire le sort de la Révolution de façon générale. Lâamouri, Aouachria et Nouaoura, ainsi que la majorité des officiers de la Wilaya I et de la base de l'Est étaient persuadés que la Révolution avait dévié de sa trajectoire d'origine et qu'il fallait bouger pour y remédier avant que la situation ne devienne incontrôlable. C'est ainsi qu'a germé l'idée d'user de la violence contre “les trois B” pour les amener à revenir sur les décisions prises à l'encontre de Amar Boukelaz et Lâamouri, après la dissolution du comité des opérations militaires. Il nous faut revenir, un peu en arrière, pour mettre l'incident de Kef dans son contexte véritable, en évoquant le sort de la base de l'Est et ce qui se tramait, à son sujet dans les coulisses. La base de l'Est, née dans la douleur et le sang, n'a pas vécu longtemps. Deux ans après sa naissance douloureuse, elle fut enterrée de façon atroce à la fin de 1958. Le rideau est tombé sur les hauts faits et sacrifices de ses dirigeants et de ses djounoud. Le sort réservé à certains de ses dirigeants a été dramatique, laissant des traces indélébiles dans les esprits des moudjahidine de la région et sur le cours de la Révolution. La base de l'Est était le poumon par lequel respirait la Révolution. C'était son cœur battant. Mais les enjeux qui l'ont entourée depuis sa création l'ont transformée en une source d'appétits aux politiciens, aux aventuriers et aux postulants au leadership. L'année qui a vu le démantèlement de la base de l'Est était perturbée et dangereuse à plusieurs niveaux. Ainsi, au niveau de la direction du comité de coordination et d'exécution, les divergences se sont accentuées entre ses membres et ont influé, sur le terrain, sur les capacités de combat de l'armée. Ces divergences sont apparues au grand jour et sont devenues un secret de Polichinelle, après l'assassinat de Abane Ramdane à la fin de 1957. Au départ, nous avions cru ce qu'avait écrit le journal El Moudjahid sur sa mort au champ de bataille, mais nous fûmes surpris, après une brève période, par la réalité affligeante d'apprendre que ses compagnons d'armes l'ont entraîné au Maroc pour l'assassiner. Le choc était terrible dans les rangs des moudjahidine. Malgré ses divergences avec Abane, Boukelaz a dénoncé, dans une lettre virulente adressée au comité de coordination et d'exécution, ce lâche assassinat d'un des symboles de la Révolution et a organisé une journée de deuil et de protestation à la base de l'Est. Pendant ce temps-là, le commandement de l'armée française poursuivait ses plans visant à isoler l'ALN et l'empêcher de bénéficier d'un soutien de l'extérieur. Il avait entamé l'application des plans du ministre de la Défense, André Maurice, et du général Salan. Sur le plan politique, la stratégie de la Ve République, qui est arrivée au pouvoir grâce à des extrémistes et une bonne partie des officiers supérieurs, consistait à faire le double jeu, en alliant les opérations militaires aux concessions partielles au profit des Algériens. L'arrivée au pouvoir de De Gaulle constituera la plus dangereuse période vécue par la Révolution algérienne. Certains dirigeants politiques ont été trompés en croyant aux initiatives de De Gaulle, notamment après sa visite en Algérie en juin 1958, puis son annonce du plan de Constantine. Ce dernier constituait la carotte. Quant au plan Challes, visant à anéantir l'ALN à travers l'accentuation des opérations de contrôle et de ratissage des zones frontalières, il était le bâton. De Gaulle a couronné sa politique avec sa célèbre proposition de paix des braves que nous considérions comme une capitulation et l'exclusion de tout dialogue au sujet du devenir politique de l'Algérie. C'est dans ces conditions difficiles qu'a commencé la planification pour le démantèlement de la base de l'Est. La première étape fut franchie durant la première moitié de 1958 lorsque Krim Belkacem avait pris précipitamment la décision de créer le comité des opérations militaires aux frontières est et ouest. Le but annoncé était de charger ce comité de diriger l'action armée à l'intérieur, mais ce fut, en réalité, le début du démantèlement de la base de l'Est et la liquidation de ses responsables. Les divergences entre “les 3 B” sont apparues, y compris pour constituer le Comité des opérations militaires (COM). Boussouf, Krim Belkacem et Bentoubal ont été contraints de trouver un compromis entre eux pour prendre en compte le principe de la représentation régionale et celui de la représentation de toutes les wilayas. Il est devenu clair que le principe de la collégialité du commandement, sur lequel s'est basée la Révolution depuis son déclenchement, avait pris les couleurs du terrain et est entré dans le jeu des équilibres. Aux frontières ouest fut créé le Comité des opérations militaires dirigé par Houari Boumediene, imposé par Boussouf qui lui a désigné comme adjoint le colonel Sadek. Ils supervisaient la lutte armée dans les Wilayas IV et V. Quant au comité de l'Est, il était un véritable foyer de divergences et de contradictions annonciatrices d'une explosion à brève échéance. Rien ne laissait présager de l'existence des plus simples conditions de coordination et du travail collégial entre son commandant, Mohamedi Saïd (Wilaya III), Mohamed Lâamouri (Wilaya I), Amar Benaouda (Wilaya II) et Amara Boukelaz (base de l'Est ). Le conflit entre Boukelaz et Benaouda avait atteint son paroxysme. Ce dernier était en négociation avec Bentoubal pour isoler Boukelaz. En plus de cela, les troupes venues pour transporter les armes que le COM était chargé de faire rentrer sur le sol algérien n'étaient pas habituées à un commandement centralisé et ne prêtaient allégeance qu'à leurs chefs directs. Après le départ de Boukelaz au COM, la direction de la base de l'Est a été revue, et le commandant Mohamed Aouachria fut nommé à sa tête, alors que le commandant Chouichi Laissani fut nommé son adjoint. La première région fut dirigée par le beau-frère de Boukelaz, Resâa Maazouz, aidé par trois adjoints, au grade de lieutenant, et qui sont Chadli Bendjedid, Youcef Boubir et Belkacem Amoura, connu sous le nom de Ladhouioui. Des modifications similaires ont été introduites dans les deuxième et troisième régions qui sont restées sous le commandement de Abderrahmane Bensalem et Tahar Zbiri À la fin de septembre de la même année, le CCE, dans sa réunion au Caire, a pris sa dernière décision avant son remplacement par le gouvernement provisoire et consistant à annuler le COM, en accusant ses membres d'incompétence et d'incapacité à exécuter les décisions de la direction de la Révolution. Accusés d'incompétence, ces membres ont été injustement sanctionnés. Nous avons senti, nous les officiers à la base de l'Est, que l'affaire cachait un complot visant à éliminer nos responsables et à se venger d'eux, surtout que nous avions remarqué une différence dans les sanctions et leurs degrés. En effet, les sanctions extrêmes ont été prononcées à l'encontre des commandants de la Wilaya I et de la base de l'Est, alors que le CCE s'est contenté de légères sanctions à l'encontre des autres membres. C'est ainsi que Boukelaz fut dégradé et il fut interdit d'exercer la moindre activité. Il fut envoyé à Bagdad, et non au Soudan, comme ce fut rapporté dans certains livres. Lâamouri fut également dégradé et fut éloigné, lui aussi, vers Djeddah, mais il n'est pas parti et est resté réfugié en Libye. Tandis que le CCE s'est contenté d'éloigner Benaouda pour trois mois à Beyrouth. Quant au premier responsable du COM, Mohamedi Saïd, le premier accusé de la mauvaise gestion, il fut rattaché au gouvernement au Caire pour être chargé, un mois après, de diriger la nouvelle organisation : l'état-major de l'Est. Ce fut Amara Boukelaz qui poussa Lâamouri à refuser les décisions du gouvernement provisoire, ou plutôt les décisions du trio. Mais il tentait de résoudre ces différends par les voies pacifiques et dans le cadre organique. Mais Lâamouri a préféré utiliser la force et il a commencé ses démarches pour destituer les militaires dans le gouvernement provisoire, avec Ahmed Nouaoura, qui l'avait remplacé à la tête de la Wilaya I, et Mohamed-Tahar Aouachria, le commandant de la base Est, après Boukelaz… Le point de divergence concernait l'accélération de l'entrée de l'armée sur le territoire national dans les conditions difficiles de l'époque. Mais Nouaoura et Aouachria ont refusé cet ordre et exigé l'obtention du commandement des bases des frontières. cependant Lâamouri, pendant ce temps-là, planifiait, en coordination avec Mustapha Lekhal, appelé Palestro, le retour en Tunisie. L'erreur commise par Lâamouri fut la tenue d'une réunion en Tunisie, au lieu de la base de l'Est où nous pouvions lui assurer la protection nécessaire, surtout que les chefs des régions et les djounoud soutenaient ses thèses. Aouachria avait entamé une série de rencontres avec nous, dans les première, deuxième et troisième régions. Les accusations contenues dans ces déclarations concernaient le gouvernement provisoire qui, selon lui, vivait en Tunisie dans le luxe et le confort, au moment où les moudjahidine souffraient du manque d'armes et de munitions, et il avait demandé des précisions sur l'assassinat de Abane Ramdane. Krim Belkacem et Mahmoud Cherif ont appris l'arrivée de Lâamouri à El-Kef, par l'intermédiaire de Gueram, qui était chargé de le transporter à partir de la Libye, mais qui était aussi le chauffeur personnel de Krim Belkacem. Le jour suivant, une réunion s'est tenue, en présence des officiers de la Wilaya I et de la base de l'Est, dont le commandant Chouichi Laissani, le colonel Ahmed Nouaoura, Mustapha Palestro, le commandant Ahmed Draia, Mohamed-Cherif Messaadia, Salah Soufi et le commandant Belhouchet. La Garde nationale tunisienne avait encerclé l'immeuble qui abritait la réunion et a interpellé tous les présents. Ce fut un coup dur pour nous. Ainsi, quelques jours après, la Garde nationale tunisienne a commencé à transporter les djounoud algériens pour nous encercler et nous couper les approvisionnements. Nous nous sommes retrouvés entre le marteau de l'armée des frontières, sous le commandement de Ali Mendjeli, et l'enclume de l'armée française. Soit nous entrons dans une guerre fratricide, soit nous nous livrons à l'ennemi. Les deux choix étaient amers. Nous avons alors préféré la solution pacifique dans les cadres organiques. Après une courte période, le gouvernement provisoire nous a demandé de venir en Tunisie pour entendre les comploteurs, comme il les avait appelés. Nous sommes partis, moi, Abderrahmane Bensalem et Zine Noubli, en compagnie de Mohamedi Saïd au camp Dan Dan où le groupe était emprisonné. Nous y avons rencontré Krim Belkacem et Bentobbal, alors que Boussouf était absent. Nous avons tenté de convaincre les membres du gouvernement provisoire que la réunion était une simple rencontre consultative pour remédier à la situation. Mais Krim Belkacem et Bentobbal ont insisté sur le fait que Lâamouri et son groupe étaient en train de préparer un coup d'Etat contre le commandement de la Révolution, au service d'intérêts étrangers. Nous leur avons demandé de les maintenir en prison et de ne pas les exécuter. Ils ont accepté, avec la condition que nous leur remettions le commandant Ahmed Draia qui avait réussi à échapper au coup de filet de la Garde tunisienne et a rejoint le territoire national. Les déserteurs de l'armée française Je voudrais, ici, préciser l'affaire des officiers déserteurs de l'armée française, pour ne laisser place à aucune mauvaise interprétation. Je ne considère pas l'appartenance à l'armée française comme une insulte ou une atteinte à la dignité. Je faisais toujours la distinction entre celui qui fut contraint, pour une raison ou une autre, d'accomplir son service militaire au sein de l'armée française, et ceux qui sont connus comme étant déserteurs de l'armée française qui ont rejoint tardivement la lutte armée et qui ont été la cause de plusieurs conflits durant la Révolution. J'avais plusieurs amis qui ont servi cette armée pour, ensuite, diriger leurs armes contre elle lorsqu'ils ont compris que l'heure du choix avait sonné et ont fait montre d'abnégation et de détermination en faisant face à ceux qui les dirigeaient dans les casernes françaises. Nous encouragions, depuis le début de la Révolution, ces djounoud et ces officiers à nous rejoindre. Il y a eu, effectivement, des désertions célèbres, comme celles de Salem Juliano et Kara Abdelkader, et l'opération de la caserne de Betiha, siège du troisième régiment des tirailleurs algériens, qui a été exécutée en mars 1956 par Abderrahmane Bensalem, Mohamed Tahar Aouachria, Ali Boukhider et Youcef Latreche. Ceux-là ont pris d'importantes quantités d'armes dont la Révolution avait grandement besoin. Ils ont aidé, par leur expérience acquise, dans la formation et l'entraînement des moudjahidine, avant de devenir par la suite des officiers supérieurs dans la base de l'Est et certains sont tombés au champ d'honneur. Le général De Gaulle avait tenté d'infiltrer la Révolution par tous les moyens, conformément à la politique du bâton et de la carotte. La promotion Lacoste fut la consécration de la stratégie d'infiltration de l'ALN. Après la désertion d'un groupe d'officiers algériens que Krim Belkacem a rattachés à son ministère, et furent chargés d'appliquer la stratégie du commandant Idir qui n'avait pas pris en compte les réalités du terrain, et a placé ces officiers à la tête de bataillons. Mais les moudjahidine les ont refusés et ont chassé certains d'entre eux. L'instance de la direction du trio à imposer ces officiers a causé l'éclatement de plusieurs tentatives de rébellion, à l'instar de la rébellion de djebel Châambi, ou celle de Hamma Loulou, ou encore la reddition de Ahmed Hambli. Pour ce qui concerne Khaled Nezzar, Mohamedi Saïd l'avait envoyé à la première région dont j'étais responsable en tant que conseiller militaire. Mes adjoints dans la région l'ont refusé au début. Mais j'ai réussi à les convaincre de la nécessité de respecter les ordres de la hiérarchie. Il est resté avec nous, en dépit du fait que nous sachions qu'il travaillait pour le compte du gouvernement provisoire. Le procès de Châabani C'est moi qui ai fait avorter la rébellion de Châabani lorsque j'étais commandant de la Ve Région militaire. J'ai ensuite constitué un tribunal révolutionnaire pour le juger. Boumediene m'a contacté pour me dire : “Le président Ben Bella m'a désigné membre de ce tribunal au côté de Saïd Abid et de Abderrahmane Bensalem.” Boumediene a ajouté : “Le Président vous demande de le condamner à mort, et si tu ne me crois pas, contacte le Président dès que tu arrives à Alger et il te dira la même chose.” J'ai cru Boumediene, car il n'avait pas l'habitude de me mentir. Je voudrais, ici, rectifier de fausses informations qui ont été publiées sous forme de témoignages dans la presse nationale selon lesquelles Ahmed Benchérif, Ahmed Draia et Ahmed Abdelghani étaient membres de ce tribunal, ce qui est faux. Le tribunal a été constitué par les officiers cités ci-dessus et il fut présidé par un juge civil d'Alger, nommé Zertal. Nous sommes allés à Oran où Châabani était emprisonné avec un autre groupe de prisonniers politiques à la prison de Sidi El-Houari, dont Mohamed Khobzi, Mohamed Djeghaba, Hocine Sassi, Tahar Lâadjal, Saïd Abadou, Ahmed Taleb El-Ibrahimi et d'autres opposants à Ben Bella. Le procès n'a pas duré longtemps. Après délibération, Châabani fut condamné à mort pour tentative de rébellion contre le pouvoir et d'incitation à la zizanie au sein de l'armée. Après le prononcé du verdict, nos regards se sont croisés, et j'ai été saisi par un sentiment selon lequel aucun d'entre nous n'était convaincu de cette lourde sentence. C'est pourquoi nous avons demandé à Châabani d'introduire une demande de grâce auprès du président Ben Bella. Il nous a dit, l'air abattu : “Demandez-le, vous, en mon nom.” Nous avons chargé Saïd Abid, en tant que commandant de la 1re Région, de le faire et de prendre attache avec Ben Bella. Mais Ben Bella a non seulement refusé catégoriquement notre requête, mais a insisté pour l'application de la sentence telle que décidée par le tribunal, considérant que le verdict ne pouvait donner lieu à un pourvoi en appel. Lorsque Saïd Abid nous en a informés, je lui ai dit : “Demande la grâce en notre nom, nous les officiers, et dis au Président que Châabani est un moudjahid et un compagnon d'armes. Tu nous as ordonné de le condamner à mort. Nous l'avons fait. Et nous croyons qu'il ne le mérite pas. Il te demande à présent de commuer sa peine de mort en peine de prison.” Lorsque Saïd Abid l'a contacté de nouveau, Ben Bella lui a répondu nerveusement : “Je vous ai dit exécutez-le cette nuit.” Il a insulté Saïd Abid et a même insulté sa mère, et lui a dit : “Je t'interdis de me contacter une autre fois”, et il a raccroché. Le 3 septembre, Châabani fut exécuté à l'aube dans une forêt près de Canastel, en présence des membres du tribunal. Des membres de la Gendarmerie nationale ont également assisté à l'exécution. Il y avait une forte présence de la Gendarmerie nationale. J'ai compris alors qu'ils craignaient qu'on le fasse sortir avant l'exécution. Après l'exécution, ils ont mis son cadavre dans un cercueil et a été enterré dans un endroit inconnu. On m'a dit, par la suite, que Ben Bella s'apprêtait le lendemain à partir au Caire et lorsqu'il a lu dans les journaux l'annonce de l'exécution de Châabani, il s'est écrié : “Dommage ! comment ils ont exécuté un jeune officier comme Châabani ?” Le suicide de Saïd Abid Après l'échec du coup d'Etat de Tahar Zbiri, Saïd Abid fut retrouvé mort dans son bureau. Des rumeurs avaient circulé, à l'époque, disant qu'un commando l'aurait assassiné, d'autres accusaient Slimane Hoffmann de l'avoir exécuté et d'autres rumeurs encore qui circulent dans pareilles circonstances. Les commandants des bataillons de la Ire Région ont cru à la rumeur de l'assassinat de Saïd Abid. Ils ont organisé des sit-in dans les casernes et y ont fermé les portails, interdisant l'accès à toute personne, annonçant ainsi leur non-reconnaissance du pouvoir en place. Boumediene était sage. Il ne s'est pas emporté et n'a pas fait recours à la force, parce qu'il était conscient de la dangerosité de la situation. Il a tenté de calmer la situation et m'a contacté pour me demander de les convaincre de renoncer à ce qu'ils sont en train d'entreprendre. J'ai réussi à convaincre les commandants des bataillons de mettre fin à la rébellion et je me suis engagé, avec eux, à enquêter sur la mort de Saïd Abid. Je suis allé au domicile de Saïd Abid. Sa femme m'a raconté les détails de la dernière communication téléphonique qu'elle a eue avec lui et m'a confirmé qu'il s'est effectivement suicidé après les pressions exercées sur lui par les partisans de Tahar Zbiri. Texte traduit de l'arabe par Azzeddine Bensouiah